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La société civile et les institutions de l’Union européenne

Par Marco Caselli
06/10/2006

I Introduction

Le document présente quelques résultats préliminaires et réflexions issus d’un projet de recherche en cours sur le rôle – réel et potentiel – de la société civile dans la construction et la consolidation de l’Union européenne, dans sa vie et son fonctionnement, et dans la dynamique de la construction d’une identité européenne. Le projet – mené par un groupe de chercheurs du Département de sociologie de l’Université catholique de Milan sous la direction du professeur Vincenzo Cesareo – comprend l’analyse de documents officiels publiés par les institutions européennes, de sites Internet et de forums en ligne, et la réalisation d’entretiens semi-structurés avec des représentants éminents des institutions européennes et des organisations de la société civile.

II Pourquoi étudier l’Europe ?

L’une des conséquences les plus significatives des changements sociaux extraordinairement profonds et intenses qui ont caractérisé les dernières décennies, et souvent désignés par le terme ” mondialisation “, a été la remise en question du rôle de l’État (Beck 1997). Il ne s’agit pas de prétendre que l’État a perdu de son importance à l’époque contemporaine. Pourtant, on ne peut pas ne pas reconnaître que cette institution – encore cruciale et indispensable – est de plus en plus inadéquate par rapport à bon nombre des défis auxquels la société contemporaine est confrontée. Comme Daniel Bell (1987) l’a dit avec justesse dans sa phrase aujourd’hui célébrée : ” l’État-nation devient trop petit pour les grands problèmes de la vie, et trop grand pour les petits problèmes de la vie “. En d’autres termes, l’Etat est souvent trop éloigné du citoyen ordinaire pour qu’il puisse comprendre et intervenir dans les problèmes infimes de la vie quotidienne, et en même temps insuffisant pour gouverner et contrôler des dynamiques (principalement économiques) qui opèrent aujourd’hui au niveau supranational, voire planétaire, et qui ont des conséquences majeures pour les citoyens de l’Etat aussi. Cette double pression – ascendante et descendante – à laquelle l’Etat est soumis contribue à expliquer le paradoxe apparent qui, dans un pays comme l’Italie, par exemple, sont à la fois des revendications fédéralistes infra- et supranationales souvent avancées par les mêmes acteurs. En se concentrant ici sur les conséquences de ces nombreux et importants processus en cours au niveau supranational, il est évident que les systèmes démocratiques traditionnels sont largement incapables d’y faire face (Magatti 2005), car de plus en plus de décisions et de dynamiques échappent au contrôle et au pouvoir décisionnel des sujets qui subissent leurs conséquences (Hammond 2001 : 71 ; Streeck 1998 : 38 ; Habermas 1999 : 111).

Par exemple, les opérations des grandes sociétés transnationales, qui peuvent profondément affecter la vie d’un pays tout entier, échappent très souvent à toute forme de contrôle démocratique (Caselli 2002 : 184). L’Union européenne apparaît ainsi comme l’une des réponses possibles – et aujourd’hui la plus significative – à la nécessité de gouverner les dynamiques et de faire face aux problèmes d’échelle internationale. Cependant, il est nécessaire d’inspecter les deux faces de la pièce, pour ainsi dire. Si la construction et le renforcement de l’Union – en tant qu’institution à un niveau supérieur à celui de l’Etat – permettent le contrôle et la gouvernance d’au moins une certaine dynamique supranationale, ils risquent aussi d’accroître la distance entre les citoyens et les institutions qui les gouvernent, laissant inchangé, voire exacerbant, le déficit démocratique qui caractérise apparemment la société contemporaine un déficit qui, comme nous le verrons, peut être, du moins partiellement, comblé par certains analystes, de la société civile. L’importance réelle et potentielle de l’Union européenne dans les processus actuels de changement social, outre les conséquences concrètes des décisions prises au sein de l’Union pour la vie quotidienne de millions de citoyens, semble plus que suffisante pour justifier l’analyse des sujets liés à la réalité européenne. Cette importance justifie également notre projet de recherche, bien qu’il semble qu’il n’ait pas encore été pleinement saisi par la communauté des sociologues en général, du moins en Italie (Cesareo 2005).

