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Un paysage politico-institutionnel européen et mondial possible en 2053, par M.-H. Caillol

(extrait de la publication Une journée en 2053, publiée en 2013 par Anticipolis)

La crise que nous traversons n’est pas juste une crise économique conjoncturelle. C’est une crise que nous avons depuis l’origine identifiée comme historique. En février 2006, nous l’avons caractérisée comme remettant en cause le monde tel qu’il avait été conçu au sortir de la 2nde guerre mondiale. Mais assez vite, nous nous sommes aperçus qu’on était en fait sur une remise en question du monde européen qui s’est inventé à la Renaissance avec les grandes découvertes il y plus de 500 ans.

En réalité nous sommes en train de sortir d’une ère de 5 siècles « européens » (y compris dans ses avatars américains ou soviétiques) pour passer à un monde multipolaire. Ce processus est en cours depuis une vingtaine d’années mais nous vivons actuellement les dernières phases de réalisation de cette multi-polarisation, avec sa cohorte de difficultés liées notamment à l’intégration de cette nouvelle réalité dans les institutions de la gouvernance mondiale.

Cette multi-polarisation du monde remet en cause l’ensemble du système que nous Européens, avons inventé au cours des siècles et décennies passées. Le nouveau monde reste à organiser le plus harmonieusement possible et 2053 dépendra du succès de cette réorganisation. Et ce n’est pas parce que le monde ne sera plus singulièrement européen, que nous, Européens, ne devrons pas continuer à y contribuer ; l’Europe a même une responsabilité particulière dans l’invention du monde demain, surtout si elle veut en rester un acteur majeur.

Vers quelle gouvernance mondiale tendons-nous ?

Concernant le fonctionnement des institutions actuelles de la gouvernance mondiale (système « onusien » au sens large), nous sommes assez récemment arrivés à la conclusion qu’il n’y en avait pas de réforme possible et finalement même pas de réforme souhaitable parce que tout le système onusien est daté, totalement ancré dans un monde du XXème siècle et structurellement incapable d’intégrer la complexité du monde multipolaire naissant.

A titre d’exemple, ce n’est pas parce que nous aurons réussi, ce qui est très peu probable [1], à modifier la composition du conseil de sécurité de l’ONU en rajoutant le Brésil, le Mercosur, l’Union Africaine ou l’Afrique du Sud (NdlR: à resituer dans le contexte 2013) qu’on aura réellement remis l’ONU dans la position de veiller au bon ordre de la planète.

Cette conclusion nous amène à une autre : il faut donc complètement réinventer une gouvernance mondiale adaptée aux caractéristiques tout à fait nouvelles du monde de l’après-crise systémique globale.

Or nous estimons que les tendances existant déjà aujourd’hui et sur la base desquelles le monde de demain doit/va se construire sont :

. d’une part, le modèle européen : LEAP affirme ce qui est une évidence pour le reste de la planète mais que les Européens eux-mêmes ont un peu de mal à comprendre, à savoir que le processus d’intégration européenne mené depuis 60 ans est une véritable référence, pertinente non seulement pour d’autres expériences d’intégration régionale (Union Africaine, MERCOSUR, ASEAN, etc…) mais dans l’invention de la gouvernance mondiale de demain.

. d’autre part, le modèle BRICS : il s’agit en effet d’une expérience innovante consistant en un club de pays partageant des objectifs et décidant de s’associer, ponctuellement au moins, pour unir leurs forces à des fins communes ; en l’occurrence cette fin commune constituant le moteur premier de l’association des BRICS, c’est précisément la réforme de la gouvernance mondiale en faveur de l’intégration des pays émergents dans les mécanismes de décision internationale.

Ces deux modèles d’organisation politique (« politique » parce qu’augmentant le « pouvoir-faire ») permettent d’imaginer le prochain système de gouvernance mondiale comme un réseau de composantes diverses et variées : nations, entités régionales intégrées (ex : Union Africaine), sous-entités régionales intégrées (ex : CEDEAO), « clubs » trans-nationaux d’intérêt (type BRICS). A l’inverse du système de facto pyramidal qui caractérise le modèle onusien de gouvernance mondiale, un système en réseau permettra d’intégrer la complexité structurelle du monde de demain.

