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Intégrer des cursus à double-diplomation aux programmes TEMPUS et ERASMUS-MUNDUS pour le bénéfice mutuel des partenaires,par le Professeur Jean-Paul Guichard*

Une réflexion sur la finalité des programmes Européens destinés aux Universités s’impose. Ces programmes présentent un gros défaut, essentiellement celui d’être à sens unique, qui peut être surmonté, l’Université de Nice et ses expériences de programmes d’enseignement à double-diplomation l’ont prouvé.

1) Des programmes « à sens unique »

En première approximation, on pourrait dire que les programmes TEMPUS ou ERASMUS-MUNDUS (au moins, pour celui-ci, en ce qui concerne les mobilités) sont des programmes « charitables », à sens unique. Avec des crédits de l’Union Européenne, des Universités des pays de l’Union Européenne « aident » des Universités des pays situés dans l’environnement de l’Union. Des questions viennent immédiatement à l’esprit : à quoi cela sert-il pour les individus ou les institutions « bénéficiaires » ? A quoi cela sert-il pour les Universités Européennes ? A quoi cela pourrait-il servir ?

a) Pour les Universités des pays « partenaires » [1]

Les programmes TEMPUS ont ceci de bien qu’ils doivent explicitement servir à quelque chose pour les Universités des pays partenaires ; on peut toutefois regretter le fait qu’ils ignorent délibérément l’activité de recherche des Universités.

La finalité des programmes Erasmus-Mundus de mobilités est moins claire. Au niveau doctoral ou post doctoral, des mobilités peuvent concerner de jeunes enseignants d’Université, permettre à ceux-ci une ouverture très utile sur le monde ; les individus y trouvent leur compte mais les institutions auxquelles ils sont rattachées, aussi.

On peut s’interroger toutefois sur l’intérêt de bourses au niveau « master » et, surtout, au niveau de la licence ; de quelles garanties que de telles bourses puissent servir aux Universités d’origine disposons-nous ? Aucune !

Il y a là un risque de saupoudrage, d’inefficacité. On donne de l’argent à des individus : c’est une bonne affaire pour eux ; mais, au-delà des individus, qu’en retirent leurs Universités ? A quel projet global ces mobilités peuvent-elles servir ?

b) Pour les Universités françaises

On parle beaucoup de la « stratégie des pays tiers », ainsi que de la « politique de l’Europe » : mais comment tout cela s’articule-t-il avec les institutions qui, dans l’Union Européenne, sont les vecteurs de la coopération universitaire, les universités elles-mêmes ?

Depuis 1994, j’ai dirigé beaucoup de projets TEMPUS et je peux donc témoigner du fait que cela requiert beaucoup d’énergie et de temps pour des résultats qui sont souvent décevants pour les universités « Union Européenne ». De plus, les enseignants-chercheurs n’en retirent guère de profit : les « relations internationales » n’interviennent en effet pas dans leurs carrières.

Pour que des projets Européens vaillent qu’on dépense du temps pour eux, il est nécessaire qu’ils puissent servir aussi les intérêts des universités « UE » ; d’une certaine façon, les programmes Européens doivent être instrumentalisés de telle sorte que la coopération ne soit plus à sens unique mais, au contraire, à double sens.

2) L’expérience de l’Université de Nice : le développement de programmes d’enseignement à double diplomation

a) L’origine

Beaucoup de programmes TEMPUS ont été dirigés par l’Université de Nice depuis 1994, notamment grâce à un instrument de logistique administrative et organisationnelle créé pour cela, le Centre de coopération avec les Pays de l’Est (CPE). Des premiers programmes réalisés, notamment avec l’Ukraine et l’Azerbaidjan, il ne reste, pour Nice, pas grand-chose, si ce n’est des « résultats » qui n’étaient pas vraiment recherchés : des jeunes qui se sont fixés en France, et qui sont même parfois maître de conférences dans diverses Universités ! Ces résultats, parfois décevants ex post, étaient la conséquence du fait que TEMPUS était conçu de façon unilatérale. Les projets de cursus à double diplomation sont nés de ce « vide » des projets européens.

