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Quelle politique extérieure commune de l’UE en 2020 ? Voisinage de l’UE, Réforme de l’ONU, Ressources Humaines, Légitimité démocratique

Note de synthèse Séminaire GlobalEurope 2020 (Helsinki, 26-27 octobre 2004)
26/11/2004

Organisé par Europe 2020 en coopération avec le Ministère finlandais des Affaires étrangères, dans le remarquable Finlandia Hall, ce septième séminaire d’anticipation, ouvert par M. Erkki Tuomioja, Ministre des Affaires étrangères de Finlande, a conclu la 1ère série de séminaires GlobalEurope 2020, dite série « européenne » [1] . Destiné à dégager certaines tendances communes aux six précédentes réunions et à aborder quatre sujets transversaux essentiels pour l’avenir de la politique extérieure commune [2] , ce séminaire a permis de constater une fois de plus la très grande convergence des opinions et des analyses des intervenants et participants. A l’issue de ce tour d’horizon planétaire prospectif, et de ce tour d’Europe physique (Paris, La Haye, Varsovie, Bruxelles, Lisbonne, Londres et Helsinki), réalisé en partenariat avec sept Ministères des Affaires étrangères, avec la participation directe de près de 450 diplomates et experts venus des 25 Etats-Membres, des institutions communautaires et des trois pays candidats (Roumanie, Bulgarie, Croatie), une conclusion s’impose immédiatement : l’UE est prête à se lancer dans la grande aventure de la mise en place d’une politique extérieure commune. Elle ne bute plus désormais que sur les questions de volonté des dirigeants et de cohérence des différentes actions et instruments. A titre d’illustration, comme ce fut souligné pendant le séminaire, la question pertinente en matière de ressources humaines diplomatiques à l’horizon 2020 n’est pas « qui voudra être diplomate européen ? », mais plutôt « qui voudra encore être diplomate national ? » ? On pourrait également ajouter cette interrogation centrale qui montre l’inéluctabilité d’une diplomatie commune : comment à l’horizon 2020 nos Etats-Membres pourraient-ils faire face aux coûts de gestion de leurs diplomaties nationales alors que déjà aujourd’hui chacun d’entre eux fait face à des restrictions budgétaires dans ce domaine ?

Eléments significatifs des 6 premiers séminaires

L’introduction du séminaire a permis de revenir sur les conclusions des six précédents exercices qui ont traité des relations entre l’UE et six régions du monde (Monde arabe, Amérique du Nord, CEI, Afrique, Amérique latine et Asie) à l’horizon 2020. Plusieurs éléments significatifs en sont ressortis.

D’une part, l’UE est entrée dans un processus d’ « apprentissage par l’action » en matière de relations extérieures. De la « coopération-développement » des origines aux évolutions récentes en matière de sécurité et défense, en passant par l’invention de sa politique commerciale commune et son action sur les grands enjeux de gouvernance globale (Kyoto, CPI,… ), l’UE s’affirme peu à peu dans la dimension internationale de son action. Cependant, faute d’indépendance intellectuelle et conceptuelle, les Européens hésitent encore à prendre l’initiative en matière d’affaires globales.

Pourtant à l’horizon 2020, la « demande » à laquelle ils feront face est très importante. Paradoxalement, au fur et à mesure où le monde devient moins « européanisé » (comparé au XIX° ou XX° siècle), émerge une demande croissante d’actions initiées par l’Union européenne, dans un monde qui paraît de plus en plus en phase avec les composantes essentielles de l’UE, à savoir un délicat équilibre de diversité et d’unité, d’histoires différentes et d’avenir commun, de langues diverses et de valeurs communes, d’actions concrètes et de processus de long terme. D’une certaine manière, c’est cette « demande » d’action européenne qui constitue un fort stimulant du développement de la politique extérieure commune.

