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Une certaine idée des Pays-Bas

par Jos de Beus
29/03/2006

« Une époque intéressante est toujours une époque énigmatique, qui ne promet guère de repos, de prospérité, de continuité, de sécurité » Paul Valéry, Variété (1938), cité par Eugen Weber The Hollow Years, France in the 1930s, Londres Sinclair-Stevenson, 1995, p.3.

L’éloignement de deux peuples européens apparentés Les Pays-Bas, depuis peu, connaissent une crise d’identité nationale et une ambiance clairement pessimiste [1]. Le Néerlandais moyen se sent menacé ou contrarié, anxieux ou fâché, résigné ou dubitatif, mais déprimé dans tous les cas. Voilà un parcours que d’autres démocraties occidentales telles que la France avaient emprunté dès la fin du vingtième siècle.

Les hauts fonctionnaires, chef d’entreprises multinationales et chercheurs en sciences sociales ont tout à apprendre d’une analyse actuelle de la société et de la politique néerlandaise avec la France en perspective. Mais qui d’autre cela intéresse-t-il ? Depuis longtemps, il est question de l’éloignement qui se fait jour entre les mentalités française et néerlandaise. C’est un processus graduel, qui s’opère en dépit des nombreuses initiatives culturelles des ambassades concernées, de la Maison Descartes et de l’Institut Néerlandais et malgré l’émergence constante d’excellents interprètes [2].

Les Français ne s’occupent pas des Pays-Bas, à moins qu’ils ne s’intéressent à un incident mis en évidence par la presse. Dans ces cas fort rares, les Pays-Bas constituent une alternative très instructive pour le Français mécontent ou l’homme de gauche intelligent intéressé par la manière de résoudre le problème de l’euthanasie à partir d’une concertation en toute transparence, ou encore la gestion conjointe de l’Etat par le gouvernement, les organisations sociales et les instances consultatives. Le Français satisfait et l’homme de droite intelligent y voient aussi l’illustration de l’infériorité de l’étranger par le bien de la consommation de drogue, qui touche plus particulièrement les citoyens socialement plus faibles, ou par une indifférence déguisée en tolérance multi-ethnique. Du côté néerlandais, on constate un intérêt comparable, tout aussi sélectif et accidentel. Les Néerlandais conscients d’eux-mêmes estiment en général qu’ils en savent plus que Paris (à bas la force nucléaire française, la protection du paysan et l’omnipotence présidentielle !). Ceux qui ne se sentent pas sûrs d’eux-mêmes cherchent leur salut dans le modèle canadien ou suédois, mais jamais ou presque dans le modèle français.

J’exagère, certes. En 1851, quelques centaines de Néerlandais seulement habitaient le Nord de la France. Ils faisaient partie des 380 000 étrangers qui représentaient alors 1 % de la population française. En 2005, des milliers de Néerlandais possèdent une résidence secondaire dans l’Hexagone et quelques centaines de milliers de leurs compatriotes sont heureux de passer leurs vacances en France. Du côté néerlandais, on connaît toujours la cuisine française, le festival de Cannes, Roland Garros et le Tour de France, le maître à penser parisien (que ce soit Bourdieu, Braudel, Foucault ou encore, pour parler des vivants, Finkielkraut, Guéhenno et Manin), les débuts qui font scandale (Houellebecq), l’islamologue (Kepel, Roy), le grand footballeur (Platini, Zidane), les contributions françaises à la civilisation universelle (Shoah de Lanzmann), sans oublier l’Eglise wallonne (essentiellement composée de descendants de Huguenots). L’intérêt des Néerlandais pour l’art de vivre à la française est toutefois devenu plus restreint, plus exclusif et moins engagé que lors des « trente glorieuses » (Fourastié), au moment de l’existentialisme, de la Nouvelle Vague et de la révolte de 68. Sans parler de l’orientation française des régents néerlandais avant la Quatrième République, qui relève de la Préhistoire.

Qu’il s’agisse de culture avec un grand ou un petit c, la nécessité d’un rapport avec la France a disparu depuis longtemps au profit d’un choix idiosyncrasique, quelque peu frivole. Le déclin de la chanson française illustre encore le mieux ce qui apparaît comme la disparition d’une « seconde patrie ». Constatons également, toutefois, que cette attraction moindre de l’Hexagone ne suscite point de regrets, côté français, comme en témoigne le tollé contre la libéralisation des services décidée par le commissaire européen Bolkestein. Ces protestations avaient des traits néerlandophobes (« Frankenstein »). Les Néerlandais sont parfois considérés comme ceux qui transportent les noix de coco de Voltaire : des idées peu françaises mûrissent en Grande-Bretagne et des philosophes comme Bolkestein les transportent vers Paris.

Il se trouve même d’éminents Néerlandais pour défendre ce manque d’implication envers tout ce qui se passe en France – comme le montre l’exemple de la ministre libérale des Transports et des Eaux dans les gouvernements de Wim Kok. Pour eux, c’est la réponse qui convient à la réserve française, l’arrogance et la roublardise. Mitterrand et Chirac sont vus, de ce côté-ci des frontières, comme l’incarnation d’une Realpolitik aux déclinaisons multiples. Mais il s’agit là d’un raisonnement freudien. L’éloignement entre les deux pays a relativement peu de rapports avec les faux pas de diplomates ou de chefs de gouvernement français ou néerlandais. Il est en revanche étroitement lié à une évolution de la société à plus grande échelle.

Après la deuxième guerre mondiale, l’hégémonie des Etats-Unis s’est imposée. Aux Pays-Bas, les jeunes se sont détournés du Vieux Continent maladif et se sont tournés vers la culture énergique des Américains, telle qu’elle se manifeste dans le jazz. L’exemple de la génération d’après-guerre a été suivi, même si ce fut de manière différente, par chacune des nouvelles générations : anti-autoritaire au cours des années 1960, désorientée pendant la crise des années 1980, pragmatique et engagée [3] au temps de la « nouvelle économie » des années 1990. L’anti-américanisme lié aux conflits du Vietnam, d’Israël/Palestine et d’Irak s’explique, lui, par une obsession culturelle à l’égard de la nouvelle grande puissance, même si les événements ont lieu en dehors de la zone européenne.

Autre tendance : la perte de compétence linguistique dans les deux pays. Aux Pays-Bas, le trilinguisme (allemand, anglais, français) a cédé la place à un bilinguisme qui affaiblit et détériore la maîtrise du néerlandais comme de l’anglais s’est affaiblie et détériorée. En France, la disposition à parler anglais reste toujours limitée. Dès lors, il est inévitable que se tarisse le va et vient des conversations, des actualités radio et télévisées, des e-mails, des lettres, des romans, des poèmes, des traités, des documentaires et autres paroles d’une action collective.

