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Vers une politique commune de l’UE en direction du Monde Arabe

Note de synthèse – Séminaire GlobalEurope 2020 UE/Monde arabe (Paris, 14 octobre 2003)
28/10/2003

La future politique commune de l’Union pour le Monde Arabe devra suivre une direction innovante comparée aux relations bilatérales existant actuellement et construites par les Etats Membres au cours des décennies ou des siècles passés. Mêlant facteurs objectifs (démographie, énergie, eau, sécurité) aux contraintes politiques du XXIème siècle (globalisation, démocratisation, l’UE peut devenir un partenaire essentiel de cette région contribuant à transformer les populations arabes en citoyens à part entière du monde du XXIème siècle, dotés des bons atouts économiques, sociaux, culturels et politiques.

Il ne s’agit plus tant de rapprocher à court terme les Etats arabes de l’UE ; mais de contribuer à faire émerger à moyen et long terme une entité politique arabe (autour de la Ligue arabe à re-dynamiser ou de toute autre institution souhaitable) appuyée sur des flux intra-Monde arabe en matière économique, commerciale, financière, humaine et intellectuelle. L’unité politique du monde arabe soutenue par des partenaires extérieurs est peut-être le seul moyen efficace d’apporter démocratie et stabilité à cette région.

Le rôle joué par les Etats-Unis vis-à-vis de l’Europe après la Deuxième Guerre Mondiale constitue une analogie pertinente. Pour ce faire, il apparaît nécessaire de découpler la politique extérieure de l’UE envers le Monde Arabe du conflit israëlo-palestinien (qui mérite un traitement ad hoc relevant de politique mondiale et de politique de voisinage de l’UE). En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, une politique qui vise à démocratiser la zone contribuera efficacement à distinguer islam et monde arabe au niveau politique, tout en réduisant la base sociale du terrorisme (la pauvreté et l’absence de droits politiques). Les instruments intellectuels tels que “Proche-Orient”, “Euromed”,…ne sont plus pertinents pour une approche commune de la région arabe qui doit être envisagée comme un tout. Des outils opérationnels comme le processus de Barcelone ou Meda ont ouvert la voie à une nouvelle génération de méthodes et d’instruments qui doivent être adaptés à des nouveaux objectifs et être développés en partenariat avec des opérateurs arabes venus de tous les secteurs de la société.

La crise irakienne offre aujourd’hui, et pour les prochaines années, une occasion unique pour l’UE d’affirmer une approche innovante et audacieuse dans cette région. Et les récentes déclarations du Président américain à propos de l’objectif de démocratisation des Etats Arabes, bien que ne correspondant actuellement à aucune stratégie ou instrument, offre clairement une occasion historique pour les européens et les américains de collaborer à ce qui est peut-être le plus grand défi démocratique des prochaines décennies.

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La journée de travaux de la quarantaine de participants européens, représentant 17 Etats-Membres et futurs membres, réunis le 14 Octobre au Centre International de Conférences de Paris, a permis de dégager un axe stratégique général et une approche méthodologique de ce que pourrait être une politique de l’Union européenne en direction du Monde Arabe à l’horizon 2020.

L’UE souhaite-t-elle traiter avec un monde arabe divisé ou bien a-t-elle intérêt à contribuer à l’émergence d’une unité arabe réelle au XXI° siècle ?

Lors du séminaire, l’importance des débats autour de la pertinence du concept de « monde arabe » illustre à quel point la relation entre l’UE et cette zone du monde est complexe. Dans l’UE, les Etats-Membres ont chacun construit une vision propre de cette région du monde. Les pays les plus proches, historiquement (colonisation), géographiquement et culturellement (Méditerranée), ont tendance à morceler le Monde arabe en une série de sous-ensembles liés à la réalité de différences indéniables entre sous-parties de l’ensemble arabe ; mais aussi à l’historique des relations de chaque pays avec cette zone (Euro-Méditerranée, Maghreb, Proche-Orient, Moyen-Orient, ..). Cette situation contribue en Europe à faire douter de l’existence même d’un Monde Arabe (et pas seulement de sa pertinence comme concept). Pourtant il apparaît rapidement que ce doute résulte d’une lecture récente de l’Histoire, doublée d’une vision européo-centriste.