Aux Européens désormais d’y insuffler la nécessaire cohérence entre les différentes institutions communautaires, les différents Etats-Membres et les différents instruments de l’action extérieure des Européens, comme l’a rappelé M. le Ministre Erkki Tuomioja dans son intervention d’ouverture. En particulier, comme l’a souligné un autre intervenant, l’UE a besoin d’anticiper les nouveaux défis pour pouvoir pleinement utiliser son potentiel (intégrant ses instruments, définissant elle-même ses stratégies et les concepts fondateurs de ses actions, poursuivant des objectifs qui sont les siens).

Cette exigence est d’ailleurs illustrée par les « six axes » régionaux d’une future politique extérieure commune qui émergent des précédents séminaires GlobalEurope 2020 :

. Monde arabe : Contribution à la formulation d’un « rêve commun arabe » (pour éviter le danger d’un « rêve commun musulman ») visant à contribuer à l’émergence d’un « acteur arabe organisé » à l’échelle internationale

. Amérique du Nord : Accompagnement des Etats-Unis pour les aider à s’adapter au déclin de leur puissance tout en préparant la gouvernance globale du XXI° siècle ; et en transformant la relation transatlantique d’une relation essentiellement USA-Etats européens à une relation principalement USA/UE

. CEI : Gestion de « incertitude russe » après des décennies de prévisibilité et l’espoir vain d’une Russie « à l’occidentale » de la décennie 90

. Afrique : Accompagnement de l’Afrique pour réaliser sa stabilisation intérieure et son intégration régionale, préalable à son développement durable

. Amérique latine : Accompagnement de l’Amérique latine pour réaliser sa démocratisation durable, incluant notamment l’émergence croissante d’élites « indigènes » (par opposition aux descendants d’Européens) et son intégration régionale

. Asie : Accompagnement de l’Asie dans son processus d’intégration au premier monde (économique et militaire) tout en soutenant efficacement le succès de l’intégration régionale de l’ASEAN.

Ces axes de long terme pour la politique extérieure commune s’inscrivent dans un contexte global caractérisé par trois grandes couples de facteurs déterminants tels qu’identifiés dans la série de séminaires : démographie/immigration, ressources/énergie et démocratisation/régionalisation [3]

La suite des travaux a été consacrée aux questions transversales qui conditionnent directement la capacité de l’UE à mettre en œuvre efficacement sa politique extérieure commune, à savoir : les futures ressources humaines au service de cette politique, la définition d’une politique de voisinage, la contribution de l’UE à la réforme du système de gouvernance globale et la légitimation démocratique de cette politique extérieure.

Implications en matière de ressources humaines

En matière de ressources humaines, les participants ont largement souligné la dualité conceptuelle et opérationnelle de la politique extérieure commune. C’est une politique qui sera orchestrée avant tout par le Conseil et qui devra être capable d’une appropriation par les Etats-Membres (aussi bien par les appareils d’Etat que par les opinions publiques comme on le verra ci-dessous). Elle aura par ailleurs besoin d’instruments et d’opérateurs communs (comme il en existe déjà via les services de la Commission, ses 140 délégations et ses instruments financiers ou ses programmes). C’est de ce délicat équilibre des instruments et des acteurs que dépendront tant le succès de la politique extérieure commune que de la qualité de ses analyses et stratégies.

Ces dernières exigent d’ailleurs la création d’un « pôle européen d’anticipation » en matière de relations extérieures. Il pourrait utilement s’organiser en réseau, connecté directement au Conseil (futur Ministre des Relations extérieures) ainsi qu’à la Commission et au Parlement européen. Nul besoin d’un organe ad hoc, basé à Bruxelles (ou ailleurs) qui se couperait de la réalité du terrain. Au contraire, c’est la diversité des « visions du monde » qu’héberge la « vision européenne du monde » qui sera la plus grande valeur ajoutée de ce « pôle européen d’anticipation » en matière de relations extérieures ; aux autorités politiques et aux diplomates d’en faire in fine les synthèses ad hoc. Financé par le triangle institutionnel, via un programme communautaire ad hoc, ce « pôle » pourrait ainsi alimenter régulièrement les décideurs européens en analyses, en associant les « cellules de prospective » intégrées aux différents ministères des Affaires étrangères nationaux et aux institutions communautaires, ainsi que les « think tanks » d’envergure européenne, présents sur le territoire de l’UE (et au-delà). Pour réussir en 2020, il apparaît en effet urgent de combler le « déficit conceptuel » européen en matière de relations extérieures communes.

