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Quelle politique commune UE-Amérique du Nord?

Note de synthèse – Séminaire GlobalEurope 2020 UE/Amérique du Nord (La Haye, 28 janvier 2004)
12/02/2004

 

« L’avenir transatlantique n’est plus ce qu’il était »

Clingendael Institute

On pourrait retenir cette phrase pour qualifier la richesse et la qualité des interventions et débats du deuxième séminaire GlobalEurope 2020 qui s’est tenu à La Haye, dans les superbes locaux de l’Institut Clingendael. Organisé par Europe 2020 en coopération avec le Ministère néerlandais des Affaires étrangères, il a traité de la future politique européenne en matière de relations transatlantiques. L’importance du thème et l’intérêt de l’approche retenue (un séminaire européen sur la question transatlantique et non pas un séminaire transatlantique) ont été confirmée par une participation nombreuse (65 participants) et de très haut niveau venue de 25 Etats différents. La convergence des opinions et analyses des intervenants et participants européens a été particulièrement remarquable et remarquée par tous ; elle constitue déjà en soi, après le chaos transatlantique de l’année 2003, une information majeure.

Europe 2020 a essayé de résumer les travaux autour de 6 idées-forces suivies de 7 propositions :

1. Les Européens ne voient plus la relation transatlantique comme ils la voyaient depuis 1945 du fait des évolutions post-1989 et des crises récentes (notamment Irak) : des trois piliers historiques de la relation transatlantique, deux sont en crise ouverte et le troisième est solide mais pose de nombreux problèmes.

2. Cette évolution, qui touche l’ensemble des Européens, s’inscrit dans un contexte général de changement profond de l’UE : l’Europe des années 2010/2020 n’aura rien à voir avec celle des décennies passées. La période de construction s’achève et laisse la place à une époque de gestion, de gouvernance d’une UE comptant près de 500 millions de citoyens et près de 30 nationalités différentes.

3. Comme l’ont rappelé tous les participants, les Européens restent majoritairement convaincus de l’importance de la relation transatlantique pour le XXI° siècle ; pourtant, tous ont exprimé leur sentiment que cette même relation allait être difficile à adapter à la donne du nouveau siècle.

4. L’incompréhension du multilatéralisme : un déficit intellectuel américain inquiétant pour la relation transatlantique de demain.

5. La relation transatlantique des prochaines décennies sera placée dans un contexte global par les Européens ; leur conviction que le monde du XXI° siècle sera meilleur si Américains et Européens s’entendent motive et limite à la fois la future relation UE/Etats-Unis.

6. Trois conditions pour réussir la relation transatlantique des décennies à venir : former les futurs joueurs, s’accorder sur le but du jeu, dégager de nouvelles règles communes.

A. Communiquer et discuter l’UE et ses positions avec les citoyens américains

B. Contribuer à combler le déficit intellectuel états-unien en matière de complexité et de multilatéralisme

C. Contribuer à forger des instruments intellectuels communs pour l’identification des risques, menaces et dangers ; ainsi que des méthodes d’intervention commune

D. Générer un vaste débat transatlantique sur le processus de démocratisation du Moyen-Orient

E. Cartographier la relation inter-institutionnelle UE/Etats-Unis en identifiant les flux humains américains dans les institutions nationales et européennes ; et vice-versa

F. Stimuler la réflexion européenne, puis transatlantique sur la réforme de l’ONU ; appuyée notamment sur une proposition d’une représentation européenne unique au sommet de chaque grande institution internationale

G. Doter la représentation communautaire aux Etats-Unis d’une visibilité politique, capable de dégager l’UE de son image terne de bureaucratie

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1. Les Européens ne voient plus la relation transatlantique comme ils la voyaient depuis 1945 du fait des évolutions post-1989 et des crises récentes (notamment Irak) :

Des trois piliers historiques de la relation transatlantique, deux sont en crise ouverte et le troisième est solide mais pose de nombreux problèmes. La relation transatlantique telle qu’on la connaît depuis plusieurs décennies a émergé à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale et s’est étendue à tout le continent européen à partir de 1989. Elle s’est construite à partir de trois piliers fondamentaux : des enjeux de sécurité communs aux Etats-Unis et à l’Europe, des valeurs communes et un intérêt économique mutuel. Au cours des deux décennies à venir, chacune de ces trois composantes va devoir être intégralement redéfinie du fait des évolutions en cours et à venir, tant en Amérique du Nord qu’en Europe, mais aussi dans le reste du monde.