Dernière tendance : la diminution de la curiosité des journalistes et des intellectuels français et néerlandais à l’égard de l’autre. Les Français cherchent rarement à comprendre ce que l’on a appelé le « modèle des polders » de modernisation économique (recherche d’un consensus par la voie d’un large accord sur la modération salariale, les mesures de rigueur dans le secteur public et la régulation de l’économie sociale de marché). Les Néerlandais cherchent rarement à réfléchir au modèle de laïcité censé former la Nation (valeurs républicaines, caractère strictement privé de la religion, enseignement public au service de l’égalité des chances). Parfois, le temps d’un soupir, il se produit comme une régurgitation quand des délégations ministérielles et des partis politiques viennent en visite dans la capitale de l’autre. Ce fut le cas lorsque la commission Stasi (2003), dans son rapport final concernant la sécularisation de l’islam, évoqua l’échec des Pays-Bas à accueillir les immigrés non européens. Mais ces contacts ne vont pas bien loin. Les Français et les Néerlandais en savent moins sur la vie quotidienne de l’autre que sur celle des Etats-Unis. Peu de Français ont conscience que les Pays-Bas sont devenus un Etat unitaire, où le séparatisme des Frisons, des Limbourgeois ou des Zélandais a peu de chances de succès. Peu de Néerlandais se rendent compte que les Français ont continué à étudier l’Orient même après la perte de leurs colonies – ce qui ne fut pas le cas en Hollande, de sorte que la France a précédé les Pays-Bas lorsqu’il s’est agi de reconnaître tant soit peu les imams, la place des mosquées et autres éléments de vie des Arabes.

Cet éloignement, somme toute, contribue à l’intégration européenne des lois françaises et néerlandaises, des services publics et des entreprises, sans que pour autant l’espace politique s’européanise, ni l’identité nationale ni la citoyenneté. Cette situation deviendra rapidement intenable.

L’intérêt de renouer avec le bilatéralisme

Il est tentant, d’un point de vue tout simplement pratique, d’accepter les différences entre la France et les Pays-Bas. Un grand pays et un petit, une république et une royauté, des révolutions récurrentes depuis 1789 et des révolutions avortées depuis 1781 (la « Révolution batave » de 1781-1795), une autorité centralisée et une forte société bourgeoise, un antilibéralisme et un libéralisme dynamique, un colonialisme qui se perpétue (l’Afrique, la Nouvelle Calédonie, la francophonie) et un colonialisme sublimé (aide au développement, action humanitaire, droit des peuples), l’amour de la beauté et le pragmatisme, la tartufferie et l’esprit borné, etc.

Il est tout aussi tentant de prétendre que les similitudes n’apportent pas de grain à moudre à la pratique du quotidien : deux mythes de la résistance au national-socialisme ; deux décolonisations traumatisantes (l’Algérie et les Indes néerlandaises), deux semi-victoires du féminisme ; deux interventions humanitaires ratées ( Kigali au Rwanda et Srebrenica en Bosnie), deux exemples de discrédit de la technocratie (« énarques » et « interim managers »), deux changements radicaux dans des politiques de parti, caractérisées par le rapprochement idéologique, les campagnes permanentes, le populisme, le recul de la vie parlementaire au profit des médias, les cas de corruption (donc Jospin et Kok, le Pen et Fortuyn, Bové et Marijnissen) ; deux fois non au traité constitutionnel de Rome et deux trimestres de récession et de crainte devant la mondialisation [4].

Il y a, cependant, de bonnes raisons de plaider pour une amélioration des rapports franco-néerlandais, ici et maintenant.

Tout d’abord, la France comme les Pays-Bas peuvent se définir comme des sociétés bloquées. Elles se débattent contre un immobilisme de leur cru généré par l’absence ou l’échec du sens collectif chez bon nombre d’individualistes : égoïstes fortunés, classes moyennes conservatrices et traînards délibérés. Les deux pays, malgré leur haut niveau de technologie, de capacité d’organisation, de richesse, d’humanité et de libertés démocratiques, n’ont toujours pas trouvé l’équilibre entre la manière dont ils se sont organisés et leur adaptation dans une période d’instabilité (terrorisme, concurrence de l’Asie, déséquilibre de l’économie mondiale, tensions ethniques, islamisme, malaise électoral, manque de coordination tant à l’intérieur des segments de la société qu’entre ces segments et les secteurs publics). En France comme aux Pays-bas, un acquis élémentaire est en jeu : la foi des dirigeants et des citoyens en un idéal de société ouverte – où personne n’a à redouter le rappel à l’ordre du voisin ou des autorités.

En second lieu, l’idée d’une dislocation de l’Union Européenne n’est plus hypothétique. Français et Néerlandais, pour le moment, n’ont pas le sentiment d’être le moins du monde solidaires sur des dossiers tels que le bon fonctionnement du marché interne, la gestion de l’union économique et monétaire (banque centrale européenne, pacte de stabilité et de croissance), la réussite de l’élargissement vers l’Est et le traitement européen du terrorisme. Si le Conseil européen devait pousser les Pays-Bas dans leurs retranchements pour qu’ils choisissent entre une méthode proaméricaine d’union européenne et une méthode anti-américaine, ils n’opteraient plus pour la neutralité, mais formeraient une coalition avec la Grande-Bretagne, les pays scandinaves et les pays de l’ancien Mitteleuropa. Ce serait alors la fin d’une collaboration de presque soixante ans avec la France – ou la Belgique. Il y aurait certainement pour cela un prix à payer, sans que les peuples concernés y trouvent avantage.

En troisième et dernier lieu, les Pays-Bas ont tout à perdre d’une diminution de l’influence française parmi les influences étrangères, sans que la France y gagne pour autant. Les Pays-Bas ont de tout temps tiré des leçons positives de la formation à la française des élites, de la foi française dans le débat sur sa propre histoire et sa propre grandeur (y compris par l’ironie et l’hypocrisie), de la vision française et de son pragmatisme imaginatif en matière d’affaires et d’intégration européennes par le biais des institutions européennes ; ils se sont inspirés du réalisme géopolitique français, de la tradition martiale de la France et de son combat contre le terrorisme, de l’alternative française à la mondialisation d’institutions et de pratiques américaines (en protégeant par exemple la langue et la culture françaises). Si les politiques néerlandais utilisaient la faiblesse actuelle du modèle français pour augmenter l’influence des Etats-Unis et, dans une moindre mesure, de la Grande-Bretagne dans l’orientation unilatérale du développement, cela signifierait une rupture de l’équilibre néerlandais, mais tout autant un affaiblissement de la diversité européenne et mondiale.