Cette approche en « équipe européenne », ou en « réseau trans-européen », constitue d’ailleurs le trait marquant des interventions sur ce sujet lors du séminaire. Comme l’a résumé un participant, pour réussir la mise en œuvre de la politique extérieure commune, il est « nécessaire d’avoir des acteurs intégrant l’identité collective européenne et possédant une très bonne connaissance de l’UE institutionnelle et de terrain ». De l’avis général, seule une « équipe » européenne peut être à même dans les décennies à venir d’intégrer ce type de connaissances.

L’exemple linguistique est en l’occurrence flagrant : l’une des « forces » de l’UE au niveau mondial vient de sa capacité à parler les langues dominantes et/ou véhiculaires (d’aujourd’hui et des prochaines décennies) de presque toutes les régions du monde (Français/Anglais en Afrique, Espagnol/Portugais en Amérique latine, Anglais/Espagnol/Français en Amérique du Nord, Anglais en Asie, Anglais/Français dans le monde arabe, langue slave pour CEI). L’efficacité comparée de la politique extérieure commune par rapport à celle d’autres puissances mondiales tiendra notamment dans le maintien d’une telle capacité, unique en son genre. Ceci plaide indiscutablement pour une diplomatie européenne multilingue et multiculturelle (puisque les éléments de proximité culturelle sont tout aussi essentiels) et pour que les acteurs de la politique extérieure soient pensés en terme d’équipes européennes ou de réseaux européens (équipes d’individus et réseaux d’organisations/institutions).

Les réseaux seront plus efficaces pour fournir l’infrastructure intellectuelle ou opérationnelle d’une action continue et de moyen ou long terme comme par exemple dans le cas du « pôle européen d’anticipation », ou bien pour assurer au niveau local la coordination des ambassades des Etats-Membres dans un pays donné ou celle des délégations des Etats-Membres au sein d’une organisation internationale (comme l’ONU, l’OMC, le FMI, la banque mondiale, …). En revanche, l’approche par « équipe européenne » est particulièrement adaptée au traitement des crises ou de problèmes ponctuels ou très politiques, notamment autour d’un « envoyé spécial » ou « représentant spécial » de l’UE, agissant comme « stimulateur/coordinateur » de l’action de l’UE en la matière.

Comme il a été souligné à plusieurs reprises, ces deux approches « équipe » et « réseau » seront complémentaires comme le prouve déjà le cas des crises humanitaires qui nécessitent l’intégration de différents types de réseaux européens (aide alimentaire, santé, militaire, …).

En terme de recrutement individuel, une tendance très nette s’est dégagée des débats en faveur de l’utilisation d’un personnel expérimenté, au détriment d’un recrutement de jeunes diplômés fraîchement émoulus des universités, grandes écoles ou académies diplomatiques. La bonne maîtrise d’un savoir-faire technique comme de la connaissance concrète de l’UE institutionnelle ou de terrain (national) devraient en effet interdire l’accès direct au service diplomatique européen. Parallèlement, la recommandation de ne surtout pas s’inscrire dans une logique d’« emploi à vie », sur le modèle du statut des fonctionnaires (nationaux ou communautaires), contribue aussi à favoriser un système recrutant après une première expérience professionnelle. Le système mis en place par la Banque Centrale Européenne, consistant à recruter ses ressources humaines pour une durée limitée (en général dix ans maximum), constitue une orientation dont devrait s’inspirer le futur service diplomatique européen.

