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Archive GEAB 2009 – La dissémination nucléaire contrôlée : Une urgence pour éviter un prochain conflit direct Israël/Iran

Cet article paru dans la Lettre Confidentielle de LEAP (GEAB) le 15 octobre 2009 est particulièrement intéressant à relire dans le contexte actuel de remise en question de tous les accords sur le nucléaire.

“Selon LEAP/E2020, le retour de la question du nucléaire iranien sur le devant de la scène internationale ne doit rien au hasard. Après une année d’interruption du fait de l’implosion de Wall Street en Septembre 2008, toutes les tendances géopolitiques majeures à l’œuvre dans la période qui précédait reprennent le dessus (la reprise de la chute du Dollar US en est un exemple flagrant). Il en est ainsi de la crise du nucléaire iranien qui revient au premier plan des préoccupations géopolitiques mondiales, dans un contexte encore plus volatile qu’il y a 12 mois. En effet, entre temps, les Etats-Unis sont entrés brutalement dans une période d’affaiblissement historique qu’illustre aujourd’hui un nouveau président dont les valses hésitations et l’enlisement progressif dans une multitude de dossiers domestiques et internationaux conduisent les pays impatients à se préparer à forcer le destin, que ces pays s’appellent Iran ou Israël. Pour notre équipe, l’incapacité certaine des Occidentaux à obtenir un arrêt du programme nucléaire iranien d’ici Janvier 2010 va ouvrir une nouvelle fenêtre de tir pour une intervention israélienne directe, dont nous avons déjà expliqué dans des numéros précédents du GEAB qu’elle serait porteuse de chaos régional et mondial.

La stratégie consistant à transformer les impasses en opportunités, il existe un moyen d’utiliser cette crise du nucléaire iranien pour à la fois stabiliser le Moyen-Orient et offrir à la planète plusieurs décennies de stabilité stratégique mondiale. Ce moyen, c’est la transformation du traité de Non Prolifération Nucléaire, devenu entièrement obsolète, en un traité de Dissémination Nucléaire Contrôlée.

La non-prolifération a échoué

En effet, Européens, Russes et Chinois doivent lancer une réforme profonde du Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP) et de l’ensemble des méthodes et instruments qu’il intègre. Il doit être adapté à la réalité du XXI° siècle et se fonder sur le concept de « Dissémination Nucléaire Contrôlée » (« Controlled Nuclear Dissemination » – CND). Les avancées scientifiques et la baisse des coûts rendent aujourd’hui de plus en plus facile d’accéder à la technologie nucléaire[1]. De cela découle qu’il est difficile d’opérer la distinction entre les instruments et filières du nucléaire civil et du nucléaire militaire (comme les risques de « bombes sales » l’illustrent). Ceci implique que l’on peut compter aujourd’hui près d’une quarantaine de puissances nucléaires avérées ou cachées et quasi-nucléaires pouvant posséder l’arme nucléaire très rapidement (contre 5 lors de la signature du TNP). De plus, dans un monde qui sait que la dissuasion nucléaire pouvait dans certains cas garantir la paix (Guerre Froide), l’inquiétude majeure est désormais la possession de l’arme nucléaire par des organisations infra-étatiques (terrorisme nucléaire). En bref, le TNP ne marche plus et les tentatives du club occidental nucléaire pour contrôler l’évolution des choses sont vaines depuis au moins deux décennies.

Carte du déploiement des armes nucléaires (Rouge, 5 pays possédant l’arme nucléaire ayant signé le TNP / Orange, autres puissances nucléaires connues / Violet, états ayant possédé l’arme nucléaire dans le passé / Jaune, états soupçonnés d’être en train de développer l’arme nucléaire et/ou des programmes nucléaires / Bleu, états qui ont eu à un moment donné des armes nucléaires et/ou des programmes nucléaires / Rose, états prétendant posséder des armes nucléaires) – Source : FuturePresent/TNP, 10/2006