Il faut aussi garder à l’esprit qu’aborder le thème de l’Europe peut permettre à la sociologie de sortir du “nationalisme méthodologique” qui caractérise encore la discipline mais qui est de plus en plus inadapté à une compréhension approfondie de la réalité contemporaine. Je fais référence au fait que, malgré la prolifération des processus transnationaux, voire mondiaux, les sociologues continuent d’utiliser l’État comme unité d’analyse – un concept qu’ils ont presque toujours recoupé avec celui de ” société ” (Beck 2004 ; Sassen 2000 ; Scholte 2000).

III Pourquoi étudier la société civile en Europe ?

Bien que l’Europe soit une institution de plus en plus importante dans la vie des millions de personnes qui l’habitent, on ne peut manquer de remarquer l’énorme distance qui, au niveau de la perception, sépare aujourd’hui l’Europe des citoyens. Il s’agit du problème de la représentativité des institutions européennes, qui vient d’être évoqué, mais pas seulement. Les institutions européennes (comme le reconnaissent leurs protagonistes eux-mêmes) sont souvent perçues par les gens ordinaires comme une réalité lointaine, qu’ils connaissent souvent très peu, et à l’égard de laquelle il leur est presque impossible d’agir ou même de communiquer.

Comme on l’a dit, certains commentateurs soutiennent que cette distance entre les citoyens et les institutions européennes, ainsi que le déficit démocratique qui semble caractériser ces dernières, peuvent être comblés par la présence et l’action de la société civile. En outre, il y a ceux qui plaident plus généralement pour le caractère ” institutionnel ” de la société civile, avec sa capacité à générer de nouvelles institutions et à rénover les anciennes (Castoriadis 1975 ; Magatti 2005 : 86) une capacité qui peut aussi émerger au niveau européen. Bien que ces points de vue soient certainement intéressants, et je crois qu’ils justifient amplement la recherche sur ces questions, ils soulèvent un problème extrêmement important tant pour l’analyse scientifique que pour la pratique politique. Il faut se demander ce qu’est réellement la société civile et de quels acteurs elle est composée. Il n’est pas facile de répondre à ces questions et il n’y a pas de position sans équivoque à leur sujet.

Utilisée pour la première fois par Ferguson (1971) dans un essai de 1767, l’expression ” société civile ” a connu un grand succès, et les dernières années ont vu proliférer les publications et les opinions sur le phénomène. Cependant, ce succès n’a certainement pas contribué à la clarté conceptuelle et, aujourd’hui, il existe de nombreuses interprétations du terme, qui ne se chevauchent que partiellement, et qui sont utilisées de diverses façons comme slogan politique, concept analytique ou idéal normatif (Seligman 1995). La confusion et le flou qui en résulte sont tels que, comme l’a montré la recherche empirique, les sujets que le chercheur reconnaît comme appartenant à la société civile n’en sont très souvent pas conscients (Cesareo – Magatti 2003 : 346).

Pour les besoins de mon propos, je définis ici la société civile comme l’ensemble d’associations volontaires multiples et différentes, avec divers degrés de formalisation et d’autorégulation, d’importance publique et liées à la sphère institutionnalisée d’une société particulière (Cesareo 2003 : 13-14). Dans ce qui suit, nous verrons dans quelle mesure l’utilisation du terme ” société civile ” par les institutions européennes correspond à cette définition.

IV La place de la société civile dans l’Union européenne

En ce qui concerne le projet de recherche susmentionné, le présent document se concentre sur l’espace alloué par les institutions européennes à la société civile. L’Union européenne estime aujourd’hui qu’il est essentiel, au moins dans ses déclarations d’intention, d’établir et de mettre en œuvre des liens étroits entre les institutions européennes et la société civile. Il convient toutefois de souligner que l’expression “société civile” n’est entrée officiellement dans la législation communautaire qu’avec le traité de Nice de 2000, pour lequel l’article décrivant le rôle du Comité économique et social européen a été réécrit. Ce changement important avait été anticipé par un certain nombre de documents rédigés par le Comité économique et social lui-même, dont certains membres s’étaient efforcés d’introduire ce changement dans le traité. Il convient également de mentionner que la rumeur a circulé que le Comité serait dissous en raison du traité de Nice, ce qui témoigne des difficultés initialement rencontrées pour affirmer l’importance de cet acteur, à savoir la société civile, pour les institutions européennes.