b) Les cursus à double diplomation

Il s’agit de cursus économiques qui concernent des universités à : Kosice, Belgrade, Novi-Sad, Sarajevo, Podgorica, Chisinau, Hanoï, Casablanca, Moscou, Khabarovsk, Irkoutsk, Yakoutsk, Oulan-Oudé ; cela devrait s’étendre en 2010, à Uzhorod, Sinferopol, Nijni-Novgorod … et Nice ! [2]

L’objectif de ces cursus est de permettre à des étudiants d’une Université partenaire d’accéder à une double diplomation avec l’université de Nice, sans avoir à se déplacer et cela, moyennant un coût relativement modique (400€/an).

Les moyens au service de cet objectif sont au nombre de sept :

1) La licence d’économie se fait en quatre ans et comprend, durant les deux premières années, l’acquisition d’une bonne pratique du français.

2) L’anglais est obligatoire : la langue française n’est donc pas un substitut à l’anglais.

3) Il y a une double inscription administrative.

4) Les étudiants doivent passer des examens de l’Université de Nice dans les matières « fondamentales » ; ces épreuves ont lieu dans les locaux de l’Université partenaire, se font en français, sont organisées par l’Université de Nice et concernent 90 crédits sur un total de 180.

5) 90 crédits de l’université partenaire sont « reconnus » par l’Université de Nice au titre des matières optionnelles.

6) Les examens de l’Université de Nice sont préparés par des « travaux dirigés » donnés en langue française, selon des méthodes de l’Université de Nice et avec des documents pédagogiques de celle-ci, par des enseignants francophones de l’Université partenaires (80 heures à 100 heures de « TD » par année d’études intégrés au cursus normal).

7) Il faut donc, dans chaque cas, constituer une équipe d’enseignants locaux francophones : cette équipe constitue la base de la coopération.

L’ensemble de ces dispositions se prolonge en master/magistratura. Dans certains cas (Irkoutsk, Moscou, Kosice), le premier semestre de la deuxième année du master doit avoir lieu à Nice ; dans d’autres cas (Belgrade), cela n’est pas nécessaire.

Cela débouche sur :

  Des thèses en cotutelle, ou en codirection, qui permettent notamment d’élargir les équipes d’enseignants francophones.

  L’organisation de manifestations scientifiques communes (par exemple le colloque économique co-organisé à Moscou le 27 novembre 2009 par l’Université de l’amitié des peuples de Russie et l’Université de Nice).

  Des programmes de recherche (par exemple « Pavl Savic » avec la Serbie).

  Des publications (cf. le projet, en 2010, de lancement d’une nouvelle revue économique internationale, « Mirovaïa ekonomika/économie mondiale » qui sera éditée en deux langues, le russe et le français).

c) L’utilisation des programmes européens pour les cursus à double diplomation

Ces programmes peuvent alors être très utiles pour la mise en place ou le développement de ces cursus. Tout d’abord, des projets TEMPUS peuvent avoir pour objet de mettre en place de tels cursus ; ils s’attachent alors à former les équipes d’enseignants francophones qui sont indispensables ; plusieurs projets de ce type ont été réalisés en Serbie pour la mise en place, à Belgrade, puis Novi-Sad, de cursus économiques à double diplomation. Dans le cas d’espèce, ils ont été précédés par une aide décisive de l’Ambassade de France : un « investissement » de quatre ans sur un étudiant serbe (une bourse de 2ème année de master suivie d’une bourse de trois ans pour une thèse en cotutelle) qui est devenu enseignant d’université (à Novi-Sad) et qui est désormais l’animateur de la coopération entre l’université de Nice et les Universités de Serbie.