Sécurité – Paradoxalement, la fin de la Guerre froide, qui a vu s’étendre à l’ensemble du continent la relation constituée à l’origine entre les Etats-Unis et l’Europe occidentale, consacre également une rupture majeure, à savoir l’affaiblissement structurel de la perception de menaces communes. En effet contrairement à la période 1945-1989, les Européens ne perçoivent plus de menaces majeures pesant sur leur continent ; alors que les attentats du 11 Septembre 2001 ont généré aux Etats-Unis un sentiment nouveau de vulnérabilité. La crise irakienne de 2003 a directement illustré cette évolution en marquant une rupture nette entre opinions publiques européennes et états-uniennes qui a conduit à des affrontements politiques violents entre dirigeants de pays pourtant membres de la même alliance militaire, à savoir l’OTAN. Si au niveau des opinions publiques européennes, la convergence s’est rapidement faite autour de trois idées-forces (rôle central des Nations-Unies, respect du droit international et refus du concept de « guerre préventive »), pour ce qui est des dirigeants européens, trois positions se sont dessinées : un soutien complet à la position défendue par Washington invoquant menaces immédiates et directes, exigeant donc une action militaire préventive ; un soutien à l’allié états-unien par respect des engagements historiques, sans pour autant partager complètement ni l’analyse, ni la recommandation ; et enfin, un refus de l’analyse et des recommandations de guerre préventive. Suite aux développements de la crise irakienne (qui notamment invalident l’essentiel des analyses légitimant la guerre préventive et démontrent la très grande complexité de la gestion de l’après-guerre contre Saddam Hussein), le séminaire a montré une remarquable convergence d’analyses des participants et intervenants européens qui ont souligné le questionnement désormais général en Europe de la nature et de l’avenir de la relation transatlantique. Les interrogations ouvertes par la crise irakienne devront trouver des réponses faute de voir ce pilier essentiel qu’est la sécurité commune s’effondrer.

Valeurs communes – Ce risque est d’autant plus fort que les conséquences du 11 Septembre 2001 continuent d’être perçues différemment en Europe et aux Etats-Unis. Ainsi, si la réponse par une lutte efficace et constante contre le terrorisme est partagée par les gouvernements européens comme par les gouvernements nord-américains, la notion d’efficacité n’est pas évaluée de la même manière par les Européens et les Etats-Uniens (Canadiens et Mexicains étant là encore souvent beaucoup plus proches des positions européennes). Là où Washington applique une réponse essentiellement militaire (l’action en Irak elle-même a été présentée comme un élément de la lutte contre le terrorisme) ou policière (renforcement des législations anti-terroristes, limitation des droits civiques notamment des étrangers), les Européens perçoivent la question terroriste comme beaucoup plus complexe et exigeant un traitement multi-sectoriel, s’attaquant également aux causes sociales, économiques ou politiques du terrorisme. Ils questionnent également de manière croissante la légitimité, l’efficacité et la finalité des mesures légales restreignant les libertés individuelles et contestent que le terrorisme est le seul et unique problème essentiel auquel la planète soit confrontée dans l’avenir. Cette divergence d’analyse dépasse d’ailleurs largement la cas de la guerre contre le terrorisme (dont l’un des intervenants a rappelé qu’il n’était qu’une méthode et que « guerre contre le terrorisme » sonnait comme si en 1939-1945, on avait fait la guerre contre le « blitzkrieg », et non pas contre le nazisme – idéologie – ou Hitler). Cette situation contribue dès aujourd’hui à éroder sérieusement le pilier des valeurs communes aux Européens et aux Etats-Uniens. Ainsi, résumant un sentiment général du séminaire, l’un des intervenants, pourtant atlantiste fervent depuis des décennies, s’est ouvertement interrogé sur le fait de savoir si les valeurs des Etats-Unis et de l’Union européenne seront encore communes d’ici 2020.

Economie – En ce qui concerne le troisième pilier historique de la relation transatlantique issue de la Seconde Guerre Mondiale (l’économie), les positions, tout en étant convergentes sur son importance croissante, ont néanmoins divergé sur son évolution. Tout en rappelant l’importance du commerce et des investissements transatlantiques (2000 milliards de dollars en 2002) qui font de ces deux régions du monde les plus étroitement économiquement imbriquées qui soient, créant ainsi des solidarités de fait et des intérêts mutuels extrêmement puissants, certains ont souligné que les conflits commerciaux croissants entre UE et Etats-Unis, bien que faibles en valeur relative (moins de 1% du total des échanges), affectaient durablement et négativement les relations politiques entre les deux ensembles.

L’existence de l’Euro contribue a créé une situation entièrement nouvelle, sans équivalent dans le passé transatlantique même lointain, qui fait exister pour la première fois l’Europe concrètement à côté du Dollar. Toutes les implications financières et économiques de l’Euro sont loin d’être tirées mais on a déjà pu constater pendant la crise irakienne qu’il créait une situation très nouvelle pour Washington en neutralisant toute possibilité de singulariser monétairement tel ou tel allié européen pour son comportement. Parallèlement, la montée en puissance d’autres acteurs économiques importants à l’échelle globale (cf. Cancun) ouvre une période neuve pour la relation économique transatlantique en offrant de nouvelles occasions de coopérer aux Européens et aux Américains pour peser ensemble sur un jeu plus complexe et plus ouvert ; mais pouvant également entraîner chacun des deux acteurs à chercher d’autres alliances.