Pour toutes les raisons précédemment évoquées, une très large majorité de participants a souligné qu’il lui paraissait essentiel de ne surtout pas créer une caste de « diplomates communautaires à vie ». Si une partie de l’actuel personnel des 140 délégations extérieures de la Commission doit être intégrée au futur service diplomatique commun, elle ne doit l’être qu’aux conditions de sa compatibilité avec les critères et contraintes définis. Sinon, la Commission devra les réintégrer dans ses services dans d’autres secteurs. La mise à disposition de diplomates ou d’experts nationaux devra obéir à des limites de temps précises ; et se doubler de la mise en place d’une politique active de « passerelles » bi-directionnelles entre service diplomatique commun et service diplomatique national. Quant au recrutement de personnel venu du secteur privé, il devra s’adapter aux contraintes déjà définies pour ce type de personnel dans les diplomaties nationales.

En matière de formation, la création d’un « réseau européen d’institutions de formation au service diplomatique commun » devrait permettre de fournir le contenu conceptuel et la maîtrise nécessaire des instruments de la politique extérieure commune. Fonctionnant à deux niveaux (cours d’initiation pour l’ensemble des étudiants, y compris ceux qui se destinent au service national ; et formation professionnelle renforcée pour les personnes recrutées par le service commun), il permettra de ne pas réitérer les coupures dommageables entre fonctionnaires nationaux et fonctionnaires communautaires qui caractérisent le système communautaire actuel. Les personnels de la future politique extérieure ne devront être ni des mercenaires nationaux attirés uniquement par un statut ou des salaires privilégiés, ni des « moines » des institutions communautaires, mais des diplomates, aptes à travailler en équipe européenne, pour promouvoir et défendre les intérêts communs de l’UE tout en préservant les intérêts des différents Etats-Membres. Ce sera une tâche difficile mais essentielle qui impose de s’assurer de la cohérence du recrutement et de la formation avec l’objectif visé.

Future stratégie communautaire de voisinage

Sauf à concevoir une UE en expansion infinie, l’élargissement de l’UE implique que l’UE se rapproche de plus en plus de son « voisinage ». Si l’UE est fidèle à ses principes fondateurs (visant notamment à canaliser la puissance vers la coopération), alors cette politique de voisinage devient le maillon manquant entre politique d’élargissement et politique extérieure de l’UE. Elle permet de définir des relations privilégiées avec ceux qui sont aujourd’hui proches de nous sans être nous ; et de ne pas les reléguer dans les deux catégories classiques de la puissance : les « futurs nous » ou les « rien à voir avec nous », l’annexion ou l’indifférence.

En ce qui concerne la politique communautaire de voisinage, les interventions ont souligné plusieurs éléments essentiels à sa bonne définition. C’est une politique cohérente s’adressant à un environnement de l’UE – à son « voisinage », et non une somme de politiques bilatérales voisin après voisin. C’est une politique qui doit exclure la notion de division, de ligne de partage. C’est une politique qui doit rassembler autour des valeurs fondamentales que sont la démocratie, la paix, la prospérité et la sécurité. C’est une politique de long terme qui doit cumuler stratégie d’ensemble pour l’« arc du voisinage » (de la Russie au Maroc), tout en pratiquant la différenciation pays par pays pour que chaque partenariat soit adapté aux besoins et attentes de l’UE et du pays concerné. Aujourd’hui, cette politique de voisinage vise 10 pays méditerranéens et 4 du Caucase. Mais, il a été rappelé qu’il n’est pas exclu, quelles que soient les déclarations des deux parties aujourd’hui, que les futures relations UE/Turquie s’inscrivent demain également dans ce cadre plutôt que dans une logique d’adhésion. La réussite de la politique européenne de voisinage implique avant tout de rendre attractif le statut de « voisin privilégié » de l’UE et à hiérarchiser précisément les contenus des politiques en partant de l’accession jusqu’à la simple relation commerciale, en définissant clairement le statut de « voisin » comme le « second best » de l’offre extérieure de l’UE.

