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Légalisation des immigrés clandestins: l’UE face à ses contradictions internes

par Harald Greib
10/02/2005

Certains commentateurs et dirigeants d’Etat membres ce sont étonnés du fait que le gouvernement espagnol n’ait pas consulté ses voisins avant d’entamer la semaine dernière un large processus de régularisation des immigrés clandestins. Pourtant, la problématique centrale du contrôle de l’immigration au niveau européen vient justement du fait que les Etats membres n’acceptent pas de donner à un autre Etat la compétence de décider sur l’accès des étrangers à leur marché de travail. Ce n’est donc pas un problème de contradiction entre principes et mesures concrètes, mais une question de degré d’intégration communautaire et de volonté de tout décider au niveau européen ou pas.

Ce que les commentateurs et dirigeants européens « indignés » n’ont pas compris, c’est que dans le traité de l’UE, il y a deux types de libre circulation (je me suis même demandé quelques fois, si les auteurs du traité en avait conscience). Lors de l’intégration de Schengen dans le système communautaire, les principes se sont un peu entremêlés.

Il y a d’une part la libre circulation proprement européenne qui concerne les salariés, les prestataires de services et les entrepreneurs. Pour en jouir, il faut être ressortissant d’un Etat membre – un simple permis de séjour ne suffit pas. D’autre part, il y a la libre circulation selon Schengen. Elle ne concerne que de voyages touristiques n’excédant pas trois mois. Si un étranger légal en Espagne veut aller travailler en France, il a besoin d’un visa ou de tomber sous le domaine d’une directive spéciale lui conférant le droit, comme par exemple, celui du salarié d’une entreprise espagnole qui veut l’envoyer pour une mission limitée en dehors de l’Espagne. Mais le champ d’application de cette directive est plutôt limité.

En conséquence, ce qui peut inquiéter le Ministre allemand, par exemple, c’est la facilité pour un, disons Marocain, régularisé en Espagne, de voyager en Allemagne en prétendant d’être en voyage touristique et de chercher en réalité un travail, et qui est donc, en Allemagne, un irrégulier. En toute logique, c’est le Ministre de l’intérieur qui s’inquiète, parce que ceci est un problème de police. Sans papiers d’un Etat européen, on pourrait facilement l’expulser, comme il ne peut pas présenter un visa. On n’aurait pas à prouver qu’il cherche un travail. Par contre, avec son titre de séjour espagnol, il faudrait le prouver, chose très difficile, sauf si appréhendé en flagrant travail . On constate donc que ça n’est pas un problème de droit, mais de « camouflage ».

Dans le traité d’Amsterdam, il est transféré à l’Union européenne la compétence de développer une politique d’immigration. Mais Antonio Vitorino, le premier Commissaire « Justice Intérieur » après Amsterdam, a très vite compris que les besoins de différents Etats Membres étaient trop hétérogènes pour définir une politique européenne. Ainsi l’Espagne a besoin de main d’œuvre peu qualifiée, l’Allemagne d’informaticiens, … . Cette compétence fut bien acquise sous son égide, mais non-utilisée pour ces raisons pratiques. Parallèlement, il y a les autres directions générales de la Commission, qui s’occupent du Marché unique, qui poussent pour que chaque étranger ayant un titre de séjour national profite aussi de la libre circulation proprement dite, en les mettant ainsi sur le même niveau de droit que les ressortissants des Etats membres. Ceci est, pour l’instant au moins, bloqué par les Etats membres, qui, justement, ne veulent pas perdre le contrôle de l’accès des étrangers sur leur marché du travail. Ainsi ces « solos » italien, espagnol, et, un peu plus anciens, belge, français, … ne vont pas rendre l’ambition de cette partie de la Commission plus facile.

Allons encore un pas plus loin : et si un Etat voulait faciliter aux irréguliers l’accès à la nationalité ? Alors, ils deviendraient ressortissants nationaux et pourraient pleinement profiter de la libre circulation proprement européenne et avoir accès aux marchés de travail de tous les Etats membres. Donc un tel cas, d’une envergure certaine, il faudrait, en effet, harmoniser même les lois nationales de naturalisation, si on ne voulait pas que certains Etats membres ne mettent pas en cause le droit à la libre circulation proprement européenne. Une partie de la Commission serait certainement intéressée, puisque récupérant une compétence supplémentaire. Sur ce point, j’ai d’ailleurs été surpris lors de la réforme de la loi sur la nationalité allemande, que les autres Etats membres ne se soient pas invités dans la discussion. In fine, tout turc naturalisé en Allemagne peut partir le lendemain pour aller travailler ailleurs en dans l’Union européenne.

Donc, tout ce débat ne ressort d’une problématique particulière à l’ « immigration », c’est un problème général de l’intégration européenne, qui fait que la mise en commun d’un domaine entraîne automatiquement la mise en commun d’un autre et ainsi de suite, sans fin. La question angoissante en la matière est que tout cela se fait sans démocratisation aucune du pouvoir européen. Pour résumer, le problème de l’ immigration est pars pro toto de toute la problématique européenne, mais la régularisation espagnole justement n’en fait pas partie, parce ce que justement les frontières existent toujours, même si elles ne sont que dans les codes juridiques et ne concernent que la différence entre le tourisme et le marché du travail. Si les Espagnols veulent régulariser, qu’ils le fassent, cela ne fait qu’augmenter la masse potentielle de travailleurs irréguliers dans les autres Etats membres, mais pas la masse potentielles des gens qui peuvent accéder légalement au marché du travail. Simplement, les repérer sera plus difficile. Cet exemple illustre un fait certain : les méthodes de construction européenne héritées du passé ont atteint leurs limites. Pour résoudre un problème, elles en crée un autre au moins aussi important. Il n’y a pas que les institutions qui deviennent obsolètes au passage de la phase de construction à la phase de gouvernance de l’UE : les méthodes aussi exigent d’être renouvelées faute d’aboutir à une impasse politique.

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