En conséquence, en ce début 2004, il apparaît que pour les Européens, des trois piliers historiques de la relation transatlantique, deux sont en crise ouverte et le troisième est solide mais pose de nombreux problèmes. Les débats du séminaire ont également fait clairement ressortir une évidence trop souvent oubliée : les piliers de la relation transatlantique ne sont pas un « don de Dieu » mais bien une construction des hommes et des femmes d’après 1945. Ils ne sont pas une donnée de l’Histoire mais une variable qui résulte de la volonté et de l’attention que lui accordent les sociétés européennes et américaines.

2. Cette évolution, qui touche l’ensemble des Européens, s’inscrit dans un contexte général de changement profond de l’UE :

L’Europe des années 2010/2020 n’aura rien à voir avec celle des décennies passées. La période de construction s’achève et laisse la place à une époque de gestion, de gouvernance d’une UE comptant près de 500 millions de citoyens et près de 30 nationalités différentes. Cette évolution conduit les Européens à prendre du recul par rapport à la relation transatlantique issue du second conflit mondial et de ce fait à s’interroger sur ce que peut être pour l’avenir la relation UE/Etats-Unis. Bien entendu, l’UE n’est pas un ensemble homogène ni dans sa vision des Etats-Unis, ni dans sa relation historique aux Etats-Unis, ni dans sa perception et sa capacité d’action dans les différents volets de la relation transatlantique. Néanmoins l’intégration européenne désormais continentale (à partir de Mai 2004) est une réalité dans un nombre croissant de domaines affectant les trois piliers de la relation transatlantique.

Il est ainsi exemplaire de constater que la crise irakienne, loin de précipiter l’UE dans une division croissante en matière de politique extérieure ou de sécurité et défense, a permis à l’Europe de se renforcer tant en termes opérationnels (Berlin +, intervention en Côte d’Ivoire, Bosnie, Afghanistan) qu’en termes politiques (adoption du document Solana décrivant pour la première fois une stratégie commune en la matière).

Les participants du séminaire ont ainsi démontré que dans les prochaines décennies, côté Européen, la relation transatlantique obéirait, dans chaque domaine, à des stratégies et objectifs convergents (assurer à l’Europe les moyens de sa prospérité, de sa sécurité et de la promotion de ses valeurs et de ses intérêts) mais serait conçue et mise en œuvre par des acteurs institutionnels différents (BCE pour l’Euro, Commission pour les relations commerciales, groupe pionnier pour la Défense (Berlin +) et la Politique étrangère, …). A ces acteurs doivent être bien entendu ajoutés les opérateurs économiques et, de manière croissante, les acteurs de la société civile européenne (universités, ONG, …) puisqu’on a pu constater combien les opinions publiques et leurs relais pouvaient être décisifs dans la relation transatlantique.

L’Europe des prochaines décennies sera certainement une entité politique très éloignée du modèle fédéral américain. Plus polycentrique dans ses modes de décision, plus multilatérale dans son propre fonctionnement interne, elle aura aussi pour caractéristique de voir ses relations extérieures, dont celle avec les Etats-Unis, engagées dans le débat public du fait de l’existence de ses nombreux Etats-Membres et du besoin de définition de ces politiques à 25 (ou plus). L’actuel débat européen sur le déficit démocratique illustre à quel point la définition des relations transatlantiques aussi, comme d’autres politiques, ne restera pas encore très longtemps l’apanage de cercles restreints mais sera influencée par les évolutions de l’opinion publique européenne. Cette Europe de 500 millions de citoyens va chercher sa voie dans le monde globalisé du XXI° siècle et la relation transatlantique là encore en constituera un paramètre, et non pas une donnée intangible. Ce que l’on peut savoir dès aujourd’hui, comme l’a remarquablement exprimé l’un des intervenants, c’est que nous aurons très certainement « des politiques transatlantiques communes plutôt qu’une politique commune transatlantique ». Cette multiplicité constitue tout autant une donnée incontournable de l’avenir de l’Europe et de sa vision du monde qu’une des causes croissantes d’incompréhension et d’opposition transatlantiques.

3. Comme l’ont rappelé tous les participants, les Européens restent majoritairement convaincus de l’importance de la relation transatlantique pour le XXI° siècle ; tous ont pourtant exprimé leur sentiment que cette relation allait être difficile à adapter à la donne du nouveau siècle.