Pour réussir une telle politique, l’UE garder à l’esprit deux éléments essentiels :

. elle n’est pas le dépositaire de l’identité européenne ; c’est le Conseil de l’Europe qui joue ce rôle

. elle n’est pas l’incarnation des valeurs fondamentales européennes (démocratie, droit de l’Homme, … ) ; c’est là encore le Conseil de l’Europe qui en est l’institution essentielle

Or, le « voisinage de l’UE » est notamment constitué de pays indiscutablement européens, et d’autres pays aspirant à partager un certain nombre de valeurs communes européennes (comme la démocratie par exemple). L’UE aurait donc tout intérêt à intégrer efficacement le Conseil de l’Europe dans sa stratégie de voisinage. Cette approche pourrait notamment consister à contribuer à son renforcement en terme d’efficacité, de moyens financiers et à canaliser nombre de ses politiques appartenant au « paquet Voisinage » (notamment culture, éducation, recherche, …) via le Conseil de l’Europe. L’importance que devrait accorder la politique de voisinage aux questions de démocratie et de droits de l’homme impose à une telle politique d’accorder une grande importance au partenariat entre sociétés civiles de l’UE et des pays concernés, voire dans faire un de ses axes prioritaires.

Plusieurs intervenants ont fait remarquer que l’éventuelle accession de la Turquie impliquerait un re-dimensionnement considérable de la politique de voisinage de l’UE en y incluant automatiquement la quasi-totalité du Moyen-Orient et de l’Asie centrale ; tout en rendant impossible le maintien dans la catégorie « voisin » de pays comme l’Ukraine ou l’Arménie qui insisteraient pour devenir membre de l’UE. Cette situation ne manquera pas de peser sur le futur statut des relations UE-Turquie et militera fortement, selon plusieurs participants, pour que le cadre de cette relation à venir soit le « Voisinage » et non pas l’adhésion (et ce quelle que soit la décision de l’UE en Décembre prochain). Ce sera d’ailleurs l’occasion de doter cette politique de voisinage d’une composante « Relations extérieures » en développant des politiques communes avec nos voisins pour organiser nos relations avec des régions où nos intérêts convergent et où le « voisin » possède des atouts spécifiques. Faute d’un tel instrument, l’UE est condamné à voir ses frontières se distendre à l’infini.

Contribution de l’UE à la réforme du système de gouvernance globale

Concernant ce thème, les débats se sont centrés sur la question de la réforme de l’ONU (et du système connexe FMI, Banque Mondiale, OMC, …). La question essentielle restant bien entendu « comment être entendu et avoir un impact optimum en tant qu’Union européenne ? », elle s’est traduite par des échanges portant sur les objectifs et les méthodes d’une telle action de l’UE au sein de l’ONU. Il est clairement apparu qu’il est fort probable que la structure de l’ONU en général, et du Conseil de Sécurité en particulier, telle qu’on la connaît depuis 1945 soit l’objet d’une réforme radicale dans la décennie à venir. Cette réforme s’attaquera très certainement aux trois problèmes cruciaux de l’actuel système de l’ONU, à savoir :

. modifier le rôle, la constitution et la nature de l’Assemblée générale

. modifier la constitution et le rôle du Conseil de Sécurité

. repenser l’architecture générale du système des Nations Unies.

De nombreuses réflexions sont déjà en cours au sein des Nations Unies, comme en-dehors, sur ces questions. L’UE doit se donner les moyens d’avoir un impact décisif sur cette réforme car d’une certaine manière c’est l’avenir du modèle politique qu’elle incarne qui peut s’y jouer. Ainsi en est-il du découpage régional de la planète, qui aujourd’hui contribue notamment à sur-représenter l’Europe du fait de son archaïsme (toujours fondé sur la logique des blocs de la Guerre Froide). Cet exemple illustre bien les choix que l’UE va devoir assumer. Pour pouvoir attirer vers sa vision de la réforme une large majorité d’Etats, il va falloir qu’elle prenne en compte leurs attentes ; notamment quant à la disparition des survivances héritées de l’après-Deuxième Guerre Mondiale, de l’époque coloniale ou de la Guerre Froide. Tout cela « coûtera » aux Européens en termes d’ « avantages acquis » (essentiellement aux Etats-Membres d’ailleurs). En revanche, cela permettra de concevoir un système intégrant deux des facteurs essentiels pour l’UE dans les prochaines décennies : orienter le système de l’ONU vers une base fondée au moins autant sur les « intégrations régionales » que sur les Etats-Nations et renforcer l’influence collective européenne. L’UE doit pouvoir faire reconnaître la pertinence de son approche de l’avenir géopolitique de la planète (dont d’autres régions s’inspirent de plus en plus comme l’ASEAN, l’UA, le Mercosur, …), faute de « rester à la porte » du futur système de gouvernance global.