Ce réseau mondial composé des diverses briques constitutives de l’organisation planétaire sera animé par des instances de coordination (ex : Secrétariat de Coordination Globale – SCG – des questions liées à la gestion des déchets nucléaires,…), structures légères (composées d’un petit nombre d’employés en comparaison avec le système pléthorique actuel), souples (susceptibles d’être fermées, en particulier si elles sont liées à la réalisation d’un projet précis ; ex : SCG du nettoyage des mines anti-personnel), thématisées (sécurité alimentaire, commerce, nucléaire…) et à géométrie variable (ne regroupant que les entités désireuses de s’associer au projet en question).

Il y aura bien sûr des Secrétariats plus centraux que d’autres (super-secrétariats), veillant au bon fonctionnement de l’ensemble du système mais ce sera essentiellement un système décentralisé, de facto polycentrique.

Ce système actera les méthodes modernes de communication (internet, avion, et tout ce qui existera en 2053 dans ce domaine) et évitera les grands regroupements d’employés en tours de Babel localisées (New-York, Genève…). A l’inverse, les personnes employées dans ce réseau travailleront à distance, susceptibles même de participer à un SCG en tant qu’employé d’une entité nationale ou régionale précise.

Nous imaginons une mise en place graduelle et empirique de ce type de gouvernance sur la période 2015-2025. Bien évidemment, ce mode d’organisation, sera toujours d’actualité en 2053.

Le Global : Vers un panier de monnaies en guise de monnaie de réserve internationale

Dans le cadre de nos travaux sur la crise, nous avons également abordé la question du système monétaire international, l’actuel étant jugé largement responsable des problèmes mondiaux que nous traversons. Depuis 2009, nous avons identifié comme clé de sortie de crise la création d’une nouvelle monnaie de référence internationale sur la base d’un panier des monnaies des puissances représentatives de l’économie mondiale (Dollar US, Euro, Yuan, Rouble, Real,…), qui pourrait s’appeler le « Global », première monnaie multipolaire, appuyée sur la réalité de l’économie mondiale et à ce titre légitime à lui servir de monnaie d’échange. Une telle évolution est souhaitable dès aujourd’hui, de gros acteurs (Chine, BRICS, …) se sont employés à engager les choses dans cette direction ; malheureusement, on constate pour le moment que d’autres acteurs indispensables aux décisions qui s’imposent pour enclencher le processus bloquent tout. On observe donc pour le moment un repli sur les monnaies régionales, avec notamment le processus d’internationalisation du Yuan (processus qui ne dépend de personne d’autre que de la Chine) qui s’avère finalement une étape utile avant la création d’un panier de monnaies équilibrées entre elles.

Quoiqu’il en soit, en 2053, c’est certain, nous serons passés à autre chose qu’au dollar US et cet autre chose, nous anticipons qu’elle ressemblera fort à une sorte d’Euro global.

Globalisation, protectionnisme, à quel stade du cycle en serons-nous en 2053 ?

Sur un horizon plus court (2015-20), nous anticipons une certaine dé-globalisation au profit d’une intensification des échanges intra-régionaux (ASEAN, Mercosur, UE, UA…). Au total les flux d’échanges vont probablement augmenter mais leur répartition va continuer à se restructurer géographiquement. Une méfiance vis-à-vis des traités de libre-échange entre grandes régions sera la règle au cours de la prochaine décennie. Mais, d’ici 2053, une gouvernance mondiale rénovée, ayant appris les leçons des excès de la globalisation du XXème siècle, ramènera la confiance suffisante pour une réouverture « raisonnée » des échanges commerciaux à l’horizon 2053.

Des processus de démocratisation dans le monde à l’horizon 2053

Au premier abord, on imagine un monde en 2053 dont la complexité croissante, les densités de population et la prégnance de nouveaux modèles politiques venus d’Asie, aboutiront probablement à un durcissement des systèmes politiques. Ce durcissement est déjà en cours d’ailleurs : dans les années 70, la société occidentale était beaucoup plus libre que maintenant. Or les choses ne vont certainement pas s’arranger.

Mais ce point de vue (sur un recul démocratique) est en fait un point de vue occidental. Il y a en réalité tout lieu d’être assez optimiste si l’on calcule la démocratie à l’échelle planétaire. Depuis la chute du Rideau de Fer, la démocratie a déjà énormément progressé dans le monde (Russie, Europe centrale et orientale). En Inde, en Amérique du Sud, jusqu’en Afrique, on constate de vrais progrès, pour ne pas dire dans certains cas l’émergence de nouveaux modèles de démocratie. Les zones d’ombres qui subsistent (Corée du Nord, Arabie Saoudite, Chine) sont vouées à s’ouvrir.