Si les Européens reconnaissent les nécessités de devenir des partenaires crédibles dans plusieurs domaines (défense, sécurité et croissance économique), ils revendiquent un partenariat à égalité avec les Etats-Unis au sein de la relation transatlantique des prochaines décennies. Cette revendication n’est pas une demande irresponsable de pays négligeant leur défense et leur puissance militaire mais, du point de vue européen, une exigence légitime au regard de l’évolution historique. L’UE, malgré ses nombreuses faiblesses, est aujourd’hui devenue le modèle politique le plus attractif dans le monde. De l’Amérique du Sud (Mercosur) à l’Asie (ASEAN) ou à l’Afrique (OUA, UMA), tous les continents suivent avec attention ou s’inspirent de l’expérience européenne pour anticiper leurs propres évolutions. Son poids démographique sera presque le double de celui des Etats-Unis à la fin de cette décennie, quand son poids économique sera équivalent. Ses dépenses militaires constituent les deuxièmes au monde même si elles soufrent encore de leur inadaptation (car trop orientées encore par les choix de la Guerre Froide) et de leur fragmentation. ; toutes choses que l’UE entreprend activement de réformer. Son aide au développement est de très loin la première au monde. Si l’UE y reste trop dispersée politiquement (la question d’un futur siège européen au Conseil de Sécurité constitue le catalyseur de toute réforme des Nations-Unies), son action au sein des Nations-Unies en fait l’un des principaux piliers de l’organisation internationale (situation renforcée depuis la crise irakienne). Avec l’Euro, l’UE dispose désormais de l’une des trois seules monnaies d’envergure mondiale. Enfin, en concluant avec succès son élargissement à l’Est, l’UE clôt une longue période de transition historique et prouve sa capacité à exporter une stabilité durable. Pour les Européens, et avec les limites mentionnées en terme de traitement des faiblesses reconnues par tous les participants du séminaire, l’avenir de la relation transatlantique est désormais conditionné par cette exigence de partenariat équilibré. De la capacité de Washington à comprendre cette aspiration et à formuler des réponses adaptées dépendra la pérennité d’une alliance vieille de 60 ans. L’ancienneté et l’intensité de cette relation devraient porter à l’optimisme qui pourtant n’était pas au rendez-vous lors des débats.

4. L’incompréhension du multilatéralisme : un déficit intellectuel américain inquiétant pour la relation transatlantique de demain

La politique récente des Etats-Unis semble inquiéter même les atlantistes les plus convaincus ; pas nécessairement à cause des choix effectués mais plutôt à cause des méthodes, des explications (ou de l’absence d’explications) données et plus généralement par le sentiment d’une myopie considérable sur les évolutions de l’Europe. En un mot, nombre d’intervenants ont exprimé leur conviction que les élites américaines actuelles ne comprenaient plus rien à l’Europe d’aujourd’hui (et que, même si elle était fortement marquée aujourd’hui, cette incompréhension ne datait pas de la présidence actuelle). Au-delà de l’Europe, c’est un constat convergent qui a été développé : les Etats-Unis, et donc avant tout leurs élites, sont en régression considérable dans leur capacité à comprendre le monde comparé à il y a quelques décennies. Leur refus du multilatéralisme ne résulte pas tant d’une analyse objective de la supériorité de l’unilatéralisme que d’une incapacité de nombre de décideurs américains à comprendre et savoir utiliser la dimension multilatérale et les institutions/instruments qui lui correspondent (OMC, ONU, …). En fait, il semblerait qu’ une difficulté générale des élites américaines à penser la complexité soit en cause. Ce déficit intellectuel américain est lourd de conséquences car il obère déjà l’avenir. En effet, les futures élites américaines sont éduquées dans une logique qui n’a pas fondamentalement changé depuis les années 60, alors que la position des Etats-Unis sur l’échiquier mondial s’est considérablement modifiée depuis cette date. Au-delà des élites, le tarissement des flux humains qui ont innervé la relation transatlantique constitue également une grave préoccupation.

Après les grandes migrations européennes qui ont construit la base du lien transatlantique, les couches populaires américaines ont pu expérimenter une relation directe à l’Europe grâce aux troupes américaines en Europe. Ce flux s’est pratiquement intégralement tari depuis une décennie.

Aujourd’hui seuls survivent quelques flux humains très élitistes (scientifiques, diplomates, militaires, hommes d’affaires et universitaires), à côté de flux touristiques superficiels, alors que parallèlement les populations des deux rives sont de plus en plus affectées par les décisions de chacun des deux partenaires. Cette faiblesse des flux humains et intellectuels est renforcée par leur déséquilibre. En effet l’essentiel des instruments stimulant les flux intellectuels entre les deux rives date de l’après 1945 et des efforts de reconstruction de l’Europe. Leurs opérateurs sont presque tous américains, ancrés dans des visions élaborées dans les années 70, focalisés sur les circuits de Washington, Bruxelles, ou quelques autres capitales (exemple : le German Marshal Fund), à l’élitisme de salon venu d’une époque où quelques hommes faisaient la politique transatlantique ; dans d’autres cas, ils ont tout simplement supprimé leurs programmes (comme la plupart des grandes fondations US) faute d’avoir pu identifier l’intérêt de leur renouvellement ; ou encore il ne s’agit que de flux universitaires orientés de l’Europe vers les Etats-Unis avec la carrière personnelle comme seul objectif. On constate en tout cas que si la population européenne est bien innervée par le débat transatlantique (via les médias ou la multitude de conférences transatlantiques organisées sur tout le territoire européen) ; il n’en est rien de la population américaine qui n’est jamais ou presque exposée à ces questions.