C’est sur cette base que je souhaiterais avancer une triple thèse. Je prétends tout d’abord que les Pays-Bas connaissent une sorte de faux départ pour le XXIe siècle, qui touche aux fondements mêmes de leur ordre politique. L’impasse ne concerne pas uniquement l’affaiblissement économique, la transition d’un esprit du temps progressiste vers un conservatisme par-delà la normalisation du modèle européen d’instabilité. Je prétends, deuxièmement, que les Pays-Bas, face à la mondialisation galopante, sont actuellement en lutte pour redevenir eux-mêmes. Il en va du renouveau de la conscience nationale, des lignes de partage internes, du cadre constitutionnel et du rôle des autorités à La Haye. Et en troisième lieu, je prétends que les Pays-Bas peuvent, en cela, s’inspirer de la France et qu’ils n’ont pas à méconnaître leur propre tradition.

Les Pays-Bas ont pris un faux départ à l’aube du nouveau millénaire

Différentes études montrent que les Néerlandais sont certes heureux de la vie qu’ils mènent, mais qu’ils éprouvent une très grande insatisfaction envers la société, les pouvoirs publics et leur avenir commun. Pour autant qu’on ne l’attribue pas aux traits du caractère national (au même titre que la placidité, l’attachement au foyer et le sens de l’économie), cette morosité constitue un fait nouveau et ne s’est manifestée que rarement au plus fort du « modèle des polders » (1995-2000). Certains observateurs considèrent que les médias ont amplifié le phénomène et qu’il résulte plutôt de la volonté délibérée des gouvernements Balkenende I (2002-2003) et Balkenende II (de 2003 à nos jours) de susciter la crainte et le sentiment de crise. Les deux coalitions successives, qui ont rassemblé à droite les démocrates-chrétiens et les libéraux – auxquels se sont ajoutés, dans le premier gouvernement Balkenende, les populistes du mouvement Fortuyn – se sont livrées à une critique morale de l’individualisation et des effets involontaires de la pensée progressiste (fraude fiscale, recul du bénévolat) tout en appelant les citoyens à la responsabilité individuelle pour affronter l’adversité.

Mais ces observateurs ont tort. La morosité de l’opinion publique néerlandaise reflète un « faux départ » manifeste du pays tout entier en ce nouveau siècle, même si la débâcle annoncée du réseau informatique en l’an 2000 n’a finalement pas eu lieu. Premièrement, l’économie s’est immobilisée. La production a chuté, le chômage s’est accru, l’inflation a augmenté (surtout en 2001 et 2002), la compétitivité des entreprises exportatrices s’est affaiblie et la percée des nouvelles technologies de l’information et de la communication (pour rattraper le retard sur les Etats-Unis) se fait encore attendre. L’évolution de l’entreprise vers le capitalisme actionnarial s’est poursuivie, sans faire taire les critiques émanant de la société civile sur l’enrichissement de dirigeants dépourvus de qualités d’entrepreneur, en l’absence de tout contrôle rigoureux de la part des conseils d’administration, des organismes indépendants et des représentants du peuple. Le scandale comptable au sein de la multinationale Ahold constitue l’équivalent néerlandais de l’affaire qui a touché le groupe américain Enron.

Deuxièmement, on a vu dans les villes augmenter les tensions entre Néerlandais d’origine et nouveaux Néerlandais (Antillais, Marocains, Turcs), alors que, dans l’ouest du pays, la supériorité démographique des immigrés devient manifeste. Ces tensions se sont traduites par la ségrégation des quartiers et des écoles, l’augmentation du sentiment d’insécurité, la radicalisation des jeunes (islamisme, extrémisme de droite) et le soutien à Pim Fortuyn et à son combat contre l’islamisation des Pays-Bas. La commission Blok (2004), qui a mené une enquête parlementaire portant sur trente ans de politique d’immigration basée sur « l’intégration avec maintien de l’identité du groupe », a constaté que la situation des minorités ethniques aux Pays-Bas était bien pire que dans les pays voisins, dont la France. Les Pays-Bas connaissent un plus haut degré de ségrégation relative, de chômage, de dépendance à l’égard des allocations sociales et de surreprésentation des minorités ethniques dans les prisons, comparée à la population nationale.

Troisièmement, le sentiment de frustration et de déception à l’égard de la qualité des services publics a pris de l’ampleur au sein de la population. Ce secteur public est depuis plus de dix ans l’objet de campagnes de libéralisation, d’autonomisation, de commercialisation, de privatisation et d’européanisation. On trouve bien quelques exemples d’initiatives efficaces et populaires (comme l’innovation dans le domaine des communications et la commercialisation de la télévision), mais les illustrations de la qualité décevante et du coût excessif des services publics (chemins de fer, compagnies d’électricité, institutions éducatives, hôpitaux, assureurs sociaux) sont beaucoup plus nombreuses. La mémoire collective est à jamais marquée par l’échec des pouvoirs publics dans plusieurs épisodes dramatiques, comme l’explosion d’un entrepôt de feux d’artifice à Enschede le 13 mai 2000, l’incendie d’un café à Volendam dans la nuit du 31 décembre 2001 et la hausse des prix de l’hôtellerie et du commerce de détail après l’introduction de l’euro.

Quatrièmement, il y a eu ces deux événements qui ont ébranlé les Pays-Bas : l’assassinat du politicien Pim Fortuyn le 6 mai 2002 et le meurtre du cinéaste Theo van Gogh le 2 novembre 2004. Fortuyn, qui rencontrait un grand succès grâce à ses attaques contre la coalition socio-libérale au pouvoir, composée depuis 1994 de sociaux-démocrates (PvdA) et de libéraux (VVD, D66), a été éliminé par un écologiste fanatique. Van Gogh, qui avait réalisé, en collaboration avec la députée Ayaan Hirsi Ali, un film retentissant intitulé Submission (dénonçant l’oppression exercée sur les femmes sous couvert de dévotion à l’islam), s’est fait liquider par un musulman appartenant à un groupe terroriste. Ce qui était encore impensable peu de temps auparavant est devenu cruelle réalité : de nombreux politiciens en vue, dirigeants et intellectuels, sont menacés par des islamistes et font l’objet d’une protection constante, certains même depuis déjà trois ans !