En effet, le Monde arabe existe bien ; il a même plus d’existence que l’Europe du début des années 50 : une histoire commune, une langue commune, une culture commune et sans aucun doute nombre de défis communs à relever (démographie, démocratie, gestion de son manque d’eau, gestion de ses ressources énergétiques, développement économique et social et marginalisation dans le processus de mondialisation). Il constitue également un ressort politique qui porte du sens auprès des populations de cette région. Les divisions internes ne sont pas supérieures à celles que l’Union européenne a pu connaître en termes culturels (et le Monde Arabe bénéficie au moins d’une langue véhiculaire commune) ; et les immenses disparités économiques des années 70 s’estompent concourant à une homogénéisation de la zone (par exemple, l’Arabie saoudite est aujourd’hui confrontée aux mêmes problèmes de pauvreté que les autres pays arabes).

Le Monde Arabe est une dimension pertinente pour l’action extérieure de l’UE en direction de cette zone. Pour agir efficacement en direction du Monde Arabe, l’UE doit en effet être en mesure d’intégrer les visions et les relations bilatérales très différentes qu’elle a avec cette zone :

- l’absence de relations historiques (ou presque) des Etats-Membres d’Europe du Nord

- le passé colonial des anciennes métropoles (France, Royaume-Uni)

- le statut de zone frontière (Espagne ou Portugal)

- l’immigration arabe massive de l’après 2° guerre mondiale (touchant désormais une grande partie de l’UE)

- les intérêts économiques divers

- les craintes sécuritaires liées au terrorisme intégriste.

Cette diversité d’intérêts se cumule avec une division conceptuelle de la région calquée sur une vision européenne des anciennes métropoles ou des pays méditerranéens de l’UE : « Proche Orient », « Moyen-Orient »,… proche de qui, sinon de nous Européens ? Les arabes parlent quant à eux d’« Orient central » ! Le caractère artificiel et obsolète de ces visions est de plus illustré par l’incapacité de ces « sous-ensembles » à exister par eux-mêmes. Ainsi l’Euro-Méditerranée est un projet dans l’impasse : soit il est pris en otage par les crises au Moyen-Orient ; soit, dans de nombreux domaines essentiels pour les Européens (terrorisme, intégrisme,… ), il est directement influencé par des acteurs ou des flux issus d’autres régions du Monde Arabe qui de plus constituent dans la zone les partenaires principaux de l’UE en matière énergétique.

Le Monde Arabe constitue une dimension essentielle pour structurer une politique de l’UE en matière de relations extérieures adaptée au XXI° siècle.

La politique extérieure de l’UE ne peut exister qu’en respectant deux impératifs incontournables : elle doit être efficace (servir les intérêts de l’UE) et elle doit être capable de générer un soutien des opinions publiques européennes. Ces deux impératifs sont liés puisque, in fine en démocratie, ce seront les citoyens qui détermineront en sanctionnant ou soutenant leurs dirigeants (et le projet communautaire en général) si ces intérêts communs sont efficacement servis. En la matière, les relations UE/Monde Arabe, avec les relations UE/USA et UE/RUSSIE, sont certainement celles qui auront l’impact le plus direct sur l’opinion publique européenne. Ne serait-ce que parce que le Monde Arabe est aujourd’hui « tout à la fois une banlieue de l’UE et dans les banlieues de l’UE » !

L’UE a-t-elle donc intérêt à diviser ou à rassembler ? Existe-t-il même un choix ?

A priori, il existe un choix car l’UE peut contribuer à donner corps au Monde Arabe au XXI° siècle. Il suffit de se rappeler que si l’UE existe aujourd’hui, c’est notamment dû au fait que deux puissances externes ont joué un rôle majeur dans son émergence dans les années 50 : les Etats-Unis, en soutenant activement le processus communautaire ; l’URSS, en stimulant par la peur l’émergence d’une Europe occidentale unie. Sans ces « parrains » extérieurs, l’UE serait restée un « rêve européen ». Dans les décennies à venir, l’UE a les moyens de jouer un rôle actif pour aider le Monde Arabe à se construire comme l’un des acteurs internationaux du XXI° siècle. Et le Monde arabe attend beaucoup de l’Europe. Par ailleurs, les dimensions sont compatibles : environ un même poids de population à l’horizon 2020 (500 millions d’habitants pour chaque zone) et un ratio économique favorable (le PIB du Monde Arabe était égal à celui de l’Espagne en 1999 : environ 500 Milliards Euros). De toutes façons, décevoir serait assurément échouer dans une relation qui ne peut-être que de long terme (nous avons déjà 1500 ans d’histoire partagée).

Mais l’UE a-t-elle intérêt à s’engager dans une telle stratégie de long terme ?