La crise Iran/USA/Israël doit ainsi être traitée comme un moment-clé de la crise générale du système international actuel et en particulier de l’obsolescence de la politique de non-prolifération nucléaire pratiquée depuis 1945. Il marque la fin de l’ordre établi après 1945. Cette crise est une confrontation directe entre deux logiques désormais archaïques : celle des dirigeants iraniens qui ignorent l’intérêt collectif mondial pour se focaliser sur leurs intérêts nationaux à court terme et celle des dirigeants américains et israéliens qui identifient leurs intérêts propres avec ceux du reste du monde. La politique de non-prolifération nucléaire héritée de l’après-Seconde Guerre Mondiale est en crise comme l’illustre le nombre croissant de puissances nucléaires (cf. tableau ci-dessus) qui n’ont pas signé le Traité de Non-Prolifération, la crise actuelle avec l’Iran – pays pourtant signataire du traité, la poursuite – notamment par les Etats-Unis – du développement de nouveaux types d’armes nucléaires comme les « mini-bombes », le rôle non sanctionné du Pakistan en matière de prolifération active, et l’accord récent USA/Inde qui ignore complètement le Traité. Vu ce contexte, et du fait des conséquences très graves d’un éventuel conflit, la crise Iran/USA/Israël ne peut pas être traitée comme un cas particulier. Elle doit être gérée en l’inscrivant dans une vision de long terme, fondée sur de nouvelles méthodes adaptées aux réalités du XXI° siècle.

Téhéran et Tel Aviv sont les deux faces d’une même pièce en matière d’armement nucléaire

Mais avant d’aborder plus en détail le concept de dissémination contrôlée, revenons brièvement sur le contexte dans lequel se trouve l’Iran. Car pour résoudre un problème, encore faut-il en poser les termes factuellement, hors toute idéologie ou a priori.

Imaginons ainsi les Etats-Unis, sans armes nucléaires, entourés du Mexique et du Canada qui les possèderaient. Ou bien la France encerclée par des pays possédant la bombe atomique (et qui n’auraient signé aucun traité international en matière nucléaire) sans l’avoir elle-même. Combien de temps faudrait-il pour que Washington ou Paris refusent un Traité de non-prolifération[2] et se lancent au plus vite dans la construction d’un arsenal nucléaire ? Très certainement moins de temps qu’il n’en faut pour évoquer un tel scénario ! Et Paris comme Washington invoqueraient l’exigence de sécurité nationale pour se justifier et se dégager de tout traité.

Voilà exactement le contexte de la crise iranienne. Téhéran est entourée de puissances nucléaires (Russie, Israël, Pakistan et peut-être l’Arabie saoudite) et, cerise sur le gâteau, depuis trois ans certains de ses plus proches voisins, comme l’Irak, l’Afghanistan ou le Koweït, ont été transformés en bases militaires US. Alors, même sans un extrémiste à sa tête comme l’actuel président Mahmoud Ahmadinejad, il n’est pas surprenant de voir l’Iran essayer par tous les moyens, et au plus vite, de se doter de l’arme nucléaire. Le contraire eut été étonnant, surtout au vu de la formidable leçon de « real politik » donnée par l’administration Bush qui a prouvé au monde entier qu’un dictateur avec l’arme nucléaire (Corée du Nord) était intouchable alors qu’un dictateur sans arme nucléaire (et avec du pétrole comme en Irak) était une cible de choix. La leçon, l’une des pires qui aient pu alimenter la réflexion internationale ces dernières décennies car évacuant tout autre élément que le simple rapport de puissance brute, a porté. Il est ainsi certain que l’Iran avancera à vitesse grand V dans la voie de la maîtrise de l’arme atomique afin de « sanctuariser » son territoire, ainsi que l’a fait la France sous l’impulsion de De Gaulle dans les années 60 et Israël dans les années 1960 également[3].

Soyons clair, c’est dorénavant une évolution inéluctable, sauf à détruire l’Iran. L’administration Bush et tous les promoteurs de la guerre en Irak ont, par leur indigence intellectuelle et leur avidité pétrolière, accéléré ce processus. Et ce n’est certainement pas aujourd’hui que les Etats-Unis et l’Occident apparaissent de plus en plus affaiblis et divisés (crise financière, économique, sociale, Afghanistan, …), que l’Iran changera d’avis. Tout comme Israël s’est doté de l’arme nucléaire pour assurer sa survie et renforcer sa position régionale, l’Iran agit de même : Tel Aviv et Téhéran sont les deux faces d’une même pièce en matière d’armement nucléaire.

Ainsi, à part des gesticulations à l’ONU et un éventuel embargo à portée très limitée, Washington, Paris, Londres et Berlin n’y pourront rien. Trop tard. Russes et Chinois ont désormais d’autres intérêts et un poids infiniment plus lourd. On ne refait pas l’Histoire[4]. En revanche, on peut choisir collectivement de sortir d’une impasse en ouvrant un nouveau chemin : dans notre cas, en tournant la page d’une politique de « non-prolifération nucléaire » désormais dépassée et inefficace, pour s’engager sur le chemin d’une politique de « dissémination nucléaire contrôlée » qui, notamment, permettra de garantir leur sécurité à l’Iran comme à ses voisins par un exercice contrôlé de dissuasion régionale.