Le public néerlandais a également été traumatisé par plusieurs affaires discutées par les représentants du peuple, qui ont, pour certaines, débouché sur une enquête parlementaire. Sans essayer d’être exhaustif, je citerai les exemples suivants : . violence gratuite dans les lieux de sortie . problèmes de l’agriculture intensive (vaches folles, poulets à la dioxine, fièvre aphteuse, excès de déjections animales) . conséquences de la catastrophe aérienne du Bijlmer [5] en 1992 . réformes manquées de la Constitution (instauration d’un référendum correctif, élection des maires) . détournement de subventions européennes . fraudes dans l’enseignement supérieur . inefficacité des contrôles anti-drogue et corruption à l’aéroport de Schiphol . passivité du bataillon de casques bleus néerlandais à Srebrenica (un rapport d’enquête à ce sujet provoquera la chute du deuxième gouvernement Kok en avril 2002) . malversations de grosses sociétés du BTP dans le cadre de travaux importants commandités par les autorités . surveillance inefficace des criminels permissionnaires souffrant de troubles psychiques . manque de contrôle des autorités judiciaires et policières sur le crime organisé (règlements de comptes, blanchiment, production de drogues) . trop lente professionnalisation des fonctionnaires chargés de la surveillance aux frontières et de la lutte contre le terrorisme.

Si les électeurs sont restés critiques et exigeants, leur confiance dans les partis politiques et les pouvoirs publics a diminué et se trouve davantage soumise à condition [6]. A l’exception du scrutin de 1998, les dernières législatives aux Pays-Bas (1994, 2002, 2003) font partie, depuis l’instauration du suffrage universel, des élections les plus mouvementées dans une démocratie européenne. Constatons, d’une manière générale, que depuis le début du troisième millénaire, le sentiment d’appartenance à la communauté néerlandaise a reculé, ce mélange de respect mutuel, de confiance et de cohésion dans les relations des citoyens entre eux (sur le plan sociétal) et avec les autorités (sur le plan politique). Ce recul est un phénomène qui suscite de constantes mises en garde et de pénibles tentatives de réévaluation dans les émissions de radio et de télévision, les chroniques des journaux et les articles d’opinion, les manifestes des partis politiques et les discours des différents leaders et porte-parole. Même les professionnels habitués depuis longtemps au débat public se mettent à pousser des cris d’orfraie. C’est le signe que la paix à la néerlandaise, souvent confondue avec harmonie, est perturbée. Les Pays-Bas « d’après 1989 », avec leur vie politique ennuyeuse, leur système administratif mollasson et leur société décontractée (parfois jusqu’à la décadence) se sont rapidement transformés en Pays-Bas « d’après le 11 septembre 2001 », avec leur vie politique mouvementée, leur administration rigide et leur société crispée (parfois jusqu’à l’anxiété). Aujourd’hui, ce voisin septentrional de la France a perdu ses repères et sa cohésion, ce qu’il manifeste avec ostentation et sans détours.

Quatre points de vue sur la même impasse

Comment expliquer l’impasse dans laquelle se trouvent les Pays-Bas ? Etant donné que, chez les Néerlandais, l’esprit commerçant et la morale du travail affichent un passé impressionnant, il paraît évident de commencer ici par l’hypothèse d’un gaspillage et d’une sous-exploitation temporaires des ressources économiques. Sur un certain nombre de plans, les Pays-Bas sont toujours bien placés au niveau international : prospérité (7e), satisfaction générale (7e), compétitivité (12e), développement humain [7] (12e), taux horaire de productivité du travail (jusqu’en 2002, les Pays-Bas devançaient les Etats-Unis en tête de classement, avec la Belgique, la France et la Norvège), lutte contre la pauvreté (3e), intégrité des gouvernants (11e) et aptitude des pouvoirs publics (6e). Le succès du modèle des polders a-t-il rendu les Néerlandais paresseux, gâtés et désagréables ? Il se peut aussi que l’actuelle épidémie de morosité ait une fonction réelle : elle est peut-être le prélude, à l’intérieur de nouveaux rapports de force entre pouvoir et pénurie, d’un changement d’attitude modélisant et contagieux de toutes sortes de personnes et d’organisations sociales. Un tel phénomène s’est déjà produit, le plus récent remontant aux années 1973-1983, période difficile qui a débuté par la crise pétrolière et s’est terminée par l’avènement d’un nouveau réalisme et la prise de pouvoir des élites.

La deuxième explication se fait par les fluctuations de l’histoire de la modernité aux Pays-Bas. La période 1813-1848 était placée sous le signe du conservatisme (Restauration), 1848-1901 a été dominée par le progressisme (libéralisme) et 1901-1945 par un conservatisme très prononcé (confessionnalisme). Vivons-nous en ce moment les dernières heures chaotiques d’une après-guerre progressiste, interrompue à mi-chemin et amplifiée par la Nouvelle Gauche et le post-matérialisme (1945-2001) ? Il est vrai que l’attitude et les idées du public envers la justice et la morale sont devenues plus conservatrices, alors que les programmes politiques des partis de l’ancienne et de la nouvelle génération ont entamé un virage à droite. Curieusement, l’idéologie de la Troisième Voie, apparue sous le gouvernement Kok, s’est volatilisée, tandis que les sociaux-démocrates, les verts et les socialistes, dont les partis sont soumis à des divisions internes, se sont mis sur la défensive. On notera également le retour des idées conservatrices chez les universitaires, les intellectuels et les journalistes de la presse hebdomadaire. Cette hypothèse reste problématique dans la mesure où elle n’explique pas l’impopularité chronique du premier ministre Balkenende et de son gouvernement conservateur. De plus, il n’existe toujours ni signe annonçant la rechristianisation des Pays-Bas (par un sursaut de l’église catholique et des communautés protestantes) ni soupçon d’une variante néerlandaise du conservatisme « dynamique » américain – mouvement qui croit en la libre concurrence et en la démocratie sans limites du plus grand nombre, rejette l’avortement, l’euthanasie et la liberté sexuelle, défend la peine de mort et le droit de posséder une arme et prône l’abolition de l’Etat-providence. L’esprit néo-conservateur n’a donc toujours pas d’existence formelle aux Pays-Bas.

