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Quel environnement géopolitique pour l’UE dans les 20 prochaines années?

Note de synthèse Séminaire ’Comment gérer l’UE en 2020 ?’ (Londres, 8-9 juin 2000)
08/06/2000

L’enjeu : L’Union européenne devient une puissance.

Elle l’est déjà régionalement dans pratiquement tous les domaines ; et le devient progressivement au niveau mondial dans de nombreux secteurs. Que fera l’UE de cette puissance ? Comment va-t-elle l’utiliser ? Comment ses partenaires réagiront-ils ? Quels défis ou dangers attendent l’UE sur le chemin des deux prochaines décennies ?

Ces questions ont été au cœur des deux jours de débats qui ont rassemblés des experts de différents secteurs pour ce quatrième séminaire Europe 2020 qui s’est tenu à Londres en coopération avec l’IISS et le Foreign et Commonweatlh Office.

Cette synthèse, comme pour les autres séminaires Europe 2020, constitue une tentative par Prometheus-Europe de proposer une vision cohérente de débats très riches et divers rendus dans le rapport ci-dessous.

Cet environnement géopolitique doit être entendu au sens large, au sens des interactions de l’UE avec son environnement international dans ses différentes dimensions (économiques, démographiques, technologiques, institutionnelles, ….). Dans un monde globalisé, la distance géographique n’est plus un facteur déterminant. Les proximités de niveau de développement, les affinités de système de valeurs, les choix de société y jouent un rôle au moins aussi important.

Et dans cet environnement, l’Union européenne s’affirme peu à peu comme une puissance. Elle l’est déjà dans le domaine commercial avec environ 1/3 du commerce mondial. Elle l’est dans de nombreux domaines technologiques de pointe (téléphonie mobile, TGV, aérospatiale, ….). Elle l’est en terme de richesse mondiale (environ 1/3 également). Elle commence à l’être en terme monétaire ; et tente de s’organiser comme tel militairement. Cette puissance, et c’est le paradoxe, est une puissance objective pour l’instant qui peine à se concevoir comme tel.

Les raisons sont multiples ; mais on peut en citer deux fondamentales :

. les deux guerres mondiales, et surtout la deuxième, ont conduit pour d’évidentes raisons de nombreux peuples et citoyens européens à rejeter farouchement toute tendance flirtant avec le concept de ” puissance “. L’Europe a failli mourir de la fascination exercée par la volonté de puissance.

. la construction communautaire initiée à partir des années 50 s’est fondée sur le principe même d’ “inhibition de la volonté de puissance” afin de réconcilier ennemis mortels et adversaires historiques. Tout le jeu communautaire est un immense processus tendu vers cet unique but : organiser de facto un jeu où le compromis et la coopération sont gagnants ; alors que la recherche de puissance est inévitablement perdante. Thérapie radicale et nécessaire appliquée à un continent malade par ses docteurs notamment américains (de manière plus frustre et moins visionnaire, les Russes ont aussi opérés une telle inhibition en Europe centrale et orientale) et servie efficacement par les élites politiques et administratives du continent.

Exercice difficile, complexe qui a néanmoins porté ses fruits et voit aujourd’hui la guerre inimaginable entre les acteurs à l’origine des deux conflits mondiaux. Cependant, s’ouvre aujourd’hui une période totalement différente pour une raison fondamentale : de 1945 à 1990, il s’agissait d’administrer le remède à une Europe de facto impuissante car divisée, peu intégrée et préoccupée par la reconstruction puis l’accès à la modernité économique. Alors qu’aujourd’hui, et surtout dans les deux prochaines décennies, c’est une Europe puissante de l’intégration de son économie, de ses ressources humaines, de sa défense, de sa monnaie et de sa diversité culturelle qui doit entendre ce message d’ ” inhibition de la volonté de puissance “, toujours et peut-être plus encore d’actualité, car aujourd’hui il n’y a plus ou presque de ” docteurs au chevet ” (faute de possibilité, de volonté ou d’envie).