Diviser, cela sert essentiellement à régner comme l’Histoire nous l’enseigne. La politique extérieure de l’UE vise-t-elle à régner où que ce soit ? Cela est peu probable dans la mesure où :

- le processus communautaire lui-même se conçoit comme une alternative au rêve de domination (et l’UE pourrait difficilement survivre si elle promouvait à l’extérieur une politique antinomique avec ses propres fondements internes)

- ses atouts sont d’un ordre autre que ceux de la puissance militaire (softpower contre harpower)

- la domination à long terme est un leurre comme le XX° siècle nous l’a enseigné

- l’UE est condamnée par sa nature (complexe, lourde) à concevoir des stratégies de long terme.

Et la relation UE/Monde Arabe est caractérisée par nombre de défis communs ancrés dans la durée :

. la démographie : d’ici 2020, le Monde Arabe comptera autant d’habitants que l’UE – 500 millions – mais avec un ratio jeunes/vieux inversé

. les ressources énergétiques : avec les principales réserves de pétrole du monde, le Monde Arabe – 47% de la production mondiale en 2020 contre 30% en 2003 – constitue le partenaire central de toute politique énergétique à long terme de l’UE)

. la démocratisation : élites en faillite morale et intellectuelle, populations sans influence sur les processus décisionnels, états omniprésents et impuissants, …. la démocratisation du Monde Arabe est l’affaire d’au moins une ou deux générations

. la gestion de la pénurie d’eau : l’ampleur du problème – 1% des réserves d’eau mondiale pour 5% de la population – et le rôle naturel de l’Europe – 6% des pluies de la Méditerranée tombent sur la rive arabe contre 94% sur la rive européenne, doivent incitent les européens à contribuer à la recherche de solutions..

Pour élaborer les stratégies, méthodes et instruments destinés à traiter des questions d’une telle complexité, l’UE doit nécessairement s’inscrire dans la longue durée et s’assurer que l’ensemble des paramètres est intégré.

Une vision globale et de longue durée des relations entre UE et Monde Arabe n’est pas une vision abstraite ; elle doit au contraire porter une attention extrême à la réalité, et en particulier aux citoyens comme aux différents opérateurs économiques, sociaux, culturels, scientifiques et politiques.

En paraphrasant un cliché qui fleurit dans l’imaginaire européen (celui d’un monde arabe empêtré dans un passé archaïque), l’objectif de l’UE pourrait se traduire par une volonté de faire des citoyens arabes des citoyens à part entière du monde du XXI° siècle à l’horizon 2020. Pour parvenir à mettre en œuvre une telle politique, l’UE doit inventer de nouvelles méthodes en tirant les leçons des décennies passées.

Les bientôt dix années du processus de Barcelone doivent conduire à des constats clairs :

. l’EuroMed n’est qu’un instrument et il n’a pas tenu ses promesses : Il est une entité inventée par les Européens du Sud et ne repose sur aucune réalité européenne ou arabe. D’ailleurs, malgré dix années d’efforts, seuls les professionnels de la coopération restent impliqués dans les processus société civile (le reste de la société civile européenne ou arabe n’a pas suivi). L’EuroMed est d’une très grande hétérogénéité (notamment en incluant la Turquie et Israël) qui conduit à une paralysie de l’ensemble en termes politiques. Enfin, la gestion bureaucratique centralisée du processus a abouti à un sentiment de frustration important de tous les acteurs socio-économiques impliqués, tout en donnant un signal négatif (s’appuyer sur les Etats alors qu’ils sont une grande partie du problème dans le Monde Arabe). Et les subventions ont généralement pour résultat d’alimenter le processus de corruption très florissant dans les appareils d’Etat de la région. Les nouvelles approches via la BEI et la notion de prêts aux entreprises (plutôt que des aides budgétaires comme MEDA) sont plus en phase avec l’objectif de préparer un citoyen arabe du XXI° siècle.

. Stimuler les échanges intra-Monde arabe plutôt que les échanges avec l’UE : La quasi inexistence des coopérations intra-arabes oblige à se demander si l’objectif de création d’une zone de libre échange EuroMed est une stratégie utile (si elle est faisable). L’intérêt de l’UE à moyen et long termes est de pouvoir coopérer avec un Monde arabe stable et prospère. La priorité devrait donc être à la stimulation des échanges intra-Monde arabe plutôt qu’à l’ouverture de leurs marchés aux opérateurs de l’UE. La faible taille du marché arabe légitime l’idée qu’il pourrait être plus intéressant de d’abord stimuler sa croissance interne. Cette exigence de libéralisation des échanges internes ne concerne pas uniquement les produits et services mais aussi les idées et les hommes et femmes. En terme d’éducation, de formation, c’est plus une aide à l’émergence de pôles d’excellence intra-Arabe que l’UE doit viser, que des échanges UE/Monde Arabe. Ces approches contribueront aussi à moderniser et ouvrir considérablement les appareils d’Etat particulièrement opaques et bureaucratiques des différents Etats arabes. Une action européenne se fondant sur l’identification et la valorisation de pôles d’excellence dans le monde arabe présenterait de nombreux avantages :