Une troisième vision s’appuie sur le concept de normalisation. La sérénité des Pays-Bas pendant l’âge d’or du modèle des polders constituait, à mieux y regarder, une anomalie, alors que l’inquiétude actuelle est plutôt normale. Cette inquiétude se manifeste aussi bien dans les petits Etats membres de l’Union Européenne que dans les grands et caractérise même la citoyenneté contemporaine et l’esprit démocratique occidental. D’un côté, personne ne trouve de réponse à la mondialisation à outrance. De l’autre, tout le monde appartient à un régime politique caractérisé par une prolifération d’individus qui revendiquent la représentation de « nous, le peuple » et la défense d’intérêts collectifs de certaines catégories de la population. Cette troisième vision est exacte dans les faits, mais reste beaucoup trop floue du point de vue des normes. Il est d’ailleurs étonnant que certaines théories obsolètes sur la société de masse et le totalitarisme fassent de nouveau fureur aux Pays-Bas. Contrairement au sociologue tchéco-néerlandais Ernest Zahn, auteur de Das unbekannte Holland (1993), peu d’observateurs osent aujourd’hui miser sur les forces centripètes de la civilisation néerlandaise.

Pour ma part, j’expliquerais l’impasse actuelle en commençant par décomposer la crise de l’Etat-nation en plusieurs facteurs – effondrement des notions traditionnelles de solidarité, de tolérance, d’ouverture à l’autre et de recherche du compromis -, puis en indiquant l’imminence d’un moment-clé pour la politique constitutionnelle des Pays-Bas. Le Royaume a déjà connu en 1848, 1917, 1945 et 1982 de tels moments périlleux tout autant que fondateurs pour la formation de la Nation et de l’Etat néerlandais. Si l’on imagine qu’un épisode de l’Histoire moderne des Pays-Bas correspond à une heure sur le cadran de l’horloge universelle, les troubles de la société représenteraient alors cinq minutes, les changements constitutionnels quinze, alors que quarante minutes seraient réservées à la politique ordinaire sur la base d’une paix retrouvée et de nouveaux accords.

Petite anatomie d’une crise d’identité

La crise d’identité dont souffrent aujourd’hui les Pays-Bas correspond à la faillite fortuitement simultanée des anciennes formes tout ensemble de solidarité, de tolérance, d’ouverture à l’autre et d’acceptation du compromis.

Tout d’abord, l’Etat-providence à la néerlandaise subit depuis 1975 une restructuration qui s’avère aussi longue que laborieuse. En ce moment, deux considérations se télescopent : la première concerne le caractère inévitable de réformes radicales dans le domaine des droits sociaux en raison d’une inactivité excessive (comme par exemple le recours massif à l’assurance contre l’incapacité de travail), la trop grande dépendance des immigrés (y compris par la politique de découragement de l’entreprenariat de ces groupes d’immigrés), le coût prohibitif du travail, le vieillissement de la population, l’allongement de la durée du travail et la complexité administrative de nombreux dispositifs réglementaires. La réflexion sur la protection sociale, comme au temps de la reconstruction (1945-1955), tient compte du souci de rentabilité propre à l’employeur et de la méritocratie telle qu’elle est vue par les employés (les différences de salaire étant l’expression des différences dans les prestations). La seconde considération a trait à la résistance des valeurs sociales. L’Etat et les partenaires sociaux sont largement favorables à l’abandon du système de protection intégrale, « de la naissance à la mort ». Mais des études montrent que la population néerlandaise reste attachée aux régimes collectifs d’assurance, aux contacts humains sur le lieu de travail et en dehors, à une certaine modestie (plutôt qu’à une consommation ostentatoire) et au principe d’égalité. Dans la pratique, ce télescopage entraîne un réajustement des charges et des dépenses publiques, mais il se traduit aussi par la quête sans fin pour trouver un nouvel équilibre réciproque [8]. Un événement révélateur à cet égard a eu lieu en octobre 2004 : la grande manifestation de la gauche politique et syndicale contre le projet gouvernemental de supprimer les avantages fiscaux liés à la retraite anticipée (avant 65 ans). C’était la première fois que de graves dissensions se faisaient jour entre les nouvelles et les anciennes générations de salariés et de travailleurs indépendants.

Voilà qu’ont produit leur effet l’aide active à la construction de mosquées, l’enseignement en arabe et en turc, la création de groupes d’intérêts par des immigrés non occidentaux, la télévision pluriculturelle, les écoles islamiques et les organes consultatifs spécifiques (au sein desquels se rencontrent les ministres et les représentants des communautés). Les Turcs des Pays-Bas, surtout, par le biais d’organisations nombreuses et variées qui leur sont propres, ont formé à eux seuls pratiquement un pilier à l’intérieur de la société. Mais la politique mise en œuvre n’a débouché ni sur l’intégration souhaitée des populations d’origine étrangère (à savoir l’apparition de Néerlandais turcs, de Néerlandais marocains, etc.) ni, loin de là, sur leur acceptation par les autochtones. La réaction des uns et des autres s’est traduite par une indifférence mutuelle et des réflexes d’évitement, puis par l’aversion et l’affrontement, allant parfois jusqu’aux hostilités (incivilités commises par des bandes de jeunes Marocains, racisme affiché par des groupes de jeunes Néerlandais).

Le mythe des Bataves et celui du Siècle d’Or sont depuis longtemps sans effet. Deux autres mythes néerlandais gouvernaient jusqu’à une date récente les rapports entre individus de convictions différentes. Celui de la Résistance néerlandaise à fait croire que les épreuves de l’occupation allemande et l’aide américaine à la reconstruction ont appris au peuple des Pays-Bas à distinguer le Bien du Mal. C’est ainsi que le racisme relève toujours du Mal et que l’aide au développement relève toujours du Bien. Le mythe du mouvement jeune de 1966 (les Provos) a fait croire aux Néerlandais à une seconde libération. Ce phénomène a entraîné la fin du cloisonnement de la société en « piliers » confessionnels et idéologiques [9] et a ouvert la voie à un « progressisme prudent » : les bons Néerlandais sont conscients des avantages que présentent l’affirmation de soi, le plaisir et l’expérimentation, mais ils ont également la prudence d’imposer des limites à leur nature individuelle, limites des lois et des conventions sociales, de la religion et des autres traditions, sur un territoire exigu, fragile et densément peuplé où il faut bien travailler ensemble.