Aujourd’hui, comme nous l’avons dit, le rôle stratégique de la société civile est largement reconnu, au moins formellement, comme en témoignent les nombreux documents de l’UE sur ce sujet. Deux organes européens en particulier ont été les plus actifs dans la tentative d’établir et de renforcer les liens entre la société civile et les institutions européennes : le Comité économique et social européen et la Commission européenne. Les efforts déployés dans ce sens par le Parlement européen ont été moins importants – ou peut-être seulement moins évidents – mais non négligeables.

Dans ce qui suit, j’analyserai rapidement le rôle de ces trois institutions (Comité économique et social européen, Commission européenne, Parlement européen) pour stimuler le dialogue et la collaboration entre la société civile et les institutions européennes. J’examinerai ensuite brièvement le rôle que le traité constitutionnel européen attribue à la société civile. Je m’efforcerai donc de décrire l’idée de la société civile qui sous-tend les travaux des organes susmentionnés et conclurai en citant un certain nombre de questions non résolues concernant le sujet traité.

V Le Comité économique et social européen

Le principal organe chargé des relations entre les institutions européennes et la société civile est, comme on l’a dit, le Comité économique et social européen à Bruxelles, dont le slogan est “un pont important entre l’Europe et la société civile organisée”. Le Comité économique et social est l’un des deux organes consultatifs de l’Union européenne (l’autre étant le Comité des régions) et il a été institué par le traité de Rome de 1957. Ses 317 membres représentent “les différentes composantes économiques et sociales de la société civile organisée, et notamment les producteurs, les agriculteurs, les transporteurs, les travailleurs, les commerçants, les artisans, les professions libérales, les consommateurs et l’intérêt général”. Les membres du Comité sont nommés pour quatre ans par le Conseil de l’Union européenne sur proposition des gouvernements des Etats membres.

Le Comité se compose des trois groupes suivants : le Groupe des employeurs (Groupe I), qui se compose de membres des secteurs privé et public de l’industrie, des petites entreprises, des chambres de commerce, du commerce de gros et de détail, des banques et assurances, des transports et de l’agriculture.

Le Groupe des salariés (Groupe II), composé de membres d’organisations syndicales nationales, tant de confédérations que de fédérations sectorielles. Groupe d’intérêts divers (groupe III), composé de représentants de catégories très différentes : organisations paysannes, petites entreprises, artisanat, professions libérales, coopératives et associations sans but lucratif, organisations de consommateurs, organisations environnementales, associations représentant la famille, personnes handicapées, communauté scientifique et universitaire et organisations non gouvernementales (CESE 2004 : 13-16).

Comme on l’a dit, le Comité est un organe consultatif qui s’acquitte de trois tâches principales :

a) conseiller les trois principales institutions (Parlement européen, Conseil et Commission) ;

b) permettre aux organisations de la société civile de l’Union de s’engager et de s’impliquer davantage dans le projet européen, tant au niveau national qu’européen, et de contribuer à rapprocher l’Europe de ses citoyens ;

c) renforcer le rôle des organisations de la société civile dans les pays ou blocs (ou groupes de pays) non membres de l’UE où elle a établi et développé des relations permanentes, soutenues par un dialogue structuré, avec les organisations de la société civile, notamment les partenaires sociaux, et promouvoir la création de structures consultatives sur le modèle du CESE (CESE 2004 : 9).

Comme le montrent les points b) et c), le Comité ne se contente pas de formuler des avis et des recommandations à l’intention des institutions européennes ; il est également chargé d’établir des contacts directs avec les organisations de la société civile, tant à l’intérieur des États membres qu’à l’extérieur des frontières européennes. Les avis peuvent être de trois types :

a) des avis en réponse à une saisine de la Commission, du Conseil ou du Parlement européen ;

b) des avis d’initiative, qui lui permettent d’exprimer son point de vue sur toute question qu’il juge appropriée ;

c) les avis exploratoires dans lesquels, à la demande de la Commission européenne, du Parlement européen ou même des présidences de l’Union, il est chargé de réfléchir et de faire des suggestions sur un sujet donné, ce qui peut conduire ultérieurement à une proposition de la Commission (CESE 2004 : 9).

