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Quelle politique commune de l’UE en direction de l’Amérique latine ?

Note de synthèse Séminaire GlobalEurope/UE-Amérique latine (Lisbonne, 9 juillet 2004)
19/07/2004

 

Organisé le 9 juillet 2004 par Europe 2020 en coopération avec le Ministère portugais des Affaires étrangères,et avec le soutien et la présence du Secrétaire d’Etat aux Affaires Européennes, M. Carlos Costa Neves, dans le magnifique Centre Culturel de Belem sur les bords du Tage, ce cinquième séminaire d’anticipation GlobalEurope 2020 a traité de la future politique européenne en matière de relations avec l’Amérique latine. La participation nombreuse (45 participants) et de très haut niveau venue de 16 Etats différents a démontré l’importance du thème abordé à un moment où l’Amérique latine s’engage plus que jamais dans la voie de l’intégration régionale et où l’UE cherche à en faire un partenaire stratégique au niveau global. Cette session s’est à nouveau caracterisée par une très grande convergence des opinions et analyses des intervenants et participants européens. La confirmation de cette tendance, à moins de deux séminaires de la fin de cette première série GlobalEurope 2020, permet de regarder avec optimisme la conception et la mise en place d’une politique extérieure commune dans les années à venir.

Eloignement géographique et proximité culturelle : voilà le paradoxe qui définit les relations particulières entre l’Europe et l’Amérique latine de ces derniers siècles. De la conquête espagnole et portugaise, à la création de républiques indépendantes ; des flux migratoires massifs venus d’Europe lors de la conquête coloniale et du développement de l’Amérique latine à la tradition d’accueil en Europe des réfugiés politiques latino-américains ; du partenariat honteux dans la traite des esclaves et le massacre des populations indigènes à l’élaboration commune de nouvelles collaborations entre l’UE et le Mercosur, Européens et Latino-Américains partagent plus de 5 siècles d’histoire commune, malgré une grande distance géographique. Comme l’a rappelé en introduction, Monsieur Patricio Aylwin, ancien Président du Chili, pour les élites latino-américaines, la liberté, la démocratie, la science, l’éducation et l’industrialisation sont venus d’Europe.

Cependant, dans les vingt années à venir, si l’on peut voir cette « intimité » Euro/Latino-Américaine se renforcer du fait du même rêve commun d’intégration régionale, de partenariat dépassant le seul cadre économique et commercial pour englober la dimension culturelle, politique et sociale, il ne faut pas sous-estimer deux grands facteurs qui feront de l’Amérique latine de 2020 un continent très différent de celui d’aujourd’hui :

. d’une part, la montée en puissance des populations indigènes qui devrait se traduire par une redéfinition de l’identité des pays latino-américains notamment dans les Andes et en Amérique centrale

. d’autre part, l’évolution complexe de l’influence des Etats-Unis qui restera très importante en Amérique latine et s’opposera aux tendances « europhiles », mais dans un contexte nouveau puisque les Etats-Unis se trouveront également en partie intégrés à l’Amérique latine (la population « latinos » devenant majoritaire dans plusieurs Etats du Sud des Etats-Unis).

Ces évolutions dépendront notamment de la manière dont les élites latino-américaines traiteront l’immense question sociale qui conditionne la stabilité politique et le développement de toute l’Amérique du Sud et du Centre. A ce jour, selon un constant unanime des participants au séminaire, ces mêmes élites (politiques, intellectuelles et sociales) paraissent peu à même de faire face à ces évolutions étant soit condamnées à rester dans le domaine de la rhétorique, faute d’instruments opérationnels (par exemple pour faire avancer concrètement les processus d’intégration régionale) et de légitimité politique (pour réellement transformer le système économique et social qui connaît les plus grandes disparités du monde) ; soit se désintéressant purement et simplement du sort de la grande majorité des habitants de leurs pays et de leur région comme l’illustrent les multiples crises financières latino-américaines et les sommes considérables (souvent supérieures à l’endettement externe des pays concernés) placées en Amérique du Nord ou en Europe par ces mêmes élites.

Un premier constat s’impose donc : si l’UE veut développer une relation durable et forte avec l’Amérique latine, appuyée notamment sur le renforcement de son intégration régionale qui sert la vision européenne d’une architecture globale fondée sur des ensembles régionaux, elle doit d’une part s’employer dans la décennie à venir à diversifier ses interlocuteurs (sortir des élites d’origine européenne, et accroître ses partenariats avec les populations d’origine indienne en particulier), d’autre part mettre en place des processus (politiques et programmes) visant à responsabiliser les élites latino-américaines dans le partenariat avec l’Europe, et même dans leur propre implication dans la bonne gouvernance de leurs pays.