Or, l’un et l’autre mythe sont brisés à tout jamais. En 2002, un million et demi de Néerlandais ont voté pour Pim Fortuyn, que la société bien pensante présentait pourtant comme une réincarnation de Mussert, le collaborateur et nazi hollandais. Les partisans de Fortuyn ne se sentaient pas concernés par un schéma Bien/Mal superflu, qui ne dissimulait plus l’échec de la citoyenneté pluriculturelle. Selon le second mythe, un Néerlandais « progressiste prudent » aurait dû accepter les nouveaux venus dans son univers du « laisser faire, laisser passer ». Mais ce bon Néerlandais refuse d’inscrire son enfant dans une école « noire » et d’aller vivre dans un quartier à majorité d’immigrés. Il défend généralement ses propres privilèges et l’image cosmopolite qu’il a de lui-même en se tenant à distance respectable des immigrés non occidentaux (les individus qualifiés de « noirs »), physiquement et intellectuellement. Certaines personnes, comme Ayaan Hirsi Ali, soulèvent le problème du mensonge pluriculturel. Elles se risquent à une prise de position anticléricale dénuée de toute prudence, de toute relativisation. La tolérance, norme d’indulgence dans la zone floue entre la guerre et l’Etat de droit, n’est ainsi pas définie aux Pays-Bas.

Le consensus bienveillant sur l’appartenance des Pays-Bas à l’Europe s’est transformé en scepticisme populaire. Au début, il ne se disait pas (on « restait à la maison » lors des élections européennes). Pendant la campagne du premier référendum jamais tenu aux Pays-Bas, il est remonté à la surface. Cette attitude critique s’est manifestée sur le tard, c’est-à-dire non pas au moment du Traité de Maastricht, de l’euro ou du Traité de Nice, mais à l’occasion du projet de constitution proposé par Giscard d’Estaing. Le 2 juin 2005, pas moins de 62% de la population a rejeté ce projet. Voilà des années que les Néerlandais soutenaient en majorité la politique européenne de leurs gouvernements successifs, à condition que :

a) ces gouvernements mènent une action crédible au niveau des affaires intérieures

b) assurent les intérêts nationaux par-delà les méandres de la rhétorique fédéraliste et que

c) les institutions et réglementations européennes prouvent leur efficacité, surtout pour faire avancer la paix, la prospérité et la protection de l’environnement.

Au cours du combat acharné auxquels se sont livrés partisans et opposants à la Constitution européenne, il est apparu que les élites de la société et de la politique apportaient un soutien unanime et sans condition à l’Union Monétaire Européenne, à l’élargissement de l’Union à l’Est, à l’arrivée de nouveaux pays (comme la Turquie) et au compromis entre les puissants de l’Europe sur le rapport entre petits et grands Etats, alors même que la majorité de la population retirait son appui conditionnel et se sentait davantage attirée par le camp du non formé par les petits partis de gauche et de droite.

Une analyse plus poussée montre que les raisons et motivations suivantes ont joué, dans l’ordre, un certain rôle dans l’anti-fédéralisme néerlandais : le manque d’information, l’inquiétude face à la perte de souveraineté, l’insatisfaction envers le gouvernement en place, le coût excessif du projet européen, la dystopie de l’unification de l’Europe, l’éventuelle participation de la Turquie et le caractère radical de la Constitution. En disposant les non dans un ordre quelque peu différent, on obtient le résultat suivant : l’Union Européenne coûte trop cher (contributions, euro), elle a trop de pouvoir (perte d’identité nationale et d’indépendance), elles est trop injuste (pouvoir exercé par les autres pays, emplois pour les étrangers), trop dispendieuse (bureaucratie, politique de détail) et désavantageuse [10]. Tout comme la tolérance envers les immigrés et la réciprocité sociale, l’ouverture des Pays-Bas sur l’Europe reste indéfinie à l’heure actuelle. Beaucoup soutiennent la diplomatie de la « pause réflexion » : pour l’instant, c’est-à-dire jusqu’au terme du mandat de la commission Barroso (2004-2009), il n’est pas question de nouvelle convention, de nouvel Etat membre, de nouveaux projets d’envergure ni de nouvelles priorités. La dernière composante de la crise d’identité aux Pays-Bas concerne la traditionnelle politique du consensus. Cette manière de régler les problèmes politiques et sociaux a fait ses preuves depuis des siècles et s’est affinée avec le temps. En faisant participer au processus décisionnel tous les groupes et les individus concernés et en laissant chacun recueillir (proportionnellement) les fruits de la politique ainsi définie, on obtient un compromis qui garantit la paix sociale (dans l’intérêt des catégories établies), mais aussi une émancipation (dans l’intérêt des catégories émergentes) voire une nouvelle intégration à la communauté politique de ces deux types de catégories. On connaît les conditions qui permettent un tel consensus constructif sont bien connues : les Pays-Bas doivent être confrontés à un problème épineux touchant des intérêts vitaux (urgence) ; les acteurs les plus influents doivent être divisés sur les solutions à apporter et ont le pouvoir de bloquer une issue qui leur déplairait (menaces véritables) ; certaines solutions sont réalisables et avantageuses pour toutes les parties, mais ne sont possibles qu’au prix d’un compromis contraignant (amélioration envisageable à relativement court terme) ; chacune des parties s’estime co-responsable de la réussite comme de l’échec des initiatives communes (absence d’hégémonie).

On constate aujourd’hui que les autorités néerlandaises continuent d’employer cette méthode. Ainsi, après les manifestations d’octobre 2004 mentionnées plus haut, le gouvernement et les partenaires sociaux ont conclu des accords sur les droits des employés âgés en cas de prolongement généralisé de la durée de travail, sur la réforme du régime d’assurance chômage et sur la réorganisation du système de soins. De même, mais de façon moins évidente, des dizaines de conventions collectives ont été modifiées de manière à geler pratiquement toute augmentation salariale. Mais depuis l’arrivée de Fortuyn sur la scène politique, la révélation de l’immigration comme nouveau problème social et la mise en évidence du danger de l’extrémisme et de l’autoritarisme musulmans, cette politique du consensus est l’objet de critiques très virulentes. Ses opposants ne réclament pas seulement de nouveaux dirigeants et de nouvelles mesures, mais une réforme majeure du système politique dans le sens d’une démocratie majoritaire à l’américaine ou à l’anglaise. Autrement dit, le consensus sur le consensus est mis à rude épreuve. Il est vrai que ce n’est pas la première fois depuis la seconde guerre mondiale : que l’on se rappelle les tumultueux débuts des années soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix. Cela n’enlève pourtant rien à la misère de la représentation démocratique au sens large (partis politiques, groupes d’intérêts, mouvements sociaux, réseaux d’idées, rassemblements de citoyens assertifs). Peut-on, par exemple, de la même façon que l’on a mis un terme à la bataille scolaire entre libéraux, catholiques et protestants, mettre un terme au nouveau conflit qui fait rage au sein de l’école à propos de la tenue vestimentaire, de l’enseignement religieux, de l’éducation civique et de la participation des musulmans aux cours de biologie ? Ou bien faut-il imaginer une meilleure solution ? [11]

Permettez-moi de formuler le problème de manière plus large et plus constructive. Un peuple qui n’a plus de grande histoire à raconter, qui n’ose afficher librement son amour de la patrie que lors des matches de l’équipe nationale de football, c’est un peuple à la dérive, au bord du découragement et de la mystification. Thorbecke [12]a utilisé l’expression « puissance populaire positive » à propos de la crédibilité fondamentale de l’Etat unitaire. Comment pourrait-on tirer une puissance populaire positive d’une série de traumatismes ? Est-il possible de voir naître un nouveau mouvement de Patriotes sur les ruines de l’ancien régime de la modernité ?