Le Comité a également produit de nombreux documents écrits, dont beaucoup traitent des relations entre la société civile et les institutions européennes. Je cite en particulier l’un de ces documents, daté du 22 septembre 1999 et intitulé “Le rôle et la contribution des organisations de la société civile dans la construction européenne”. Je me référerai fréquemment à ce document ci-dessous.

En février 2004, dans le but de renforcer ses liens avec les organisations et réseaux de la société civile européenne, le Comité a créé le Groupe de liaison avec les organisations et réseaux européens de la société civile. Le mandat du groupe de liaison couvre les cinq points suivants (relatifs aux relations entre le Comité et la société civile organisée) : a) échange d’informations et de vues sur les programmes de travail respectifs et les événements importants ; b) identification des thèmes sur lesquels une coopération serait appropriée et possible ; c) examen de la faisabilité et des modalités pratiques pour une participation accrue des réseaux au travail consultatif du Comité économique et social européen ; d) consultation ou coopération sur la préparation de certains auditions, séminaires, conférences, etc. e) étudier toute autre question d’intérêt commun, par exemple dans le cadre du dialogue avec les institutions européennes (Groupe de liaison 2004).

Le groupe de liaison est composé de dix membres du Comité économique et social et de quatorze représentants de la société civile organisée, un pour chacun des secteurs de la société civile identifiés comme importants : développement, jeunesse, égalité entre les sexes, éducation et formation, vie familiale, organisations et associations promouvant l’idée européenne, politique des consommateurs, prestataires de services, mouvement coopératif, assurance maladie et protection sociale, arts et culture, citoyenneté européenne, protection et insertion des personnes handicapées, développement rural. Le Groupe de liaison a, lui aussi, produit des documents, bien qu’il en existe très peu étant donné son origine récente.

VI La Commission européenne

Au moins depuis la publication du Livre blanc sur la gouvernance européenne (Commission des Communautés européennes 2001), la Commission européenne a explicitement reconnu, et même fortement souligné, le rôle que la société civile peut et doit jouer dans la construction et le renforcement de l’Europe, ainsi que dans la vie des institutions européennes, et notamment dans la mise en œuvre de leurs politiques. Le Livre blanc affirme, par exemple, que “la Commission ne peut pas apporter seule ces changements[dans la gouvernance européenne] et que ce Livre blanc ne doit pas être considéré comme un remède miracle pour tout. L’introduction du changement exige des efforts de la part de toutes les autres institutions, du gouvernement central, des régions, des villes et de la société civile dans les États membres actuels et futurs ” (Ibid. : 3). A cet égard, peu après, le texte souligne la nécessité d’une ” interaction plus forte avec les gouvernements régionaux et locaux et la société civile ” (Ibid. : 4). Encore une fois, le Livre blanc reconnaît que ” la société civile joue un rôle important en donnant la parole aux préoccupations des citoyens et en fournissant des services qui répondent à leurs besoins. Les Eglises et les communautés religieuses ont une contribution particulière à apporter. Les organisations qui composent la société civile mobilisent les personnes et soutiennent, par exemple, celles qui souffrent d’exclusion ou de discrimination. L’Union a encouragé le développement de la société civile dans les pays candidats, dans le cadre de leur préparation à l’adhésion. Les organisations non gouvernementales jouent un rôle important au niveau mondial dans la politique de développement. Ils servent souvent de système d’alerte rapide pour l’orientation du débat politique ” (Ibid. : 14).

La Commission européenne s’est donc engagée à entreprendre, en vue de la prise de décision, le plus grand nombre possible de consultations avec les parties concernées par les décisions à prendre. Ces consultations sont menées conformément aux lignes directrices et aux principes énoncés dans un document de décembre 2002, qui reconnaît également explicitement que, en ce qui concerne les décisions de la Commission, “les organisations de la société civile jouent un rôle important de facilitateurs d’un large dialogue politique” (Commission des Communautés européennes 2002 : 5). Cette activité de consultation est également rendue possible par l’existence d’un très grand nombre de groupes de travail créés pour examiner les différents domaines de la vie sociale européenne susceptibles d’être affectés par les décisions de la Commission. Ces groupes sont examinés ci-dessous. Il convient également de souligner que les critères établis par le document précité pour la sélection des organisations de la société civile à consulter sont plutôt génériques : la consultation doit se faire auprès de toutes les parties directement ou indirectement concernées par une décision particulière ; la priorité doit être donnée aux organisations effectivement représentatives et les différents intérêts concernés doivent être pris en compte sur un pied d’égalité (Ibid. : 3 et 18).

