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De la nécessité d’un Ministère du Futur, par Marc Vidal

Aux Emirats Arabes Unis, il existe un Ministre de l’Intelligence Artificielle. Un poste qu’exerce le politique Omar bin Sultan Al Olama et qui englobera neufs secteurs socio-économiques : transports, espace, énergies renouvelables, eau, technologie, éducation, environnement et trafic. Derrière une nouvelle spectaculaire se cache, en grande partie, la volonté d’aborder stratégiquement parlant tous les dilemmes et défis induits par l’incorporation de la technologie future.

Affronter résolument et de manière stratégique et politique les grands défis que suppose la 4ème Révolution Industrielle, la déflation du capital, et l’automatisation de presque tout, ce n’est pas facultatif, cela devrait être obligatoire et urgent. Les gouvernements ne peuvent pas demeurer indifférents à l’arrivée imminente des voitures sans conducteur, de la robotisation, de l’analyse de la rente minimum universelle, ou même de l’indispensable incorporation de l’économie circulaire aux processus de production.

Il est probable que légiférer avec une vision du futur, ce qui devrait être obligatoire d’ailleurs, dépend d’une vision transversale de tout un gouvernement qui identifie la complexité des risques et défis qu’entraîne une révolution techno-culturelle comme celle que nous vivons. Une bonne solution, un premier pas, pourrait être d’incorporer à tout exécutif un Ministre du Futur. Une personne qui serait capable d’apporter les connaissances nécessaires et la vision politique professionnelle qu’impose le futur flexible et changeant qui nous attend.

Nous sommes actuellement au bord du précipice que créent des technologies modifiant tous les aspects de la vie. Alors que la majorité des cadres supérieurs sont confrontés à cette innovation qui affecte leur travail – et que l’on retrouve dans les automobiles autonomes, en édition génétique, en intelligence artificielle, en données, en robotique ou en impression 3D – et qu’ils comprennent que le succès à moyen terme dépend de l’exploitation de ces nouveaux outils technologiques, les gouvernements se repaissent de paroles oiseuses sur la nécessité d’entreprendre, innover et investir… mais à distance, comme s’ils ne savaient pas de quoi ils parlent, et ne se sentaient pas concernés dans leur exercice professionnel et politique.

Les entreprises créent des départements, ou emploient des consultants extérieurs, dont le seul travail est de prédire ce qui va arriver et de conseiller sur les moyens d’affronter le changement afin d’en tirer profit. Il n’y a pas un seul gouvernement qui fasse de même. Un Ministère du futur doté de secrétaires d’état de haut niveau aurait un rôle leader en matière de recherche fondée sur des données concrètes et coordonnerait la planification des scénarios susceptibles d’affecter les autres ministères ou secteurs d’activité.

Les prospectivistes, politologues et économistes en parlent depuis un peu plus d’une décennie. Créer un antidote à l’improvisation, à la tactique et au court-termisme habituel en politique devient indispensable. Les politiques sont reconnus pour leur myopie qui les empêche de voir plus loin que les prochaines élections, ils prennent d’importantes décisions sans tenir compte de la façon dont ces dernières affecteront le pays dans 10, 20 ou 100 ans.

Cependant, de nos jours nous pouvons compter sur des outils qui permettent d’esquisser des politiques en fonction de décisions stratégiques et intelligentes pour le futur, des outils qui nous permettent de cartographier des scénarios, d’évaluer des probabilités, de répondre à des décisions en se basant sur des faits prédictifs comme dans le secteur commercial par exemple. Un Ministère du futur ne serait pas seulement là pour identifier les technologies émergentes et anticiper les changements qui en résultent, mais aussi pour incorporer l’utilisation de la technologie de dernière génération dans la façon même de gouverner.