Faute de telles évolutions, la tentative européenne de construire un partenariat stratégique avec l’Amérique latine s’enlisera dans les contradictions du continent latino-américain lui-même (instabilité politique, risques de remise en cause des processus démocratiques, émeutes sociales et/ou ethniques, guerres civiles). Il suffit de suivre l’actualité du continent pour constater à quel point ces tendances sont dès aujourd’hui à l’œuvre : crises financières à répétition (Mexique, Argentine), guerre civile ouverte (Colombie), guerre civile larvée (Venezuela), insurrection sociale et ethnique (Bolivie).

Si elle peut paraître ambitieuse, voire utopique, cette approche complexe et globale de la relation UE/Amérique latine n’en reflète pas moins une double attente des deux parties :

. L’UE souhaite une Amérique latine forte qui soit son partenaire au niveau global (alors que les Etats-Unis souhaitent une Amérique latine engagée dans un processus piloté depuis Washington) et cette force ne peut naître que d’un continent réconcilié entre ses différentes composantes (trois processus d’intégration régionale sont ainsi à l’œuvre aujourd’hui : Mercosur, Pacte Andin et Amérique Centrale) et entre ses différentes populations (la croissance démographique rapide des populations d’origine indienne implique une redistribution des cartes à venir)

. L’Amérique latine a besoin de développement économique et de stabilité politique et les Latinos-Américains aspirent à jouer un rôle global plus important au niveau international.

Le développement économique passe bien entendu par un rôle croissant des entreprises européennes dans la région (où l’UE est déjà le premier investisseur direct étranger) et leur diversification au-delà de l’énergie, de la banque et des télécommunications qui sont les trois secteurs principaux d’investissements européens en 2003. Il passe également par le développement d’accords commerciaux comme ceux dits de « quatrième génération » que l’UE vient de conclure avec le Mexique et le Chili, et tente avec difficulté de signer avec le Mercosur. Il passe peut-être aussi, comme l’ont souligné plusieurs participants, par un accord de libre échange UE/Amérique latine intégrant toute l’Amérique latine d’un seul bloc.

Cependant, il faut garder à l’esprit que sur un continent sous l’influence dominante des Etats-Unis depuis près de 150 ans, l’UE doit pouvoir démontrer l’utilité de son partenariat (au-delà de l’attirance culturelle immédiate) et la plus-value spécifique qu’elle apporte (en comparaison aux Etats-Unis par exemple).

En ce sens, il ne faut pas sous-estimer l’attractivité de l’approche états-unienne qui, privilégiant l’angle commercial, représente une solution idéale pour les classes dirigeantes du continent latino-américain car porteuse de richesse pour elles-mêmes et constitue une solution de facilité pour des gouvernants puisque ne nécessitant pas de réformes importantes notamment dans le domaine social. Même si le « modèle américain » est décrié, il n’en constitue pas moins pour les élites latino-américaines la solution du moindre effort et d’avantages immédiats. Pour illustrer ce décalage entre discours « europhiles » et pratiques quotidiennes, il suffit de constater que 80% des étudiants latino-américains qui vont étudier à l’extérieur de la région vont aux Etats-Unis … pas en Europe !

Il apparaît donc essentiel, et urgent, de rendre identifiable et différenciable (de celle des Etats-Unis) l’offre de partenariat de l’UE. Les débats du séminaire permettent de dégager plusieurs axes :

1. Une offre complète intégrant toutes les dimensions d’un partenariat trans-continental : commerciale, économique, politique, sociale, culturelle, scientifique, sociétale (société civile) et éducative (enseignement supérieur). Cette offre peut s’établir à travers la participation directe à des programmes/processus européens, comme le font par exemple les universités pour le processus de Bologne ; une aide technique généralisée (impliquant formation et enseignement supérieur) aux « techniques » d’intégration régionale (standardisation, normalisation, bench-marking, processus de coopération ouverte inspiré de la stratégie de Lisbonne, coopération douanière, … ) ; création d’un fonds bi-régional de solidarité en partenariat avec les institutions financières latino-américaines et européennes, permettant de limiter l’impact des crises financières et surtout de financer des opérations d’intégration continentale comme les infra-structures)

2. Une offre intégrative, ayant vocation à soutenir l’aspiration à l’intégration de tout le continent latino-américain, et soutenant tous les processus d’intégration propres à la région, visant à lui donner une maîtrise complète de son destin collectif ; et s’adressant aux aspirations d’intégration de toutes les composantes de la société latino-américaine. A ce propos, il est important de constater que les populations indiennes sont porteuses elles aussi d’une aspiration à l’intégration, à travers leurs revendications de dépassement des frontières héritées de la colonisation espagnole et portugaise (et des conflits inter-étatiques du XIX° et début XX° siècle). L’UE pourrait d’ailleurs très utilement lancer/soutenir un programme de préservation/restauration du patrimoine culturel pré-colombien, et aider l’Amérique latine à se doter d’un organisme transnational pour cette préservation/restauration. Outre l’aide à l’intégration régionale, ce serait aussi un signal fort d’une volonté d’être partenaire de tous les Latinos-Américains.