Aucune réflexion à moyen et long terme sur les interactions entre l’UE et son environnement régional et mondial ne peut faire l’économie de ce débat, faute de se condamner à reprendre les chemins qui ont déjà conduit l’Europe par deux fois au fond du gouffre.

Ainsi s’ouvre une période où l’Europe, et en son sein l’UE qui en est la forme politique la plus aboutie, doit inventer et appliquer un double processus :

. organiser sa puissance faute de la voir s’exercer sans efficacité ou pire la voir se diluer et se retourner de facto contre le projet européen (le domaine commercial illustre bien cette évolution ou bien l’aéronautique civile), car peu d’Européens veulent une Europe faible quand leur secteur ou leurs intérêts sont en jeu.

. et simultanément, transposer l’impératif d’ ” inhibition de la volonté de puissance ” dans ce nouveau contexte : comment être puissant sans céder à la tentation classique d’exercer cette puissance pour elle-même et par elle-même. Certains peuvent poser la question de manière plus évocatrice : comment éviter la tentation de l’Empire ?

Et ce point renvoie directement au premier élément fondamental identifié lors du séminaire de Londres : doter l’Union européenne d’une vision globale et prospective. L’UE est devenu de facto un acteur de taille mondial mais dans de nombreux domaines, il n’a pas de vision du monde lui permettant d’identifier ses choix stratégiques, ses priorités à la différence par exemple des Etats-Unis. Prenons un exemple : l’Asie qui est une région-clé du monde de 2020 et pour laquelle l’UE n’a aucune vision stratégique. Ainsi, si Pékin attaque Taiwan dans les années à venir, ou si la Chine connaît des tensions internes fortes, ou si l’Inde et le Pakistan déclenchent une guerre nucléaire, que veut faire l’UE et que peut-elle faire ? Comment peut-elle agir pour prévenir ou limiter les conséquences de telles évolutions ? Pour l’instant, il n’y aucune réponse européenne à ce type de questions (y compris une réponse disant : ” faire comme les Etats-Unis ” qui constitue au moins l’expression d’un choix) car les questions ne sont même pas posées puisque pendant des décennies elles relevaient du plus pur des exercices théoriques.

Quand on représente un tiers de l’économie du monde, de ses capacités de recherche et que l’on est l’un des deux ensembles majeurs aux valeurs démocratiques, il est très dangereux de croire que l’on peut ignorer son influence réelle. Dans un monde globalisé aux évolutions rapides, il est essentiel d’anticiper les problèmes pour pouvoir les empêcher ou limiter leur conséquences néfastes. Intervenir sur le coup ou après coup, c’est l’assurance de l’impuissance. Cette vision globale de l’UE doit donc s’accompagner d’une capacité d’anticipation pour pouvoir agir efficacement. De nouvelles puissances apparaissent, de nouveaux défis et risques, l’UE doit apprendre à les penser et à les intégrer dans ses stratégies.

De cette nécessité d’une vision globale et d’anticipation naît tout naturellement une autre exigence soulignée largement pendant les travaux : quel(s) rôle(s) veut jouer l’UE dans le monde de 2020 ? Cédera-t-elle progressivement, sans vraiment le décider, à la tentation de l’empire et de la volonté de puissance ? Ou bien projettera-t-elle vers l’extérieur une approche historique innovante inspirée par son histoire interne à travers le processus communautaire européen et par les expériences américaines de l’après-45 (Allemagne et Japon) ? En un mot, transposera-t-elle la première moitié du XX° siècle européen dans ses relations avec le reste du monde ? Ou bien la deuxième moitié ?

Le choix moral paraît évident ; mais comme toute évidence, il n’est pas pensé et paraît ” naturel ” alors qu’il ne l’est pas. Si l’Europe veut être un catalyseur de modernité dans les relations internationales et en matière d’organisation globale (articuler les modes d’intervention classiques -diplomatie et force- avec les nouvelles approches -humanitaires, organisations multilatérales, traités globaux, intégration des nouvelles puissances dont les zones d’intégration régionale, des nouveaux outils comme l’Internet, des nouveaux problèmes (pollution, pénuries de ressources, déséquilibres démographiques, …) et des nouveaux acteurs des relations internationales comme la société civile et les entreprises), alors il va lui falloir inventer objectifs, stratégies, méthodes, tactiques et instruments. Sans cela le discours ne sera relayé que par la diplomatie classique et la force.

