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Vers les « Etats-Généraux » d’Euroland, par Harald Greib

Le constat de Franck Biancheri, ancien directeur d’études et de recherche de LEAP, selon lequel « les partis nationaux ne comprennent rien de l’Europe » a été confirmé de la manière la plus impressionnante le 23 avril dans une émission de France Inter à laquelle était invité le président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale française, Bruno Le Roux. Interrogé sur un sondage qui donnait le Front National gagnant dans les élections européennes en France, il répondait par quelques formules creuses : ceci était uniquement le reflet d’un mécontentement ; les politiques avaient la possibilité de changer ce que les Français reprochaient à l’Europe ; tout était la faute de la majorité conservatrice et d’une Commission trop libérale qui empêchait l’Europe d’aller vers la croissance ; le chef de file, le socialiste allemand Martin Schulz (que pratiquement personne ne connaît ni en France ni en Allemagne), était particulièrement qualifié en questions européennes ; et patati et patata… Tout le monde peut constater que jamais l’Europe ne s’est portée aussi mal.

Cependant nos figures politiques nationales n’ont aucune idée concrète de comment la sortir du marasme. Le coup de « l’Europe sociale » qu’on allait bâtir à partir de « maintenant », c’est déjà Jacques Delors qui nous l’avait fait, en 1986, afin de faire de la publicité à la ratification de l’Acte unique européen, grande base législative européenne du marché unique, qui a changé le destin des Communautés européennes. Auparavant un marché régulé, ce traité européen les a transformées en un marché unique et libre de tout rôle régulateur étatique, coordonné par le seul principe de la concurrence non faussée. Aujourd’hui, le mécontentement des Européens n’est pas dirigé contre une politique particulière de l’UE, une mauvaise direction particulière qu’elle aurait prise et qu’elle pourrait éventuellement corriger en se fixant un nouveau cap. Le rejet dont souffre l’Europe d’aujourd’hui est dirigé contre tout ce qu’elle représente : des institutions éloignées des Européens, des politiques et technocrates coupés de la réalité, un système néolibéral bloquant toute tentative de politique nationale plus sociale, une politique de standardisation tous azimuts qui coupe la racine européenne de diversité linguistique, culturelle et sociétale, etc…

Pour lutter contre le rejet de l’UE, il ne suffit plus de changer quelque chose dans le système, il faut changer le système. Mais vu l’incapacité de nos politiques nationaux à saisir la source du mécontentement, il faut abandonner l’idée que ce sont eux qui peuvent porter le changement. Et ce d’autant plus qu’ils n’ont plus le pouvoir de changer les choses en Europe. C’est donc aux Européens eux-mêmes de s’organiser, non seulement sans, mais contre leurs systèmes politiques nationaux. Et c’est là que le bât blesse. Rien de tel qu’une société civile n’existe au niveau européen. Certes, des groupes de pression et d’intérêts existent qui arrivent à agir dans des domaines spécifiques. Mais sur de grandes questions, c’est le néant absolu. D’où le pouvoir exorbitant des technocrates de Bruxelles qui n’ont aucune force politique légitimée par une élection démocratique en face d’eux au niveau européen. Ils n’ont qu’à s’arranger avec les bureaucrates nationaux.

Franck Biancheri, en créant Newropeans en 2005 pour participer aux élections européennes de 2009, avait bien vu qu’une prise de pouvoir démocratique en Europe ne pouvait se faire qu’au sein de l’enceinte transeuropéenne ouverte au scrutin démocratique, le Parlement européen. Mais cette belle initiative n’a pas porté les fruits escomptés. Newropeans fut totalement mis à l’écart par les médias, viscéralement opposés à tout nouveau vecteur politique qui ne fait pas partie de leur imaginaire – et de leurs cercles d’amis et de trafic d’influence. Ainsi, dans une démocratie qui passe essentiellement par des médias, Newropeans n’a pas pu prouver que des partis transeuropéens (équipe leadeur unique, programme unique) étaient bel et bien possibles – et surtout NECESSAIRES. Nécessaires pour organiser un forum démocratique européen, constitué des Européens, qui comprennent l’Europe et se détachent des intérêts purement nationaux des systèmes politiques nationaux, qui ne se servent du niveau européen que pour leurs propres fins. Mais il faut espérer – si l’on ne veut pas perdre l’espoir en un avenir pour l’Europe – que bon nombre de députés européens, même s’ils sont issus de systèmes nationaux, sont de vrais Européens d’âme et de conviction. Et qu’ils comprennent qu’en vue de la crise existentielle dans laquelle se trouve une Europe (qui a trahi son rôle historique de protagoniste de paix et joue au va-t’en guerre à côté des Américains), il est de leur tâche de se constituer en tant qu’états généraux de l’Euroland pour débattre enfin les questions qui importent aujourd’hui en Europe : Quelle Europe voulons-nous ? Pour quoi faire ? Comment lui conférer une légitimité démocratique ? Quel partage de pouvoir et de compétences entre les institutions européennes et les états-nations ? Et de ce débat doit naître la volonté de se constituer en assemblée constituante d’Euroland qui rédigera une Constitution d’Euroland qui ressemble tous les états-membres de la zone Euro partageant la volonté de faire évoluer cette « chose » du droit public international « sui generis» vers une véritable entité politique. Les Etats-Généraux de France et de Navarre que Louis XVI avait convoqués pour voter de nouvelles taxes mais qui, face à l’urgence de la situation historique, ont su se soulever au-dessus du rôle qui était le leur dans l’ancien régime, n’ont pas agi autrement.

Bien sûr, ce serait une révolution. Mais les situations extrêmes appellent les actions extrêmes. C’est le choix entre l’Europe d’une longue agonie et celle d’une Europe d’avenir. Pour une fois, c’est effectivement TINA (« there is no alternative »). Les députés européens, élus démocratiquement dans leurs états-membres, ont tout à fait la possibilité – et la légitimité – de sauter ce pas ; sous condition, bien sûr, de faire ratifier leur projet de constitution par un référendum transeuropéen. Si nos élus européens ne trouvent pas le courage nécessaire, l’idée d’une Europe indépendante, démocratique, garant de paix et de prospérité est en grand danger. Notre destin serait de passer sous dépendance américaine, poussés vers un antagonisme anti-russe et anti-BRICS complètement obsolète et à l’encontre des intérêts des Européens. Cette une tâche énorme. C’est un risque immense. Mais ne pas tenter la chance correspondrait à passer à côté de l’Histoire et à trahir les intentions des pères fondateurs du projet européen.

À propos Marie Hélène

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