L’acteur central du monde de demain qu’est la Chine, semble particulièrement réticent sur ce thème. Mais une Chine qui développe son marché intérieur, voit émerger une classe moyenne, et donc une aspiration au bonheur et à la liberté, sait que la connexion de son système politique avec les citoyens est évidemment au programme des prochaines décennies. Mais lorsqu’on a derrière soit une civilisation vieille de 5000 ans, on sait  prendre le temps.

Sur l’aspect plus institutionnel, à l’horizon 2053, le sommet de l’édifice démocratique sera passé du niveau national au niveau supranational. On élira des représentants des peuples européen, sud-américain, africain, asiatique… directement au suffrage universel ou quelque chose d’équivalent. On aura donc une démocratie supranationale articulée avec les niveaux nationaux, régionaux et locaux de démocratie. Le débat en 2053 sera probablement de savoir comment démocratiser le niveau global.

Soit dit en passant, cette démocratisation des entités supra-nationales, c’est à nous Européens de l’enclencher. Ce serait en effet la conclusion logique au fait d’avoir initié ce modèle d’intégration régionale : parvenir à des modèles d’intégration régionale démocratisés, avec implication des citoyens dans les décisions.

On imagine alors un monde qui sera dirigé par une dizaine-vingtaine de TGD (Très Grands Dirigeants), qui se réuniront régulièrement pour prendre de grandes décisions sur la base de véritables mandats populaires. Ces TGD représenteront dans un premier temps un mélange d’entités régionales et de grandes nations (Etats-Unis, Chine…). Cela dit, d’ici 2053, il est probable que nous aurons assisté à des processus de dislocation géopolitique des grands pays (organisée ou non) re-fédérés sous la forme d’entités supra-régionales (ex. la Réunion des Pays Chinois au lieu de la Chine).

Enfin, l’internet devrait rendre possible la démocratisation de décisions sectorielles (par professions, groupes culturels, etc… pour des décisions ne concernant qu’eux-mêmes) qui se combinera certainement à l’édifice démocratique décrit précédemment. Nous obtiendrons ainsi un système démocratique « complexifié » mais opérationnel composé des niveaux hiérarchiques classiques (supranational, national, local) et de mécanismes transversaux de consultation des citoyens qui auront également la possibilité d’élire leurs représentants par secteur d’activité et de vie.

Quid des Etats-Unis ?

Un mot sur les Etats-Unis avant d’aborder l’Europe. C’est le pays qui a le plus à perdre dans cette transition mondiale, à savoir la première place. Mais ils ont encore plus à perdre dans leur résistance au changement. Tout d’abord, on voit comme ils s’épuisent économiquement dans le fait de devoir soutenir l’économie mondiale pour préserver le rôle prééminent de leur monnaie. Cet effort qui écrase littéralement la société américaine créé des tensions politiques énormes. La structure Etats-Unis est déjà remise en question actuellement, avec des états comme le Texas et d’autres réfléchissant aux conditions à réunir pour pouvoir faire sécession. Les tendances à la dislocation de l’union des Etats-Unis sont donc déjà présentes.  Elles seront suivies d’un durcissement politique majeur (de type prise de contrôle par l’armée) vers la deuxième moitié des années 10, début des années 20 maximum, avec éventuellement un phénomène de quasi- « rideau de fer » tombant sur le pays. Mais ce durcissement ne permettra qu’un temps de bloquer l’inévitable processus de division-recomposition du pays. C’est ainsi que nous nous permettons d’espérer qu’en 2053, les Etats Unis seront sortis de cette ornière noire dans laquelle ils sont déjà entrés.

Quelle Europe en 2053 ?

En matière de gouvernance, la Commission européenne et tout le cadre UE qui a présidé aux grandes orientations du projet européen dans les années 1990 et 2000, tout comme dans le cas de l’ONU, seront toujours là mais n’auront plus beaucoup d’importance ou d’influence. Le nouveau cadre exécutif européen se sera reconstitué sur la base de la zone Euro.