- éviter à l’UE de retomber dans les clichés des méthodes post-coloniales (qui n’auront pas épargné, à juste titre, la coopération Euromed)

- combiner l’existence de sous-régions arabes et la nécessité de coopération intra-arabe : selon les chantiers abordés (démocratie, gestion de l’eau, gestion des ressources énergétiques, développement économique, éducation…) des groupes leader-partenaires différents se dessineront naturellement, auxquels pourront se rallier peu à peu les autres pays

- appliquer à l’extérieur une vraie leçon de la construction européenne : le succès de la construction de l’UE est largement lié à l’invention de cette méthode modulaire de libre association de pays autour de projets d’intérêt commun

D’une manière générale, ces dernières années ont apporté directement (avec le processus de Barcelone) ou indirectement (avec l’élargissement) à l’Union européenne des expériences très utiles lui permettant d’espérer pouvoir élaborer et mettre en œuvre une politique globale de ses relations avec le Monde Arabe à l’horizon 2020. L’enjeu est crucial pour l’UE car ses relations avec le Monde Arabe conditionnent de nombreux aspects de sa prospérité et de sa stabilité à venir (énergie, immigration, sécurité, ..).

Les causes et conséquences des problèmes du Monde arabe interdisent de persévérer dans une approche fragmentée issue des traditions diplomatiques nationales, inadaptée par rapport au XXI° siècle et à la nature de l’Union européenne.

Cette vision globale et de long terme peut et doit se donner une finalité concrète permettant de s’assurer un fort soutien des populations tant dans l’UE que dans le Monde Arabe : contribuer à faire du citoyen arabe un citoyen à part entière du XXI° siècle peut résumer cet objectif. Les instruments existent pour mettre dès aujourd’hui une telle politique en œuvre (communautaires ou nationaux). L’UE doit seulement les moderniser et les coordonner autour d’un objectif identique. Le plus important changement requis, pour les Européens et en particulier pour les décideurs et acteurs de la politique étrangère européenne, est d’ordre intellectuel : il ne s’agit plus tant de rapprocher à court terme les Etats arabes de l’UE ; mais de contribuer à faire émerger à moyen et long terme une entité politique arabe (autour de la Ligue arabe à re-dynamiser ou de toute autre institution souhaitable) appuyée sur des flux intra-Monde arabe en matière économique, commerciale, financière, humaine et intellectuelle. Le rôle joué par les Etats-Unis vis-à-vis de l’Europe après la Deuxième Guerre Mondiale constitue une analogie pertinente. Pour ce faire, il apparaît nécessaire de découpler la politique extérieure de l’UE envers le Monde Arabe du conflit israëlo-palestinien qui mérite un traitement ad hoc relevant de politique mondiale et de politique de voisinage de l’UE. En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, une politique qui vise à démocratiser la zone contribuera efficacement à distinguer islam et monde arabe au niveau politique, tout en réduisant la base sociale du terrorisme (la pauvreté et l’absence de droits politiques).

La crise irakienne offre aujourd’hui, et pour les prochaines années, une occasion unique pour l’UE d’affirmer une approche innovante et audacieuse dans cette région. Et les récentes déclarations du Président américain à propos de l’objectif de démocratisation des Etats Arabes, bien que ne correspondant actuellement à aucune stratégie ou instrument, offre clairement une occasion historique pour les européens et les américains de collaborer à ce qui est peut-être le plus grand défi démocratique des prochaines décennies. Ce qui est certain, c’est que l’Union a bien peu à perdre à tenter une approche nouvelle.

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En 2005, à l’issue de la première série de séminaires GlobalEurope, Europe 2020 organisera un deuxième cycle de séminaires sur le même thème qui se dérouleront dans les différentes régions du monde abordées en 2003/2004. Organisés avec les acteurs politiques, économiques, culturels et sociaux de ces régions, ils auront vocation à présenter la nouvelle approche européenne commune concernant leur région et à débattre des méthodes et instruments concrets pouvant efficacement servir sa mise en œuvre. Les résultats de ce premier séminaire seront ainsi débattus et développés en 2005 dans l’un des pays du Monde arabe avec des représentants de l’ensemble du Monde Arabe.


Ce document engage la seule responsabilité d’Europe 2020 Et ne reflète pas les points de vue du Ministère français des Affaires étrangères

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