Pour ce qui est des multiples organismes du système de l’ONU, l’UE doit militer pour une forte rationalisation des instruments et la simplification du système, notamment pour rendre plus compréhensible par l’opinion publique mondiale le fonctionnement de la « machine » des Nations Unies.

Quant au Conseil de sécurité, les débats ont fait clairement ressortir qu’il serait totalement illusoire d’imaginer qu’à moyen terme les deux Etats européens membres permanents du Conseil de Sécurité renoncent à leur place (la France et le Royaume-Uni étant les deux faces d’une même pièce issue de l’époque coloniale, ils resteront ou partiront en effet ensemble ; or pour les années à venir ils désireront rester) ; de la même manière que l’élargissement à d’autres Etats européens du statut de membre permanent semble tout aussi illusoire (le reste du monde estime qu’il y a déjà « trop » d’Européens au Conseil de Sécurité). En l’occurrence, la réforme du Conseil de Sécurité de l’ONU va progressivement devenir une question centrale de la politique extérieure européenne ; et probablement un test de sa crédibilité. La situation est simple : soit les Européens trouvent une solution qui leur convienne et qui convienne au reste du monde ; soit cette question empoisonnera leurs relations intra-européennes. Mais comme il l’a été clairement rappelé lors des débats, n’oublions pas que la « solution européenne » à cette question n’a de valeur que si elle répond aussi aux attentes du reste du monde en matière de futur Conseil de Sécurité. Les Etats membres de l’ONU ne se détermineront en effet que lorsque les différentes propositions seront connues complètement et jugeront de leur compatibilité avec leurs propres intérêts.

Sans entrer dans les détails des pistes de solutions évoquées, on peut citer deux idées originales : la première consisterait à « communautariser » l’un des deux sièges permanents actuels accordé à des Etats-Membres et à faire partager le deuxième par chacun des deux membres permanents en question (avec une rotation tous les 6 mois, ou chaque année) ; la seconde, plus ouverte aux attentes du reste du monde, supposerait tout d’abord la refonte du concept du Conseil de Sécurité en attribuant un nombre de sièges permanents par continent/région (au moins 3) et de partir du nombre attribué pour construire la représentation commune (certainement en mélangeant présence de la France et du Royaume-Uni avec celle d’autres Etats-Membres dans une proportion et une régularité à négocier au sein de l’UE). Comme l’a rappelé un participant, il y a seulement quinze ans, peu de gens pensaient simplement possible que les banques centrales et les ministères des finances européens acceptent le principe d’une Banque Centrale européenne et d’un EuroGroup. Cette évolution milite pour un certain optimisme quant à la représentation européenne au Conseil de sécurité.

Pour le reste, l’accent a été mis sur le besoin de coordination transversale dans toutes les institutions internationales. La création d’une unité de coordination en la matière, auprès du futur Ministre européen des Affaires étrangères, semble être un impératif.

Fonder sur une légitimité démocratique la future politique extérieure commune

En conclusion des travaux, il a été jugé utile de débattre d’une question essentielle mais trop souvent ignorée des débats d’experts sur les questions de politique extérieure : la légitimation démocratique de la politique extérieure européenne. C’est un aspect pourtant essentiel qui déterminera directement la capacité de l’UE à réellement mettre en œuvre cette politique. Parallèlement, on a vu avec la crise irakienne, combien les opinions publiques peuvent être convergentes alors que les dirigeants se divisent ; ou bien, dans le cas de la Turquie, combien les dirigeants peuvent converger et les opinions publiques diverger d’avec leurs dirigeants. Dans tous les cas, c’est la crédibilité de l’UE ou de ses engagements qui est en cause. La question de la légitimité démocratique de la politique extérieure européenne est donc centrale.