Les tentatives des années 90, autour du NTA, avec les « transatlantic dialogs », ou les « réseaux universitaires transatlantiques », ont essayé de rééquilibrer les choses en construisant des partenariats entre opérateurs des deux sociétés civiles. Voulues par les institutions, concentrées sur les acteurs proches de ces mêmes institutions, et conçues comme des mariages plus ou moins forcés, toutes ces tentatives ont abouti à des échecs sans aucune pérennité. Seuls deux projets se sont ancrés dans la durée : les European Centers soutenus par le Parlement européen et portés par des universités américaines ; et TIESWEB, seul site portail transatlantique destiné aux acteurs des deux sociétés civiles. Dans les deux cas, les initiatives se caractérisent par une implication d’acteurs de terrain, une implantation dans le « pays réel » (et non pas dans les institutions ou autour) et par une volonté d’associer les citoyens américains (et/ou les « communities ») et pas seulement les Européens.

L’Europe ne continuera pas à laisser son image et les relations avec elles être débattues sans elle et sur le territoire de son principal partenaire. Le soi-disant manque d’intérêt de l’opinion publique américaine pour les relations extérieures apparaît de plus en plus comme une excuse pratique pour des dirigeants qui ne veulent pas faire de la politique extérieure un sujet de débat public. Le champ démocratique européen étant ouvert sans restriction aux acteurs américains, l’Europe ne manquera donc pas à l’avenir de s’investir dans le champ démocratique américain pour mieux faire connaître ce qu’elle devient et ce qu’elle espère.

Au-delà de l’Europe, c’est aussi la faiblesse de l’éducation et de l’information fournies aux citoyens américains sur le reste du monde qui commence à préoccuper fortement les Européens. La perpétuation d’une telle situation, sans une action vigoureuse des décideurs américains, ne pourrait que contribuer à renforcer les risques d’incompréhension entre Etats-Unis et UE ; mais aussi entre les Etats-Unis et le reste du monde. Les intervenants ont rappelé que l’UE n’était presque jamais seule, bien au contraire, dans les conflits qui l’opposaient aux Etats-Unis à l’OMC.

5. La relation transatlantique des prochaines décennies sera placée dans un contexte global par les Européens. Leur conviction que le monde du XXI° siècle sera meilleur si Américains et Européens s’entendent motive et limite à la fois la future relation UE/Etats-Unis.

Cette conviction sera la principale motivation des Européens d’ici 2020 pour renforcer et donc réformer la relation transatlantique issue de 1945. Comme il a été répété à plusieurs reprises dans le séminaire, les Européens ne perçoivent aucune menace majeure directe dans un avenir prévisible. Tant que cette situation durera, ils considèreront le pilier « sécurité » de la relation transatlantique à travers le prisme des menaces et dangers globaux. Le terrorisme en est un, mais comme symptôme de graves déséquilibres mondiaux en termes de développement, d’éducation et de démocratie. Si la relation transatlantique se concentre sur les symptômes et non pas sur les causes, alors les Européens s’en écarteront assez rapidement. De la même manière si le traitement en reste purement militaire et écarte, voire met en danger, des acquis juridiques en terme de protection de la vie privée, de liberté d’expression ou de droits fondamentaux, les frictions Europe/Etats-Unis se multiplieront.

Enfin, si les Etats-Unis persistent à refuser la mise en place d’institutions multilatérales séparant l’exécutif du législatif et du judiciaire (comme la Cour Pénale Internationale), ces frictions deviendront de profondes divergences.

Par ailleurs, à la différence de Washington, les Européens sont avant tout préoccupés par l’émergence rapide de dangers objectifs comme la pauvreté, les épidémies, le réchauffement planétaire, les manques d’eau ou d’énergie, … qu’ils considèrent comme les vraies menaces à moyen et long termes pesant sur notre sécurité collective. De ce point de vue, les rejets américains d’approches multilatérales visant à traiter ces questions contribueront à renforcer durablement dans l’opinion publique européenne et chez les décideurs du Vieux Continent la volonté de forger d’autres alliances que l’alliance transatlantique. Cette question de l’analyse des risques et de leur perception sera donc au cœur du défi que représente la future relation transatlantique (la question du principe de précaution qui génère les conflits transatlantiques en matière d’alimentation en est un bon exemple).