Les programmes Erasmus-Mundus, du type « Basileus » (Balkans) ou « Averroes » (Méditerranée) qui sont des programmes de mobilités permettent, eux aussi, de constituer ou de renforcer les équipes à la base des cursus à double diplomation ; à la condition toutefois que cela concerne des jeunes enseignants (« staff » ou « post-doc ») ou des étudiants avancés destinés à la carrière universitaire (master) ainsi que la discipline visée par cette double diplomation ; à la condition enfin que les mobilités concernent les deux universités de cette double diplomation ; cela fait donc au total beaucoup de conditions … Toutefois, compte tenu des coopérations en cours de l’Université de Nice avec des Universités des Balkans, le programme « Basileus » s’avère être très utile.

3) Quelques remarques concernant les questions linguistiques

Dans le cadre d’Erasmus-Mundus, nous recevons des candidatures d’étudiants appartenant à des universités avec lesquelles Nice n’a pas de relations ; ces candidatures sont parfois étonnantes et témoignent d’une belle ignorance des conditions de l’établissement dans lequel ils souhaitent rentrer : certains voudraient faire des études d’architecture alors qu’en France ces études ne se situent pas dans le cadre des Universités, d’autres souhaitent étudier en anglais, ignorant en cela le fait qu’en France, l’enseignement universitaire se fait encore … en langue française !

Il faut dire que certains établissements d’enseignement supérieur, en France, proposent des cursus en langue anglaise, notamment dans le secteur des sciences de gestion ; ces cursus, généralement payant, peuvent parfois donner lieu à l’attribution de bourses, de l’Union Européenne ou bien même du Gouvernement français. Je voudrais faire part à la fois de mon étonnement et de mon hostilité à ce genre d’aide : il s’agit là d’un encouragement donné à l’abandon des langues autres que l’anglais dans l’enseignement supérieur, langues qui constituent, précisément, la richesse culturelle de l’Europe.

Cela a du sens de développer, en France et pour des étudiants français, des cursus en langue anglaise ; cela n’a par contre aucun sens que de tels cursus soient ouverts à des étudiants étrangers boursiers (que ce soit de la France ou de l’U.E.). Si des étudiants étrangers viennent dans des Universités françaises, la moindre des choses est qu’ils y étudient en français ; s’ils veulent étudier en anglais, qu’ils aillent en Angleterre, au Pays de Galles, en Ecosse ou en Irlande ! On oublie, notamment à propos des mobilités d’étudiants, qu’au-delà des diplômes, il y a bien plus important : les cultures ! Bref, les étudiants étrangers qui viennent étudier en France doivent découvrir la culture française, cela implique la pratique de la langue.

Ce devrait être une règle générale en Europe. A titre d’exemple, l’un de mes anciens étudiants qui est aujourd’hui maître de conférence d’économie à l’Université de Versailles-Saint Quentin a fait une partie de sa thèse de doctorat à Kosice (Slovaquie) ; il a appris la langue slovaque et a pu être ainsi l’une des bases de la coopération que nous avons développée avec l’Université technique de Kosice … Il s’agit là d’un cas exemplaire sur lequel les fonctionnaires qui peuplent nos Ministères devraient méditer ; ce qui est valable pour un petit pays comme la Slovaquie devrait l’être aussi pour la France. Il faut veiller à ce que les programmes de bourses pour étudier en France financés par les contribuables, qu’il s’agisse de bourses françaises ou européennes, puissent servir au développement de la francophonie.


 

[1] La terminologie utilisée ici est peut-être un peu ancienne : que le lecteur veuille bien pardonner que l’on puisse prendre quelque liberté par rapport au jargon officiel bruxellois.

[2] A la rentrée 2010 sera mis en place, à l’université de Nice, un programme d’études économiques à double diplomation (licence et « bacalavr ») en partenariat avec l’Université de l’amitié des peuples de Russie à Moscou. Le programme de licence s’étale sur quatre ans et comprend l’apprentissage de la langue russe au cours des deux premières années.

* Professeur Jean-Paul GUICHARD, Chaire Européenne ’Jean-Monnet’, Université de Nice Sophia-Antipolis

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