Vers un Traité de Dissémination Nucléaire Contrôlée

Le nouveau TNP, le traité CND, doit aussi s’inspirer des évolutions réalisées dans l’ordre international depuis les années 60, avec trois pistes de réflexion prometteuses :

  • traiter le développement des nucléaires civil et militaire comme un tout. L’accès au Club Nucléaire ne doit donc plus avoir comme objectif d’empêcher le développement du nucléaire militaire en accordant l’autorisation de développer le nucléaire civil, mais bien de convaincre de l’inutilité du développement du nucléaire militaire ou de l’encadrer pour l’intégrer à un équilibre de dissuasion régionale ou globale dans le cas contraire.
  • définir des règles d’accès au « Club Nucléaire » fondé non pas sur une approche arbitraire des puissances déjà membres du Club mais sur un processus transparent d’adhésion comprenant des règles claires et internationalement reconnues et un contrôle multilatéral de leur respect une fois membre du club. Les exemples du processus d’adhésion à l’Union européenne ou à l’Organisation Mondiale du Commerce peuvent utilement servir d’inspiration pour la définition d’un « acquis politico-nucléaire » qui définisse les conditions d’accès au nucléaire dans son ensemble. Parmi d’autres, il faut inclure : la nécessité d’évolutions politiques internes démocratiques – élections libres, contrôle politique des militaires, la signature d’accords régionaux de sécurité liés si possible à des accords de coopération économique et commerciale régionaux.
  • repenser un certain nombre d’hypothèses fondamentales du TNP désormais rendues caduques par l’Histoire. Il faut intégrer la dimension nouvelle de possession d’armes nucléaires par des entités non-étatiques afin de bannir cette possibilité et d’en définir les sanctions les plus strictes possibles. Parallèlement, il faut abandonner l’hypothèse affirmant que l’arme nucléaire est en soi, et en toutes situations, déstabilisatrice. En effet, l’histoire européenne de la 2° moitié du XX° siècle a apporté la preuve que cette affirmation était fausse. La dissuasion équilibrée peut apporter également la paix quand il est impossible d’obtenir la création de zones non-nucléarisées (ce qui restera néanmoins le premier objectif de toute politique visant à maîtriser le risque nucléaire).

Comme on le voit derrière la crise iranienne se profile ainsi une étape majeure de la transformation du monde déclenchée après la chute du mur de Berlin. Nous sommes toujours en train de sortir du monde créé après 1945, et la crise systémique globale accélère cette évolution. Pour trouver le chemin du « monde d’après », nous avons le choix entre l’arrogance aveugle d’Achille et l’intelligence affûtée d’Ulysse, entre une non-prolifération qui n’est que l’exercice de plus en plus virtuel d’un pouvoir illégitime fondé sur un préjugé, et une dissémination contrôlée qui vise à intégrer lucidement la réalité pour faire appliquer des règles acceptables par tous les acteurs concernés. Pour LEAP/E2020, essayer d’éviter les pires conséquences de la dislocation géopolitique mondiale en cours, c’est aussi faire preuve d’audace dans le domaine du nucléaire. Le paradoxe, mais il n’est qu’apparent, c’est que c’est certainement le meilleur moyen de garantir la sécurité d’Israël et de tout le Moyen-Orient : la dissuasion nucléaire est un facteur d’équilibre largement testé au XX° siècle qui a empêché des conflits qui, sans la menace de ces armes, auraient sans aucun doute eut lieu.”

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Notes:

[1] Le président français Nicolas Sarkozy est à lui seul un facteur de dissémination nucléaire puisqu’il passe son temps à essayer de vendre des centrales nucléaires à tous les pays qu’il visite.

[2] Alors que l’Iran ne rejette pas du tout le Traité qu’il a signé, à la différence d’Israël, du Pakistan et de l’Inde.

[3] Les deux pays coopérèrent d’ailleurs pour le développement de la bombe israélienne. Source : Federation of American Scientists, 08/01/2007

[4] Les belles phrases creuses de Barack Obama sur la suppression des armes nucléaires illustrent à nouveau combien ce président est totalement déconnecté des réalités géopolitiques (à moins que cela n’ait été qu’un moyen d’obtenir à peu de frais un prix Nobel de la Paix?) dont la principale est que c’est précisément grâce aux armes nucléaires que la crise mondiale actuelle n’a pas déjà tourné à une série de conflits ouverts (comme cela avait déjà été le cas lors de la confrontation américano-soviétique). Hélas cet état d’esprit éloigne les Etats-Unis d’une contribution réaliste à la refonte du TNP.

À propos Marie Hélène

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