En matière de défense, si les Européens ont le devoir de rationaliser leurs outils, il est essentiel que la finalité de l’ « Alliance atlantique » (la seule qui soit vraiment formalisée) soit adaptée à cette exigence européenne de parité dans la décision (comme dans la responsabilité et le fardeau, bien entendu). Il faudra aussi traiter une question qui ne fait qu’émerger aujourd’hui dans l’opinion publique européenne mais deviendrait lancinante en cas de crise similaire à l’Irak : la légitimité démocratique des décisions de l’OTAN, surtout quand un profond désaccord divise ses membres. Pour le reste sa restriction à l’Amérique du nord et à l’Europe en ce qui concerne ses membres, alors que son action se veut de plus en plus globale, posera un nombre croissant de questions aux Européens. Son élargissement à d’autres pays démocratiques, dans d’autres régions du monde, pourrait devenir un sujet de débat transatlantique dans les prochaines années. De la même manière, l’idée récurrente (relancée récemment par l’Espagne) de créer un vaste marché unique transatlantique sera analysée par les Européens à l’aune de son impact sur le processus commercial global. Contribuera-t-il ou non à un renforcement des négociations globales ou bien se fera-t-il à leur détriment, et/ou au détriment d’autres zones ? Là encore la réalité d’une Europe qui se conçoit dans le monde s’opposera à des tentatives de la positionner dans un club fermé, coupé de son environnement.

Si la relation entre Européens et Américains apparaît comme pouvant avoir un impact favorable sur ces questions collectives, les Européens s’engageront à nouveau avec enthousiasme dans le partenariat transatlantique ; mais cette question même de l’impact, selon les Européens, exige une prise en compte beaucoup plus importante des préoccupations européennes par Washington. Si les Européens estiment que cette relation n’apporte que peu d’éléments voire même qu’elle est négative vis-à-vis de ces problèmes globaux, progressivement la relation transatlantique se réduira à de simples accords ponctuels et limités.

6. Trois conditions pour réussir la relation transatlantique des décennies à venir : former les futurs joueurs, s’accorder sur le but du jeu, dégager de nouvelles règles communes.

Pour tous les participants du séminaire, il est évident que nous sommes à un carrefour de l’histoire entre nos deux continents. L’ordre établi après 1945 s’évanouit dans le passé. Les rapports de force mondiaux qui s’annoncent pour les vingt années à venir sont d’une toute autre nature que ceux des soixante dernières années. Des deux côtés de l’Atlantique, des générations qui n’auront pas été marquées par la Seconde Guerre Mondiale, voire la Guerre Froide, vont arriver au pouvoir vers la fin de cette décennie. La relations duale et très élitiste qui a présidé aux années de fondation de la relation transatlantique de la deuxième moitié du XX° siècle laisse la place à des relations beaucoup plus complexes, impliquant de très nombreux acteurs, dont les opinions publiques, et est désormais plongée dans un environnement doté de nombreuses autres puissances. Si cette relation doit rester un jeu à somme positive, comme elle le fut pendant soixante ans (ce qui explique son intensité et sa durée), alors il faut d’urgence en former les joueurs à venir et dégager des règles communes, comme s’accorder sur le but du jeu. Faute de pouvoir réaliser cela d’ici 2010, la relation privilégiée qu’ont connu Européens et Américains pendant des décennies appartiendra au passé ; et d’une manière certaine le monde sera moins sûr. Les Européens regarderont avec beaucoup d’intérêt le résultat des futures élections américaines même s’il est certain que nombre des tendances qui les inquiètent sont là pour durer car elles tiennent à des évolutions (ou des régressions) de la société américaine. Leur attente de « fellowship » et non plus de « followship » n’est pas incompatible avec un « leadership » américain comme l’a bien résumé un intervenant. Mais encore faut-il que les Etats-Unis veuillent assumer un « leadership » moderne, fondé sur le travail en réseau, la gestion d’équipe ; plutôt que sur le « caporalisme » et l’autorité hiérarchique.

Il est dans tous les cas nécessaire de réfléchir sur le sens de la relation transatlantique de demain et sur les moyens de communiquer ce sens au plus grand nombre. Il ne serait pas inutile de méditer sur la relation franco-allemande et ses mécanismes et instruments pour déterminer si certains aspects ne sont pas adaptables à la relation UE/Etats-Unis. Bien entendu, comme l’a fait justement remarquer un intervenant, les relations franco-allemandes se sont fondées sur les décombres de la guerre. Mais rien n’empêche d’essayer de faire l’économie d’une guerre pour fonder une relation saine et durable.