Moment-clé constitutionnel à la française [13]

Pour répondre à la question ci-dessus, je me limiterai à quelques aspects élémentaires de la reconstruction néerlandaise, corrélatifs mais aussi controversés. La langue Si l’on veut étendre la participation à la société et à la prise de décisions politiques, il faut que les Néerlandais d’origine et les nouveaux Néerlandais parlent la même langue. Le néerlandais s’est déjà embelli sous la plume d’Abdelkader Benali, de Kader Abdolah, de Hafid Bouazza et d’autres jeunes talents venus d’ailleurs. Encore faut-il que les adolescents à problèmes de l’enseignement professionnel, les pères de famille en incapacité de travail attablés dans les maisons de thé, les ménagères coiffées d’un foulard et les jeunes musulmanes exerçant une profession indépendante s’approprient cette langue eux aussi. C’est le véhicule employé dans le delta de la Mer du Nord pour exprimer ses sentiments à des inconnus, afficher une opinion différente, fixer des rendez-vous et poursuivre le dialogue afin de dire la répugnance pour un système pervers d’évitement ordinaire, que seuls interrompent les crimes et les émeutes à caractère ethnique dans les pays d’immigration. En ce sens, l’anglais joue un rôle analogue dans l’espace de l’Union Européenne. Il faudrait renforcer l’enseignement obligatoire du néerlandais et des trois langues parlées dans les pays voisins (allemand, anglais et français).

La liberté d’expression Quiconque ne se contente pas de lutter en solitaire pour sa survie, de prendre ses responsabilités pour défendre démocratiquement sa propre personne et ses attaches avec le reste de la société, de contribuer à reconstruire les grandes villes et leurs banlieues sous le signe de la mixité et du progrès social, celui-là doit être libre. Le citoyen néerlandais, lui, est libre d’acquérir et d’exprimer des convictions mûrement réfléchies et de les amender par des échanges d’opinions en place publique. La théorie universelle de John Stuart Mill sur le droit à la liberté de parole (tant que celle-ci ne nuit pas aux intérêts vitaux d’autrui) doit aller de pair avec la tradition de tolérance défendue par Coornhert [14]. Liberté d’expression et tolérance doivent continuer à être l’objet d’une juste fierté, qui ne porte pas seulement sur la reconnaissance officielle des mosquées aux Pays-Bas, mais aussi sur la représentation de la pièce Aïsha et la diffusion du film Submission, ou encore sur la discussion sans préjugés entre Michiel Smit, de la Nouvelle Droite, et Nabil Marmouch, de la Ligue Arabe Européenne. Cette parole libre devient par excellence le moyen des immigrés qui veulent intégrer un parti existant ou créer eux-mêmes un mouvement politique. Elle s’échange de l’un à l’autre et permet de désarmer l’extrémisme et de le freiner dans sa progression. A long terme, elle finit par mettre fin à un traditionalisme islamique et permet la constitution d’une « oumma » ouverte et bienveillante sur le territoire néerlandais et dans tous les Etats membres de l’Union Européenne où les musulmans forment une minorité (contrairement à leurs pays d’origine, où ils sont habituellement majoritaires). La liberté d’expression constitue également un remède consacré pour combattre la discrimination, l’escroquerie intellectuelle et les dérapages politiques des nouveaux populistes et nationalistes néerlandais, qui proposent par exemple le rapatriement de force des Turcs et des Marocains.

La réforme de la Constitution Les droits fondamentaux de l’individu se télescopent : l’interdiction de la discrimination fondée sur le sexe est inconciliable avec l’interdiction de la discrimination fondée sur les convictions religieuses ; les libertés de conscience, d’expression, d’association, de réunion et de manifestation s’opposent à l’interdiction de discriminer. Les droits fondamentaux individuels sont, par nature, en contradiction avec le parti pris de solidarité que défendent les associations indépendantes et les pouvoirs publics dans leur lutte contre la ségrégation. Aujourd’hui, les juristes discutent abondamment du sens des dispositions constitutionnelles du droit européen, de la délégation du pouvoir à des administrations indépendantes, du contrôle par le juge de la constitutionnalité des lois ordinaires et du système d’élection et de désignation des hommes politiques et des dirigeants. Mais la principale lacune dont pâtissent la citoyenneté néerlandaise et la cohésion au sein de l’autorité centrale, c’est le manque d’attachement populaire à la Constitution. Voilà pourquoi il faut modifier la Constitution de 1983, qui a codifié les idéologies passées de l’émancipation et du bien-être. Il n’en va pas seulement de l’article 1er sur l’égalité de traitement et de l’article 23 sur le financement public, à égalité, des écoles publiques et privées : c’est l’ensemble des rapports entre la communauté, les autorités, les associations, les minorités et les individus citoyens qu’il faut repenser et reformuler.

Une conscience historique critique et non exclusive Il appartient à l’école et au débat public d’instruire les Néerlandais sur le long passé historique de leur pays et de ne pas se limiter au spectaculaire vingtième siècle. Il s’agit de raconter comment s’est formé le peuple néerlandais, sans oublier les périodes au cours desquelles ce peuple s’est mêlé à d’autres, parmi lesquels ceux qui aujourd’hui sont concernés par l’émigration et l’européanisation. Il convient d’étudier l’assujettissement sanglant d’Atjeh par les Pays-Bas au même titre que l’assujettissement sanglant de l’Arménie par les Turcs. Aux dates importantes des 4 et 5 mai, ces journées du souvenir célébrant la fin de la seconde guerre mondiale, viennent s’ajouter de nouvelles commémorations, comme l’abolition de l’esclavage en Occident, ainsi que des jours fériés non chrétiens, comme la fête de l’Aïd. Les nouveaux Pays-Bas devraient renoncer à certains symboles superflus, comme l’Ascension, et les remplacer par des commémorations et des fêtes correspondant mieux à l’époque cruciale traversée ensemble par les habitants et à leur vision commune de l’avenir.