Des entreprises comme IBM, Procter & Gamble et Google ont eu confiance en ce qu’on appelle les « futuristes » pour identifier les limites, tracer des tendances, et construire des scénarios pour les prochaines années au sein de leurs organisations et industries. Grâce au mode de pensée appliqué dans l’analyse du futur, IBM, une entreprise qui a été fondée avant même que les ordinateurs n’existent, est à l’avant-garde de l’intelligence artificielle, modelant les caractéristiques suivant lesquelles notre travail sera renforcé par les machines. Les futuristes de Google dépassent les frontières des interfaces de conversation. Si vous avez un enfant en bas âge, il est probable que votre fils parle avec un ton tout à fait naturel à un chatbot (agent conversationnel) ou un ordinateur intelligent lorsqu’il joue ou qu’il cherche quelque chose comme il le ferait avec vous. Le travail de ces futuristes n’est pas de prédire ce qui arrivera, mais plutôt de fournir une information rationnelle et fondée sur les données évitant aux dirigeants d’entreprise les mauvaises surprises.

Il y a des années, les Etat-Unis possédaient un petit bureau, l’Office of Technology Assessment, composé de scientifiques, économistes, technologues et d’autres experts qui avaient pour mission d’investiguer, prévoir et conseiller le Congrès sur tout ce qui concernait le futur. Ils gagnèrent une grande crédibilité au sein de l’ensemble du gouvernement et de la communauté scientifique car leur travail était précis, équilibré et exploitable. Ce bureau a lancé au cours de son existence plus de 750 études prophétiques, allant des robots à la place du travail, au bioterrorisme, aux pluies acides ou au changement climatique. Ce bureau a dépolitisé la technologie et la science, et tout comme ces futuristes d’entreprises, il s’est assuré de faire en sorte que les élus américains ne soient pas surpris.

D’autres pays s’en sont inspirés en implantant des agences similaires dont certaines fonctionnent encore de nos jours. En Grande-Bretagne le bureau Parlementaire de Science et Technologie, en Allemagne le Büro für Technikfolgen-Abschätzung beim Deutschen Bundestag, en Suisse le Centre suisse d’évaluation de la technologie, ou encore en France où les investissements dans l’industrie 4.0 sont 23 fois plus importants qu’en Espagne.

C’est en Suède que l’on trouve ce qui s’approche le plus d’un Ministère du futur. Il s’agit du Ministère pour le développement stratégique et la coopération Nordique, dirigé par Kristina Persson, appelée la ministre ‘du futur’. Elle a à sa charge la conception des réponses stratégiques aux tensions économiques et sociales véhiculées par les avancées technologiques, la mondialisation, l’émergence d’une société qui n’a pas besoin de travailler pour vivre, la multi-automatisation, ou encore, parmi tant d’autres choses, de voir comment intégrer l’éthique du développement dans la façon de vivre scandinave.

Je ne sais pas si nous avons besoin d’une telle nomenclature au sein d’un gouvernement comme le gouvernement espagnol, d’autres pays européens ou de n’importe quel état latino-américain. Peut-être que l’existence de ce genre de poste ne changerait rien. Mais il me semble – et c’est là l’intention de cet article – que les gouvernements qui ne se pressent pas pour identifier les défis et risques notables de la société future émergente sont en train d’hypothéquer la vie de nos enfants et petits-enfants comme jamais auparavant, ainsi aussi que la vie de ceux d’entre nous qui ressentons que le chemin est encore long avant la retraite.

A ce stade, 3 scénarios sont possibles. 1/ cette idée restera sur la liste des bêtises qu’on lit de temps en temps ; 2/ ces questions seront abordées de façon cosmétique et artificielle – cf l’octroi de la citoyenneté à un robot il y a quelques mois en Arabie Saoudite… des droits supérieurs à ceux des femmes dans ce même pays d’ailleurs ; et 3/ le scénario idéal : au lieu de passer des jours, des semaines et des législations à nous étourdir de luttes politico-politiciennes et de discours intellectuels verbeux sans aucun effet, nous arriverons à un débat professionnel, sérieux et technologique : une analyse politique fondée sur des outils politiques et technologiques, un débat sur les moyens d’affronter les problèmes sociaux et politiques, l’emploi, la législation sur les innovations à venir,… sur les moyens d’aborder le Futur avec un grand F.

Je ne sais pas si un Ministère du Futur est nécessaire ou non, mais il est clair qu’il faut éradiquer les Ministères du Passé qui pourraient nous éloigner d’un futur irréprochable, et que certains doivent le prévoir et le préparer laissant les autres continuer à débattre de la pluie et du beau temps.

Marc Vidal, expert en transformation numérique

Source: La necesidad de un Ministerio del Futuro

À propos Marie Hélène

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