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Comme l’Histoire n’attend pas et que les Européens doivent assumer leurs aspirations, voici donc en guise de conclusion, cinq axes stratégiques et projets concrets destinés à avoir un impact durable sur les décennies à venir, que les Européens pourraient mettre en place dès cette année :

A. Communiquer et discuter l’UE et ses positions avec les citoyens américains

Stimuler l’émergence d’acteurs européens et de pôles américains de communication, de présentation et de débat de l’Union européenne et de ses positions transatlantiques ou globales. En effet, les débats transatlantiques sont nombreux, soutenus souvent par des opérateurs américains, sur tout le territoire européen ; mais aux Etats-Unis, en-dehors du triangle Washington/New-York/Boston (et encore est-ce limité aux élites), on peut considérer qu’il n’existe aucun débat transatlantique. Pourtant à Kansas City, Miami, Chicago, Denver ou Phoenix, il existe une multitude d’acteurs (associations, écoles, collèges, universités, collectivités locales) qui sont intéressés par ces thèmes. Encore faut-il qu’ils aient l’occasion d’en débattre. Il est donc urgent que l’Europe se dote d’opérateurs capables d’agir directement ou de soutenir des actions directes d’information/communication européenne sur le territoire américain. L’expérience des années 90 incite à ne pas confier aux institutions communautaires la maîtrise d’œuvre de ce type d’opérations. Leur succès reposera sur la proximité des acteurs société civile, la flexibilité et la réactivité. Il est essentiel de compléter la panoplie européenne très insuffisante qui repose sur des opérateurs nationaux (privés ou publics) incapables tous seuls de donner la moindre image cohérente de l’UE. Deux axes sont envisageables :

I. la création d’une « Fondation Européenne pour les Relations Transatlantiques », installée dans une ville importante d’un Etat-membre aux fortes connections transatlantiques. Dotée d’un budget limité (2 millions d’Euros par an) fourni par les Etats-Membres et les institutions communautaires volontaires ainsi que par le secteur privé, elle aurait vocation à soutenir des initiatives pérennisables, couvrant des portions importantes du territoire ou de la société américaine, en se concentrant sur les projets conduits et réalisés par des Européens de moins de 40 ans. Elle ne financerait ni voyages d’études, ni séminaires transatlantiques de « haut niveau », ni formations de plusieurs semaines ou mois, ces aspects étant déjà largement couverts par les opérateurs transatlantiques existants.

II. Le renforcement du réseau des European Centers, en confiant à certains une tâche dominante différente (recherche, communication, information, … ) : Leur gestion en réseau s’impose pour éviter la perte en ligne. Leur répartition géographique est importante mais ne doit pas conduire à la création de centres à l’efficacité douteuse. Leur financement doit être garanti dans la durée sous réserve d’évaluations indépendantes régulières. Ils doivent constituer la base d’une appropriation autonome par le système universitaire américain du contenu intellectuel de la construction européenne.

B. Contribuer à combler le déficit intellectuel états-unien en matière de complexité et de multilatéralisme

L’environnement du jeu transatlantique au XXI° siècle aura des caractéristiques qui sont déjà apparentes. Le multilatéralisme sera la forme dominante au sein des relations internationales. L’émergence de nouveaux acteurs mondiaux puissants (Chine, Brésil, Afrique du Sud, Russie) comme d’entités régionales majeures (UE, Mercosur, Asean) est un fait déjà patent aujourd’hui. Le coût exorbitant de leur politique unilatérale irakienne que payent aujourd’hui les Etats-Unis (coût budgétaire, politique, moral) confirme encore cette tendance. Mais pour se mouvoir aisément dans un monde « multilatéral » encore faut-il disposer des élites et des opinions publiques formées à en comprendre les enjeux, les avantages, les méthodes et les contraintes. Or aujourd’hui, la quasi-inexistence de formation à l’international des élites américaines (comme des citoyens d’ailleurs) conduit le système décisionnel états-unien à préférer la voie unilatérale faute de pouvoir en choisir une autre. Dans son intérêt bien compris, comme dans celui de son partenaire transatlantique, l’UE doit à tout prix essayer de contribuer à remédier à ce grave déficit. Pour ce faire, outre les propositions suivantes qui contribuent aussi plus ou moins directement au même objectif, l’UE pourrait mettre en place une double série de formation destinée aux élites états-uniennes :

I- Formation en Europe au modèle de gestion trans-européen (entreprises, institutions, réseaux associatifs, …) destinée à de jeunes ou futurs professionnels américains du secteur public ou privé

II- Formation aux Etats-Unis avec l’appui des European Union Centers de diplômes de gestion trans-culturelle

Par ailleurs, l’UE pourrait officiellement soulever auprès des autorités fédérales, nationales et locales américaines l’importance de l’éducation à l’international, impliquant l’enseignement des langues étrangères, de l’histoire et de la géographie. Ces éléments font partie en effet du cursus de base d’un citoyen d’un pays démocratique moderne au XXI° siècle.