La préoccupation de la Commission à l’égard des organisations de la société civile et l’importance centrale de la consultation avec elles ont conduit à la création d’une base de données, consultable en ligne gratuitement, appelée CONECCS (Consultation, Commission européenne et société civile), avec laquelle la Commission entend fournir aux citoyens des informations plus nombreuses et de meilleure qualité concernant ses activités de consultation. CONECCS comporte deux sections. Le premier est un répertoire de tous les organes consultatifs de la Commission auxquels participent les organisations de la société civile. La liste comprend actuellement 132 organismes actifs dans les domaines les plus divers, allant du groupe consultatif sur l’apiculture au groupe d’experts sur la sécurité des jouets, du forum européen sur la santé au comité du dialogue social. La deuxième section de CONECCS est une archive des organisations de la société civile à but non lucratif au niveau européen. Les archives sont compilées sur une base volontaire et l’inclusion d’une organisation ne constitue pas son agrément officiel par la Commission. Cette section de la base de données CONECCS comprend actuellement 732 organisations, qui sont également des organisations des plus diverses : par exemple, l’Association des industries aérospatiales et de défense d’Europe, l’Association des villes et régions pour le recyclage, l’Association européenne des zoos et aquariums, le Forum européen des handicapés, la Fédération européenne des géologues et l’Association scientifique des industries européennes du Talc.

Enfin, il convient de mentionner qu’en réponse aux résultats négatifs des référendums de ratification du Traité constitutionnel européen en France et aux Pays-Bas, la Commission a lancé en octobre 2005 un “Plan D pour Démocratie, Dialogue et Débat”, dont l’objectif était de rapprocher les citoyens des institutions européennes dans un processus dont les acteurs sont les organisations de la société civile.

En résumé, l’objectif du Plan D n’est pas de sauver la Constitution européenne, mais de “stimuler un débat plus large entre les institutions démocratiques de l’Union européenne et les citoyens”. Par conséquent, le plan doit être considéré comme complémentaire aux initiatives et programmes déjà existants ou proposés, tels que ceux dans les domaines de l’éducation, de la jeunesse, de la culture et de la promotion de la citoyenneté européenne active (Commission des Communautés européennes 2005 : 2).

Parallèlement et en complémentarité avec l’objectif de stimuler le débat, le Plan-D vise également – et la Commission considère cela comme d’une importance vitale – à restaurer la confiance du public dans l’Union européenne (Ibid. : 3).

Le document de présentation du Plan D présente une stratégie de communication impressionnante : écouter la voix des citoyens sur les questions centrales de la vie de l’Union, tout en les informant sur le rôle et le travail des institutions européennes, à commencer par la Commission elle-même, afin de tenter de réduire la distance qui les sépare. La Commission entend notamment soutenir les débats, les conférences et les initiatives au niveau national. La responsabilité de l’organisation de ces manifestations devrait cependant incomber aux Etats membres. En ce qui concerne le contenu de ces initiatives, la Commission n’établit pas d’agenda détaillé, afin de respecter les spécificités des différents contextes locaux. Toutefois, il suggère un certain nombre de thèmes généraux qu’il considère comme devant être abordés : le développement social et économique de l’Europe, les sentiments à l’égard de l’Europe et des missions de l’Union, les frontières de l’Europe et son rôle dans le monde (Ibid. : 6).

D’une manière générale, la Commission a l’intention d’entreprendre une vaste campagne de communication qui comprend l’organisation de réunions et de conférences au niveau national et européen, des visites de commissaires dans les différents pays de l’Union, une plus grande “ouverture” et visibilité des bureaux locaux des institutions européennes, une collaboration avec les acteurs de la société civile pour créer une “Table ronde européenne pour la démocratie” et l’organisation de manifestations nationales impliquant des personnalités du monde culturel, artistique, sportif ou commercial (Ibid. : 8). Si on me demandait mon avis sur le document de lancement du Plan-D, je soulignerais ce que je ne peux que qualifier de naïveté. Le texte est un joyeux recueil de bonnes intentions et d’initiatives valables en toutes circonstances, dont la mise en œuvre effective – aux yeux d’un citoyen raisonnablement bien informé comme moi – est plutôt improbable.