3. Une offre qui se dote de ressources nouvelles afin de faire face au défi que représente la volonté de partenariat de deux continents représentant au total près d’un milliard d’habitants. Ces ressources doivent bien entendu être financières. L’UE doit assumer son discours. Si elle déclare vouloir faire de l’Amérique latine un partenaire stratégique global, elle doit y mettre le prix. Côté latino-américain, il faut renforcer la capacité des acteurs privés et publics à utiliser les aides européennes car il y a actuellement un problème de capacité d’absorption. Mais, le problème n’est pas uniquement budgétaire. Ainsi, si l’UE doit soutenir le développement des liens étroits tissés par l’Histoire entre la péninsule ibérique et l’Amérique latine (comme les sommets ibériques par exemple), elle doit néanmoins diversifier ses propres ressources humaines et se doter d’instruments adaptés à la taille du défi. Tout d’abord, pour réussir, il est essentiel de « sortir la coopération avec l’Amérique latine » du cercle restreint des « spécialistes » pour la dynamiser en y intégrant l’ensemble des pays de l’UE et l’ensemble de sa société civile. En effet, pour l’instant, hors de la sphère économique et commerciale, la coopération UE/Amérique latine apparaît beaucoup trop comme un espace réservé espagnol et portugais (comme l’Afrique l’est pour la France, la Belgique ou le Royaume-Uni). Cela limite ainsi cette coopération à une proportion très faible des Européens et renforce notamment le « barrage » côté européen de la communication uniquement dans les deux langues ibériques (qui en Europe ne sont pas des langues très pratiquées).

D’autre part, et les deux choses sont liées (notamment via l’élément linguistique), il est essentiel d’élargir la base des partenariats, notamment société civile, à d’autres acteurs que les spécialistes de l’Amérique latine. Ce sont ces autres acteurs, en particulier dans la coopération décentralisée (universités, ONG, collectivités locales) qui seront porteurs d’innovation, de dynamisme et de valeur ajoutée « européenne » dans le partenariat. L’arrivée de nouveaux Etats Membres, qui ont connu et connaissent encore des processus de transition politique, économiques et sociaux, représente un atout pour la coopération UE/Amérique latine car leur expérience peut être très utile aux Latino-Américains. L’UE doit tenter de développer une telle possibilité. La mise en place d’opérateurs internet servant de « portail » entre les sociétés civiles des deux continents, sur le principe de TIESWEB fonctionnant entre l’UE et les Etats-Unis, pourrait par ailleurs permettre de dépasser les actuelles « mises en contact » qui se limitent à quelques milliers d’opérateurs par an. L’objectif d’ici 2020 c’est d’avoir des centaines de milliers d’interactions entre les sociétés civiles des deux régions.

Pour conclure, il faut garder à l’esprit la diversité de l’Amérique latine derrière l’apparente façade d’homogénéité linguistique (Espagnol et Portugais) pour espérer réussir dans cette coopération. Le Portugal et l’Espagne constituent des acteurs centraux de ce partenariat mais, pour qu’il réussisse il faut activement intégrer les autres Etats et sociétés civiles. Car en effet, d’ici 2020, c’est surtout parce qu’ils seront les « portes privilégiées » de l’UE pour les Latino-Américains qu’Espagne et Portugal garderont ce rôle central. Et pour ceux qui pensent que nos continents sont bien lointains pour vouloir être si proches, deux phénomènes simples ont été rappelés lors du séminaire :

. il est impossible d’espérer lutter efficacement contre le crime organisé en Europe sans lutter en même temps contre le crime organisé en Amérique latine (exemple bien connu : celui du trafic de cocaïne)

. si des crises politiques violentes éclatent demain au Venezuela ou en Bolivie, la moitié des centaines de milliers de personnes qui fuiront ces deux pays chercheront refuge en Europe, via l’Espagne en particulier.

La question d’ici 2020 est simple : les relations UE/Amérique latine se nourriront-elles de ce type de crise ? ou bien aurons-nous réussi la mise en place du premier grand partenariat entre deux intégrations régionales qui fonctionnent ?


Ce document engage la seule responsabilité d’Europe 2020

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