Cette évolution est déjà en cours : c’est la BCE et l’Eurogroupe qui prennent les décisions importantes concernant la zone Euro, zone Euro qui est le groupe d’états européens liés par le plus fort degré d’intégration, pour lesquels donc il est le plus impérieux de mettre en œuvre un cadre efficace de résolution des problèmes et d’orientation stratégique. L’Euro a de facto créé un nouveau « Souverain », l’Euroland, d’ores et déjà doté d’un embryon d’architecture institutionnelle (une banque centrale, un mécanisme exécutif,…) qu’il reste à compléter… et à démocratiser.

Vers quelle Europe, ce système institutionnel nous emmènera-t-il ? D’ici 2053, l’Euroland aura repris la taille de l’UE ; le Royaume Uni, qui aura fait bande à part pendant quelques temps (NdlR: à resituer dans le contexte 2013), sera revenu dans le giron (aux conditions du continent cette fois) ; au total, l’Euroland sera même sans doute composé de davantage d’états que l’UE actuelle, non pas parce qu’elle se sera étendue géographiquement, mais parce que certains de ses membres se seront divisés suite à des demandes d’indépendance régionale (Catalogne, Ecosse… les premières risquent d’ailleurs de déclencher une vraie vague).

Concernant la géographie institutionnelle de l’Europe, il y a une dizaine d’années, LEAP lançait le projet Euro-Rings qui militait en faveur d’une polycentralisation des institutions européennes dont nous estimions qu’il fallait les sortir à tout prix de leur ghetto bruxellois pour les répartir dans les grandes capitales symboliques européennes (dont Bruxelles bien sûr aussi), au but notamment de les rapprocher des citoyens européens, et de manière plus générale de la réalité. Ce projet visionnaire, qui serait inévitablement allé de pair avec la réforme en profondeur de la gouvernance européenne  qui manque tant à l’Europe d’aujourd’hui, n’a bien sûr pas trouvé les leaders politiques pour le porter et est donc resté lettre morte à ce jour (pire, le Parlement européen se bat pour être recentré sur Bruxelles).

En revanche, d’ici 2053, et dans le cadre du transfert d’une gouvernance UE à une gouvernance Euroland, la géographie institutionnelle européenne se déploiera en différents pôles de pouvoir sur l’ensemble du territoire européen. La BCE, institution originelle de l’Euroland, n’est-elle pas elle-même à Francfort et non à Bruxelles ?

En matière démocratique, il y a aura directement un personnel politique (individu ou équipe) élu sur la base d’élections à circonscription unique  en charge de l’Euroland (espérons même dès 2019).

Quels obstacles sur la route vers 2053 ?

Pour finir, évoquons tout de même les obstacles qui risquent de surgir sur la voie de ce scenario.

Les tensions géopolitiques inhérentes à la transformation du monde en cours peuvent indéniablement dégénérer en conflits, voir en conflit globalisé, d’ici la fin de la décennie. D’importants risques de rupture démocratique pèsent également sur l’Occident, aux Etats-Unis en particulier mais aussi en Europe.

La bonne nouvelle, c’est que d’ici 2053, ces écueils liés à la crise en cours seront de toutes manières derrière nous. Or nous anticipons qu’avec ou sans grandes ruptures (géopolitiques ou démocratiques), l’avenir vers lequel nous nous dirigeons ressemblera à celui présenté ci-dessus. Les ruptures ne seront que des tentatives de ralentir ou d’accélérer l’inévitable processus de multipolarisation du monde et de son organisation.

Certes 2053 ne sera pas pareil selon qu’on y sera allé grâce aux bonnes prises décision de nos dirigeants ou à coup de guerres et de grandes catastrophes, mais sur ces aspects de multipolarité, de caractéristiques de gouvernance, de fonctionnement démocratique, le monde de 2053 ne sera probablement pas très loin de ce qui vient d’être présenté.

Dans tous les cas, il est bon de garder à l’esprit que 2053 sera ce que l’on en fait chaque jour.

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[1] C’est l’Europe, là encore, qui détient la clé d’une recomposition du Conseil de Sécurité, notamment en abandonnant ses deux sièges français et britanniques au profit d’un siège unique européen, ce qui ouvrirait les perspectives d’un Conseil de Sécurité composé de grandes entités régionales de tailles comparables. Mais ce n’est plus maintenant que les Anglais sont sur le point de quitter l’UE qu’une telle évolution a des chances de voir le jour (NdlR: à resituer dans le contexte 2013).

 

À propos Marie Hélène

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