VII Le Parlement européen

A première vue, le Parlement européen semble être l’organe le moins soucieux d’entretenir des relations avec la société civile. Néanmoins, un certain intérêt se manifeste de la part de l’assemblée de Strasbourg. En particulier, le 26 novembre 2004, la commission parlementaire des affaires constitutionnelles a organisé une audition avec des représentants de la société civile afin de recueillir leurs avis sur le texte du traité constitutionnel européen. Les 24 et 25 avril 2006, la même commission parlementaire a organisé le “Forum européen pour la société civile sur l’avenir de l’Union européenne”. En outre, le Comité européen demande et reçoit les avis du Comité économique et social.

VIII La société civile dans le Traité constitutionnel européen

Malgré l’échec substantiel, ou en tout cas l’interruption (temporaire ?), de cet ambitieux projet, il est intéressant que la société civile soit prise en compte dans le texte du Traité constitutionnel européen. Voici une brève description des quatre articles dans lesquels il est mentionné.

Première partie, article 32. Cet article est dédié aux organes consultatifs de l’Union européenne, à savoir le Comité des régions et le Comité économique et social. En ce qui concerne ce dernier, l’article 3 stipule que “Le Comité économique et social est composé de représentants des organisations d’employeurs, de travailleurs et d’autres parties représentatives de la société civile, notamment dans les domaines socio-économique, civique, professionnel et culturel”.

Première partie, article 47. Cet article établit le principe de la démocratie participative. L’article 2 stipule que “Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile”.

Première partie, article 50. Cet article traite de la transparence du fonctionnement des institutions, organes et organismes de l’Union. L’article 1 affirme que “Afin de promouvoir la bonne gouvernance et d’assurer la participation de la société civile, les institutions, organes et organismes de l’Union mènent leurs travaux aussi ouvertement que possible”, et semble quelque peu redondant en ce qui concerne le contenu de l’article 47.

Partie III, article 390. Cet article – ainsi que le précédent et les deux suivants – définit la composition, le rôle et le fonctionnement du Comité économique et social. En particulier, les deuxième et troisième alinéas précisent que “Le Conseil adopte la décision européenne établissant la liste des membres[du Comité économique et social européen] établie conformément aux propositions faites par chaque État membre. Le Conseil statue après consultation de la Commission. Elle peut recueillir l’avis des instances européennes représentatives des différents secteurs économiques et sociaux et de la société civile concernés par l’action de l’Union”.

S’il est certainement significatif que la société civile soit mentionnée à plusieurs reprises, il est évident que ses références sont vagues ou ne font que poser la question : aucune définition claire de ce que l’on entend par “société civile” n’est donnée, et encore moins le rôle envisagé par le Traité pour la société civile dans la vie sociale, politique et économique de l’Union est bien défini.

IX Quelle conception de la société civile ?

Même les documents officiels produits par les différents organes de l’Union européenne utilisent l’expression “société civile” de manière vague, ou en tout cas peu claire. On soupçonne que l’expression est souvent employée simplement parce qu’on pense qu’elle est ” à la mode “, sans que ceux qui l’utilisent en connaissent le sens précis. Le document du Comité économique et social de 1999, déjà mentionné, propose une définition de la “société civile”, mais il ne semble pas dissiper l’ambiguïté car il est formulé en des termes extrêmement vagues. La société civile se définit comme suit : :

un terme collectif pour désigner tous les types d’action sociale, individuelle ou collective, qui n’émanent pas de l’État et ne sont pas dirigés par lui. Ce qui est particulier au concept de société civile, c’est sa nature dynamique, le fait qu’il désigne à la fois la situation et l’action. Le modèle participatif de la société civile offre également l’occasion de renforcer la confiance dans le système démocratique afin de créer un climat plus favorable aux réformes et à l’innovation (CESE 1999 : 5).