Et ce rôle, l’UE doit aussi le choisir pour ce qui est de ses relations avec ses voisins : se conçoit-elle d’ici 2020 (à cette date, il faudra repenser les réponses en fonction de la situation) comme ayant vocation à intégrer ses voisins les plus périphériques culturellement, économiquement, politiquement et géographiquement (Russie, Ukraine, Turquie, Israël, Liban, Maroc, …) ? Ou bien, choisit-elle de se doter d’un système organisé et non automatiquement évolutif vers le statut de membre (qu’on pourrait appeler le SVP : Statut de Voisin Privilégié) pour gérer ses relations avec ces pays ? A mi-chemin entre la politique communautaire intérieure et extérieure, cette question relève directement d’une vision du rôle de l’UE dans le monde des deux prochaines décennies. Quelle solution est la plus utile (et réalisable) pour l’UE et ces pays d’ici 20 ans ?

Enfin, transversale à tous les débats, l’UE doit concevoir son rôle vis-à-vis de l’ami américain et en particulier de l’OTAN (mais pas seulement car l’aspect militaire de la relation transatlantique n’est que partiel) : le partenariat transatlantique a beaucoup évolué en 50 ans et il continuera à le faire. Les actuels efforts européens en matière de défense l’illustrent. Et là encore se pose la question du rôle. L’axe transatlantique doit rester central car il est le seul axe organisé de stabilité transcontinentale dans le monde et il s’est développé entre les deux continents les plus riches. Cependant, la montée en puissance de l’Europe au sein de ce partenariat doit s’accompagner d’une redéfinition des rôles respectifs. Et des deux côtés, les évolutions seront lentes, voire chaotiques. Il n’est pas interdit de penser que les Etats-Unis de 2020 peuvent avoir une vision de leurs intérêts stratégiques qui divergent fortement de celle de l’UE (changements démographiques, intégrations régionales nouvelles, transformations culturelles). Il faut même le penser pour espérer pouvoir prévenir ce qui serait une catastrophe planétaire. Le débat européen sur ce que l’Europe veut faire de sa puissance doit avoir un pendant aux Etats-Unis faute de surprises très désagréables demain.

La convergence est pourtant possible car l’UE n’a certainement pas vocation à se doter de douze groupes de porte-avions nucléaires comme ceux que possèdent aujourd’hui les Etats-Unis. Militairement, la puissance européenne sera certainement régionale. Au-delà, il existe pour ce début de XXI° siècle tout un ensemble d’enjeux nouveaux, de défis objectifs où l’UE par son histoire, sa diversité culturelle, sa maîtrise des réseaux transnationaux, son ouverture culturelle sur le monde peut inventer et apporter dans la corbeille des atouts qui peuvent rendre viables l’avenir de relations transatlantiques fortes.

En conclusion, les exigences de court terme pour l’UE sont claires :

. se doter des organismes et des ressources humaines capables de construire la vision globale et la fonction anticipatrice dont elle a besoin avant le milieu de cette décennie (réseaux européens d’analystes, fondations transnationales, cellule commune d’intégration)

. analyser et comprendre les transpositions possibles vers l’extérieur de l’expérience intra-européenne (rôles des intégrations régionales comme futurs piliers d’organisations globales)

. progressivement, organiser le débat public autour du rôle de l’UE dans le monde et poser clairement les termes du débat : vers l’Empire et sa volonté de puissance ou vers une approche communautaire innovante, catalysatrice de modernité ?

. faire connaître son évolution et ses problématiques à ses partenaires extérieurs, au premier rang desquels ses voisins privilégiés et les Etats-Unis afin d’entamer un processus dynamique et interactif

. intégrer les nouveaux défis objectifs aux impératifs de ses relations extérieures

. se doter d’un statut militaire de puissance régionale dans la décennie 2010 car le monde n’est pas devenu un lieu paisible par nature.

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