Les pondérations Qui s’aventure hors de la culture politique nationale, se retrouve perdant d’une manière ou d’une autre. Qui veut apporter un nouveau souffle à cette culture, doit parvenir, dans le cas de la Hollande, à la pondération suivante : la disparition de la liberté et des avantages qu’elle procure est tôt ou tard compensée, dans l’idéal de civilisation des Néerlandais, par le sens des affaires, la tolérance et le pragmatisme. L’inégalité qui engendre des clivages est tempérée par la modération, le consensus et le comportement petit-bourgeois. Et le relâchement qui sape le sentiment d’appartenance collective propre à un petit Etat-nation se voit pondéré par la simplicité, le bon sens et l’esprit convivial.

Un consensus bruxellois sur le minimum politique L’existence du Parlement Européen et des familles politiques qui le composent est fortement menacée. Ces institutions ne pourront survivre qu’en devenant des forums de discussions transfrontalières, à l’instar du dialogue franco-néerlandais. La politique en France et aux Pays-Bas doit prendre des risques pour favoriser, à Bruxelles, le consensus portant sur :

a) la place des services publics, des acquis sociaux, des patrimoines nationaux et des activités non lucratives sur le marché intérieur de l’Union Européenne

b) les principes et l’idéal de pluralisme communs aux Etats membres et aux pays candidats (par un ajustement au niveau de l’Europe des républicanismes français et turc, des corporatismes néerlandais et suédois, des libéralismes espagnol et britannique)

c) les principes et idéaux communs visant à établir démocratiquement une forme internationale, transnationale et supranationale de politique et de gouvernement.

L’enjeu n’est pas de laisser la France ou les Pays-Bas se battre pour avoir raison, mais de réduire le fossé qui sépare le macrodialogue des hommes d’Etat et le microdialogue des citoyens ordinaires dans les deux pays. Je ne m’attends pas à ce que des propositions comme les miennes se traduisent immédiatement et à la lettre par des mesures prises à La Haye. En revanche, je sais que de telles propositions ne contribueront à mettre fin à la crise d’identité actuelle que si les Néerlandais prennent au sérieux les idées, les expériences et les vues des Français sur cet aspect essentiel de la politique.


Notes :

1. Je remercie Marcel Mausen qui prépare une thèse sur la construction des mosquées dans les villes de France et des Pays-Bas pour les dialogues animés sur les rapports franco-néerlandais. Je dois beaucoup aux discussions que j’ai eues avec Jan Drentje, Hendrik Jan Schoo et Bart Jan Spruyt et qui m’ont éclairé sur le moment constitutionnel de l’histoire néerlandaise. Je remercie Gilbert Van de Louw de l’Ambassade de France pour le soutien qu’il a apporté de façon très résolue à la mise en route de cet essai.

2. Chavannes, Ephimenco, Sommer, De Voogd, Wesseling et Wester.

3. C’est ainsi que l’on a caractérisé Niet Nix (en français : « pas rien »), un mouvement de jeunes sociaux-démocrates voulant rénover le parti travailliste PvdA.

4. La croissance moyenne du produit intérieur brut par habitant (en prix constants) en 1981-1990, 1991-2000 et 2001-2005, s’élève, respectivement, à 1,58%, 1,48% et 1,14% en France, à 1,7%, 2,34% et 0,1% aux Pays-Bas. Ces chiffres expliquent quelque peu pourquoi les autorités françaises croient qu’une stricte observation du pacte de stabilité suscite des dépenses inférieures aux crédits disponibles, alors que les autorités néerlandaises considèrent qu’une non-application trop facile des termes de ce pacte mine la confiance dans l’euro.

5. Le 4 octobre 1992, un avion de fret de la compagnie israélienne El Al s’est écrasé sur ce quartier de grands ensembles de la banlieue d’Amsterdam.

6. Entre l’automne 1997 et le printemps 2004, le taux de confiance des Néerlandais dans les partis politiques, les grandes entreprises et l’Eglise a baissé respectivement de 28%, 31% et 38%. Ce faible niveau de confiance s’applique aussi au gouvernement (de 68 à 40%) et à l’Union Européenne (avec une hausse de 38 à seulement 40%). Ces chiffres m’ont été communiqués par Paul Dekker (Sociaal en Cultureel Planbureau).

7. L’indicateur du développement humain (IDH), mis en place par le Programme de Développement des Nations Unies, mesure le niveau atteint par un pays en termes d’espérance de vie, d’instruction et de revenu réel corrigé.

8. Entre 1994 et 2006, Gerrit Zalm étant aux Finances, les dépenses publiques sont passées de 46,3 à 43,2% du PIB (environ 15 milliards d’euros) et les charges publiques de 42,8 à 41,6% (environ sept milliards d’euros), tandis que les aides aux familles et l’impôt sur le revenu diminuaient considérablement.

9. Jusque dans les années 60, la société néerlandaise était organisée en « piliers » correspondant aux différentes familles de pensée religieuse, politique ou philosophique. Chaque « pilier » (protestant, catholique, socialiste, libre-penseur…) avait sa propre organisation verticale pour les écoles, journaux, partis politiques, hôpitaux, associations sportives et culturelles, etc.

10. Les premiers résultats cités ont été fournis par TNS-NIPO, les derniers par Interview-NSS

11. Depuis 1917, la Constitution stipule que l’Etat doit subventionner de manière identique les écoles publiques et privées (confessionnelles). Cet article de la Constitution est actuellement contesté dans la mesure où il implique automatiquement le financement public des écoles islamiques.

12. Johan Rudolf Thorbecke (1789-1872) fut le père de la Constitution de 1848 et le chef du gouvernement de 1849 à 1853, de 1862 à 1866 et de 1871 à 1872. Il est le Guizot néerlandais, celui qui a réconcilié le patriotisme radical et le libéralisme modéré.

13. En néerlandais, l’expression « op z’n Frans » (« à la française ») signifie « n’importe comment ». Elle est ici employée littéralement.

14. Humaniste hollandais du XVIe siècle, considéré généralement comme l’initiateur du principe de tolérance par-delà les clivages protestants et catholiques qui ont marqué la guerre de quatre-vingts ans (1548-1648). Il fut l’auteur de la première Ethique en langue populaire en Europe.


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