Cette définition s’accompagne de la précision que les éléments essentiels de la société civile sont le pluralisme, l’autonomie, la solidarité, la visibilité, la participation, l’éducation, la responsabilité et la subsidiarité (Ibid. : 7). Je le répète : la définition ci-dessus ne semble pas suffisante pour dissiper l’ambiguïté du concept, et ce précisément en raison de son trop grand flou, qui le rend pratiquement inutile du point de vue heuristique. Quelle est donc la conception des institutions européennes de la société civile, du moins telle qu’elle ressort des documents officiels ? Et quelle fonction la société civile est-elle censée jouer dans la construction de l’Europe et dans sa vie sociale, économique et politique ?

Il convient tout d’abord de souligner que, si la définition ci-dessus se réfère à l’action des groupes et des individus, tous les actes, déclarations et documents officiels de l’Union européenne mettent l’accent sur la “société civile organisée”, c’est-à-dire toutes les structures organisationnelles dont les membres servent l’intérêt général par une méthode démocratique fondée sur le dialogue et le consensus, assurant ainsi la médiation entre autorités publiques et citoyens. Il s’ensuit que seules les organisations de la société civile suffisamment structurées et représentatives des composantes importantes de la société européenne peuvent contribuer à la construction de l’Europe. A cet égard, cités comme acteurs de la société civile organisée sont les suivants :

a) les acteurs dits du marché du travail, c’est-à-dire les partenaires sociaux ;

b) les organisations représentatives des acteurs économiques et sociaux qui ne sont pas des partenaires sociaux au sens strict du terme ;

c) les organisations non gouvernementales ;

d) les organisations à base communautaire, c’est-à-dire les organisations créées au sein de la société au niveau de la base qui poursuivent des objectifs axés sur les membres, par exemple les organisations de jeunesse, les associations familiales et toutes les organisations par l’intermédiaire desquelles les citoyens participent à la vie locale et municipale ;

e) les communautés religieuses (ibid. : 8).

Quant à la fonction actuelle ou envisagée de la société civile, elle consiste essentiellement en une médiation entre les citoyens et les institutions européennes, et entre les citoyens et les pouvoirs publics. La société civile est également considérée comme un lieu de dialogue entre ces acteurs. Cette interprétation implique implicitement la reconnaissance de la grande distance qui sépare aujourd’hui l’Union européenne et ses institutions des citoyens ordinaires (Ibid. : 2). Pour ces derniers, en fait, l’Europe est une entité éloignée qu’ils ont du mal à percevoir comme autre chose qu’une bureaucratie oppressive (Ibid. : 11). En particulier, les institutions européennes semblent incapables (seules ou peut-être pas du tout) de créer une véritable intégration entre les citoyens des Etats membres, et encore moins une identité ou une culture européenne. A cet égard, un rôle décisif peut être joué par la société civile, qui apparaît comme le seul acteur qui, en servant d’intermédiaire entre les citoyens et les institutions européennes, peut combler le fossé entre eux. Il est également souligné que la société civile européenne, en servant de point de rencontre pour les dynamiques très diverses qui ont traversé l’Europe (et ailleurs), peut permettre de trouver un équilibre entre les risques opposés d’un individualisme débridé (qui menace l’Occident) et le collectivisme autoritaire (l’expérience de l’Europe orientale) (Ibid. : 5). Il convient également de noter que divers documents produits par les institutions européennes, ainsi que certaines des citations données précédemment, soulignent le rôle de la société civile pour permettre aux pays candidats de remplir certaines des conditions – sociales, politiques, culturelles et économiques – pour adhérer à l’Union européenne.

Au-delà de toute la question qui se pose, la lecture des documents produits par les institutions européennes est frappée par l’accent rhétorique marqué – je dirais excessif – qui accompagne les descriptions de la nature et du rôle de la société civile, qui est souvent évoqué et invoqué comme une panacée pour toutes les difficultés qui assaillent la construction européenne. En particulier, les institutions européennes considèrent la société civile comme un remède palliatif à l’incapacité (ou presque) des institutions européennes à produire une véritable intégration continentale, en particulier du point de vue social et en ce qui concerne la participation démocratique. En effet, étant donné l’incertitude qui entoure la signification réelle du concept de société civile, la lecture des documents permet de soupçonner que la société civile est implicitement définie sur la base de sa fonction espérée : les institutions européennes ne savent pas si la société civile existe réellement telle que définie, mais elles estiment néanmoins qu’elle devrait combler certaines lacunes du processus de construction européenne. Autrement dit, ils ne savent pas ce qu’est la société civile, mais ils savent ce qu’ils aimeraient qu’elle soit, et ils en discutent en fonction de ce modèle idéal.