Structurellement, de par la nature même de l’UE, cette politique extérieure commune est soumise à des contraintes démocratiques auxquelles échappent en général les politiques extérieures nationales. En effet, l’intérêt « européen » n’est pas « évident », ni « naturel » à ce stade de la construction européenne, contrairement en général aux intérêts « nationaux » qui se sont forgés au cours des siècles, et sont familiers à nos concitoyens dans chaque Etat-Membre. L’intérêt « européen » doit donc être explicité et fondé à travers un vaste débat, qui lui-même doit pouvoir être perçu comme légitime par les opinions publiques faute de voir ses conclusions remises en cause au moindre changement de dirigeants (c’est d’ailleurs le danger qui guette la future décision de l’UE concernant la Turquie comme l’a rappelé un participant).

Pour répondre à cette contrainte, un intervenant a démontré combien il sera impossible de faire demain l’économie de partis politiques trans-européens, seuls capables de donner au Parlement européen l’assise politique pour jouer son rôle en matière de politique extérieure européenne. Sans cette composante nouvelle du jeu politique européen, le débat sur la politique extérieure commune restera confiné aux enceintes démocratiques nationales, qui par nature sont incapables de pouvoir appréhender l’intérêt collectif européen (ou plutôt l’identifient à leur intérêt national) ; dans le même temps, sans ce nouveau « médiateur » politique entre citoyens et décideurs européens, la politique extérieure européenne restera perçue comme le fruit de compromis entre Etats et divers lobbies européens, sans légitimité et donc in fine sans portée durable.

Le recours aux ONG et à la société civile comme médiateurs, s’il a été jugé nécessaire tant que ces forces politiques trans-européennes n’ont pas émergé, a néanmoins soulevé le problème de la légitimité et de la représentativité de ces organisations, rappelant notamment que les ONG « bruxelloises » ne représentent généralement qu’elles-mêmes et n’ont aucun impact réel sur la société civile européenne. Cette situation renforce l’exigence d’implication des relais d’opinion nationaux et locaux dans ce type de procédure de débats, d’information ou de consultations.

Il est en tout cas clairement ressorti de ce dernier thème qu’en matière de politique extérieure commune également la démocratisation de l’UE n’était pas une option à choisir éventuellement ; mais bien un impératif politique. Et cela est d’autant plus vrai, que comme l’ont rappelé plusieurs participants, la question du rôle de l’UE dans le monde est très certainement l’un des thèmes les plus aptes à susciter un intérêt grand-public pour le débat européen.

Ce document engage la seule responsabilité d’Europe 2020

 

[1] Une deuxième série de 7 séminaires GlobalEurope 2020 II, dite série « mondiale », débutera au printemps prochain à Washington (avec le soutien conjoint des ambassades d’Allemagne et de France aux Etats-Unis), pour se poursuivre, au cours de l’année 2005/2006, à Johannesburg, Le Caire, Rio-de-Janeiro, Bangkok, Moscou et au siège de l’ONU.

[2] Cette note de synthèse, qui est diffusée à des milliers de décideurs et de relais d’opinion en Europe et dans le monde, n’utilisera que l’expression « politique extérieure commune » afin d’éviter les acronymes (comme PESC) qui constituent un handicap en matière de communication de cette même politique vers les citoyens européens. Ce qui en soi rend plus difficile la mise en œuvre aujourd’hui de cette politique faute d’une légitimité politique suffisante.

[3] Il est à noter que le terrorisme ou le conflit des civilisations n’est en aucun cas apparu comme une composante essentielle de l’environnement mondial des prochaines décennies.

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