C. Contribuer à forger des instruments intellectuels communs pour l’identification des risques, menaces et dangers, ainsi que des méthodes d’intervention communes

Comme cela a été répété à plusieurs reprises dans le séminaire, la divergence d’analyse et de perception des risques s’accroît. Il est donc urgent de créer une série de formations destinée à de jeunes experts pour développer des outils d’analyse communs, et dans un deuxième temps, concevoir des instruments d’intervention. Mêlant gouvernements, institutions communautaires, centres de recherche et ONG, cette initiative pourrait prendre la forme d’un réseau substantiellement financé par l’UE et appuyé sur les principaux pôles d’excellence européens en la matière (il intègrerait des bourses conséquentes pour inviter les partenaires américains).

D. Générer un vaste débat transatlantique sur le processus de démocratisation du Moyen-Orient

Les deux continents sont désormais convaincus que l’instabilité chronique de la région du Moyen-Orient constitue une menace directe pour la paix globale. Ils s’entendent également sur le fait que l’absence de démocratie des Etats arabes est la principale cause de cette instabilité. De là, Américains et Européens divergent quant à aux autres causes et quant aux méthodes et moyens à mettre en œuvre afin d’accompagner cette région vers son intégration pacifique au XXIème siècle. Il est urgent que l’Europe lance une série d’initiatives visant à rassembler experts, universitaires, et responsables des secteurs privés et associatifs autour d’un débat sur ce thème essentiel : comment démocratiser le Monde arabe ?

E. Cartographier la relation inter-institutionnelle UE/Etats-Unis en identifiant les flux humains américains dans les institutions nationales et européennes, et vice-versa

Chaque année des milliers de fonctionnaires et experts européens et américains sont échangés entre les institutions communautaires et les gouvernements européens d’un côté, et les institutions fédérales et nationales américaines de l’autre. Personne en Europe n’a la moindre visibilité globale du processus. Il est pourtant nécessaire de bien déterminer comment ces flux s’organisent afin de pouvoir les optimiser et renforcer ainsi la coopération entre les deux continents.

F. Stimuler la réflexion européenne, puis transatlantique sur la réforme de l’ONU ; appuyée notamment sur une proposition d’une représentation européenne unique au sommet de chaque grande institution internationale

Au-delà des nécessaires réformes en matière de défense, d’armement, de contrôle anti-prolifération, … , il est un domaine où l’UE ne peut durablement faire l’impasse faute de ne pouvoir être crédible vis-à-vis de son partenaire américain en matière de sécurité globale : c’est celui de la réforme de l’ONU. Or l’ONU, comme la relation transatlantique est un produit de la Seconde Guerre mondiale, leurs réformes sont donc étroitement liées. La présence de deux sièges européens permanents au Conseil de Sécurité (comme de sièges non permanents européens) pose la question de la capacité de l’Europe à parler d’une seule voix quand les intérêts mondiaux sont en jeu. Il n’est donc pas concevable qu’à l’horizon 2020, en fonction des aspirations européennes à peser sur l’échiquier mondial et à rééquilibrer son partenariat transatlantique, elle puisse ne pas avoir unifié son système de représentation au sein de l’ONU (et autres organisations globales). Le caractère éminemment « tabou » de ce sujet, notamment pour le Royaume-Uni et la France, n’enlève rien au fait que c’est une question qui se posera bientôt, et probablement sur fond de débat transatlantique. Les Européens ont donc tout intérêt à entamer dès aujourd’hui une telle réflexion pour envisager les multiples solutions possibles. Une telle évolution d’ici 2010 contribuerait fortement à rénover, rééquilibrer et donc renforcer le partenariat UE/Etats-Unis. Le soutien européen à une série de travaux sur ce thème est plus qu’urgent.

G. Doter la représentation communautaire aux Etats-Unis d’une visibilité politique, capable de dégager l’UE de son image terne de bureaucratie

L’UE est depuis des années identifiée à Bruxelles et à la Commission dans les cercles politiques, économiques, universitaires et médiatiques de Washington. Il est urgent de « débureaucratiser » cette image qui ne correspond plus à la réalité de l’UE où la Commission par exemple joue un rôle très en retrait depuis une décennie. L’UE d’aujourd’hui et de demain est faite au quotidien par des entreprises, des associations, des universités, des collectivités locales. Il est essentiel de présenter aux Etats-Unis un visage institutionnel vivant et dynamique. Il faut donc s’assurer que les responsables que l’UE envoie aient un profil politique, communiquant ; et qu’ils seront capables d’être des facilitateurs de cette implication de la société civile européenne dans le débat transatlantique que supposent les propositions précédentes.


Ce document engage la seule responsabilité d’Europe 2020 Et ne reflète pas les points de vue du Ministère néerlandais des Affaires étrangères

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