X Quelques questions ouvertes

Je conclus ce document par une brève réflexion et quelques questions. Ces dernières années, la société civile a été presque invariablement décrite en termes enthousiastes et positifs. Il est parfois décrit comme une ” sorte de royaume non contaminé dans lequel des merveilles peuvent se produire ” (Magatti 2005 : viii), étant décrit en particulier comme l’acteur crucial pour affirmer la vie et les principes démocratiques. Les documents et les positions officielles des institutions européennes semblent adopter cette perspective. Toutefois, il semble raisonnable de se demander si l’accent rhétorique mis sur cet aspect par les institutions européennes correspond à une réelle conviction et à un réel engagement en faveur de l’implication de la société civile dans leurs processus décisionnels, ou si ce n’est pas plutôt un symptôme de l’inquiétude de l’Union européenne devant l’éloignement manifeste des citoyens de ses institutions. Comme on l’a dit, un observateur externe a l’impression que les institutions européennes se sont rendu compte que leur action est inadéquate et ont donné une image de la société civile capable de remédier à cette inadéquation. Mais cette image de la société civile correspond-elle à la réalité ? Ne serait-il pas plus sage de partir de ce qu’est réellement la société civile pour déterminer comment elle peut contribuer à la vie de l’Union européenne ? cet égard, je voudrais souligner que la vision idéalisée de la société civile s’est récemment accompagnée d’une vision beaucoup plus désabusée qui considère la société civile comme un mélange de lobbies et de groupes de pression rivalisant les uns avec les autres pour protéger ou même imposer des intérêts sectoriels (Galli Della Loggia 2006).

Personnellement, je pense que nous devons rejeter les visions idylliques et démoniaques de la société civile, en cherchant plutôt à identifier à la fois les aspects positifs et les potentialités ainsi que les aspects négatifs et les dégénérations possibles d’un acteur qui, dans un sens ou dans l’autre, est toujours présent et actif dans la vie sociale et politique européenne. cet égard, je suis d’accord avec ceux qui soutiennent qu'” avec leur obstination à soulever les problèmes et à proposer des solutions, les acteurs de la société civile peuvent être en mesure de limiter l’autoréférence des institutions ” (Magatti 2005 : 200). Je pense que cela vaut également si nous considérons que la société civile n’est qu’un ensemble de lobbies et de groupes de pression animés uniquement par des intérêts partisans. En d’autres termes, une société civile active et robuste garantit un plus grand pluralisme, mais cela ne suffit pas à garantir le caractère démocratique des processus décisionnels. De plus, comme le souligne Hurrell (1999 : 289-90), rien ne garantit un comportement éthique des acteurs de la société civile. Le risque qui en découle est que, si la société civile assume effectivement le rôle de chef de file, seuls les intérêts des personnes capables de s’organiser seront protégés, au détriment d’un intérêt général mal défini. Par conséquent, la question de la représentativité effective et de la démocratie des institutions en général et des institutions européennes en particulier ne peut être résolue en invoquant simplement la société civile. En effet, le problème (majeur) qui se pose est celui de la représentativité des organisations de la société civile elles-mêmes. Au nom de qui parlent-ils effectivement ? Comment identifier les organisations à consulter ou même à coopter dans la prise de décision ? Quels intérêts méritent d’être représentés sur l’agenda européen ? Ce sont des questions auxquelles il est évidemment difficile de répondre, mais elles ne peuvent être éludées dans le cadre des efforts visant à renforcer et à rendre plus efficaces et démocratiques les institutions européennes.

Marco Caselli – Dipartimento di Sociologia – Università Cattolica del Sacro Cuore – Largo Gemelli, 1 – 20123 – Milano (I) – tel. +39 02 7234 3972- Email –

Références et références

Beck, U. (1997) Was ist Globalisierung ? Irrtümer des Globalismus – Antworten auf Globalisierung, Frankfurt am Main : Suhrkamp Verlag.

Beck, U. (2004) Der kosmopolitische Blick oder : Krieg ist Frieden, Frankfurt am Main : Suhrkamp Verlag.

Bell, D. (1987)’The World and the United States in 2013′, Daedalus, 113.

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