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Mondialisation et relations transatlantiques – destins liés

 

par Marie-Laure Djelic
19/06/2002

 

Du ‘meilleur des mondes’…

Voici de cela quelques années, le monde était simple, probablement trop simple. Le capitalisme occidental était triomphant et explorait de nouvelles frontières. Suite à l’effondrement du communisme, il y avait des territoires à conquérir. Il y avait aussi une révolution technologique en marche qui stimulait la croissance. Les firmes oubliaient, dépassaient les frontières et définissaient des stratégies aux dimensions globales. Elles étaient accompagnées en cela par un mouvement de fond de dérégulation, de libéralisation et de repli partiel de l’état, souvent mis en œuvre paradoxalement par des gouvernements de gauche ou à texture social-démocrate. Les relations transatlantiques étaient dans l’ensemble au beau fixe. Malgré quelques réticences – souvent françaises ! – un consensus semblait émerger sur le rôle et la responsabilité de la communauté transatlantique des pays riches. Celle-ci devait assurer la police du monde et jouer le rôle d’arbitre mais aussi d’exemple démocratique. Les interventions en Irak, en Serbie et au Kosovo ont été les moments forts de cette période de bonne conscience collective. La ‘fin de l’histoire’ (Fukuyama 1993 [1]) semblait en effet concevable.

…A la fin du mirage !

Depuis, bien sûr, nous sommes tombés de haut. La crise économique – ou récession – qui se profilait dès la fin de l’été 2000 a montré que, comme à d’autres périodes de l’histoire, la croissance économique de ces dernières années avait été en partie spéculative et artificielle. Les mouvements antimondialisation ont mis en avant les limites du ‘meilleur des mondes’, réclamant un débat et proposant une critique si ce n’est une alternative. Le 11 septembre 2001 a mis fin à tout rêve d’œcuménisme. Là où l’occident riche se définit souvent comme le détenteur d’une recette unique, mêlant rationalité, progrès, démocratie et richesse, recette qu’il souhaite exporter ‘pour le bien de l’humanité’, le reste du monde nous voit souvent en retour avec l’œil du colonisé et de l’exploité auquel on confisque jusqu’à son âme et son passé. Enfin des épisodes comme les élections présidentielles en 2000 aux Etats-Unis, l’explosion en vol d’Enron et ses retombées sur Andersen ou les élections présidentielles françaises de cette année ont réduit encore la légitimité de l’occident comme modèle ou donneur de leçons pour le reste du monde. Ces incertitudes se retrouvent dans le questionnement actuel des institutions transnationales. Le débat qu’a lancé Joseph Stiglitz, un ancien haut responsable de la Banque Mondiale, sur le rôle et la responsabilité du FMI dans la débâcle économique d’un certain nombre de pays de la semi-périphérie ou de la périphérie est probablement loin d’être clos (Stiglitz 2001 [2]).

Complexité et discours

L’image qui nous est renvoyée aujourd’hui de notre monde est donc celle d’un monde complexe. Et pour prendre la mesure de cette complexité, il est bon d’entendre les discours dans leur plus grande diversité. Ces discours, il s’agit de comprendre, sont en réalité constitutifs du monde qui nous entoure. Prenons le cas de la mondialisation. Il y a quelques années, voire quelques mois, la plupart d’entre nous voyaient dans la mondialisation une réalité objective et matérielle, tirée par les marchés financiers et la technologie. Ce qu’ont montré ces derniers mois ou ces dernières années, c’est que cette conception était avant tout un discours, et qui plus est un discours parmi d’autres discours. On ne peut comprendre la mondialisation qu’en rassemblant ces multiples discours, en les confrontant et en ayant l’espoir peut-être de les réconcilier. On peut identifier aujourd’hui essentiellement trois grandes catégories de discours sur la mondialisation. La première catégorie rassemble ce que j’appelle les ‘discours des prophètes’. La seconde catégorie est celle qui contient les ‘discours des sceptiques’. Enfin, la dernière catégorie a pris beaucoup d’ampleur sur les dernières années. Elle rassemble les ‘discours des critiques’.

“Prophètes” Les prophètes continuent de voir dans la mondialisation le chemin du progrès – technologique, économique et par ricochet social et politique. Ils ont aujourd’hui conscience des résistances et donc des obstacles mais ne remettent en cause ni le processus ni sa valeur sur le long terme.

“Sceptiques” Les sceptiques ne croient pas et parfois n’ont jamais cru à la possibilité d’un monde global ou d’une économie mondialisée. Les sceptiques montrent qu’en proportion les transferts des facteurs capital et travail étaient plus importants dans des phases antérieures d’internationalisation, comme à la fin du XIXème siècle, qu’ils ne le sont aujourd’hui. Les sceptiques partent aussi du constat que les échanges ont tendance à se structurer par grande région du monde – l’Europe, les Amériques ou l’Asie – plutôt que de manière globale. Enfin, ils soulignent la prégnance et la résilience des institutions, traditions et cultures locales qui servent de filtres puissants aux tendances globales.

” Critiques” Les critiques ne nient pas la mondialisation. Au contraire, bien souvent c’est parce qu’ils y croient qu’ils en perçoivent les dangers. Dans la période récente, cette catégorie s’est imposée, elle a acquis une légitimité certaine et s’est banalisée. Le discours critique se retrouve aujourd’hui non plus seulement aux marges mais aussi au cœur de nos sociétés et de nos économies comme le montrent les prises de position de nos politiciens ou même d’un certain nombre d’hommes d’entreprise. Il est important néanmoins de différencier deux grands types de discours critiques. La critique radicale refuse la mondialisation absolument – soit en utilisant un argumentaire traditionnel et national, soit dans une perspective de lutte des classes au niveau international. La critique réformiste identifie clairement les méfaits et les désordres qui vont avec la mondialisation dans sa forme actuelle sans nécessairement remettre en cause dans son principe un mouvement vers le global. La critique réformiste appelle à la gouvernance d’une économie mondialisée, à un New Deal d’ampleur globale.

Mondialisation et relations transatlantiques

Qu’est ce que la mondialisation aujourd’hui ? Un kaléidoscope fait de ces trois catégories de discours. Si les fractures qui séparent aujourd’hui ces discours s’approfondissent en gouffres, nous avons en potentialités une multiplicité de foyers d’implosion et d’explosion de par le monde. Le défi des années à venir est une confrontation positive entre ces trois catégories de discours et l’invention d’un compromis. Sans aucun doute, ceux qui auraient le plus à perdre de la multiplication des implosions et des explosions sont aussi ceux qui ont le plus à gagner d’un tel compromis. Le 11 septembre 2001 a montré au monde occidental que richesse, développement et prospérité veulent aussi dire grande vulnérabilité. Le destin du monde transatlantique tel que nous le connaissons est très étroitement lié à l’élaboration d’un compromis ou d’un New Deal global. En fait, la recherche d’un tel compromis devrait aujourd’hui être au cœur des relations transatlantiques. Elle n’y est pas, loin de là. Et l’on est en droit de le regretter !

 

[1] Fukuyama, Francis (1993), The End of History and the Last Man, Avon Books

[2] Stiglitz, Joseph (2001), Globalization and its Discontents, W.W. Norton & Cie.

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