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Le débat elliptique sur une harmonisation de la politique européenne d’immigration

par Harald Greib
26/09/2002

 

Depuis quelques mois maintenant, les ministres de l’Intérieur des Etats membres de l’Union européenne ne cessent de discuter , lors de leurs réunion formelles ou informelles, des mesures à prendre pour combattre l’immigration clandestine, une immigration qui abuse, dans la majorité des cas, des systèmes nationaux du droit d’asile pour pouvoir prétendre à un titre de séjour précaire.

Il s’agit là d’une prise de conscience politique, non de la réalité d’un accroissement important du nombre des demandeurs d’asile en Europe puisque l’UE dans son ensemble a accueilli en 2002 moins de demandeurs d’asile que l’Allemagne seule en 1993, mais de la montée des résultats des partis de l’extrême droite voire des populistes qui ont fait de l’immigration leur cheval de bataille électorale. Même les chefs d’états et de gouvernements se sont penchés sur la question lors d’un sommet à Séville sous présidence espagnole.

Les propositions pour d’éventuelles actions sont nombreuses. On y trouve, entre autres, le projet de la création d’une nouvelle agence européenne : un corps de police européenne de contrôle aux frontières – preuve de l’imagination et l’ incessante créativité du système pour se créer de nouveaux sphères d’influence, des postes et des opportunités de carrière.

Il paraît inutile de passer en revue les différentes propositions ; soit elles ne feront pas l’objet d’un accord entres les Quinze, soit elles agiteront (incluses dans un plan d’action dont découlera un tableau de bord dont la mise en œuvre sera présentée au Conseil dans des rapports bisannuels) pendant quelques temps le système communautaire pour ensuite être envoyées aux oubliettes des archives bruxelloises afin d’y rencontrer, p. exp., (vous devinez ? effectivement:) le plan d’action de lutte contre l’immigration clandestine de 1998, resté sans résultat. Ce constat est confirmé par l’absence de résultats produits par le sommet de Séville. Et qui se souvient encore de longues conclusions du sommet de Tampere en octobre 1999, lui consacré à tout le volet de la politique de sécurité intérieure.

L’un de ces derniers rendez-vous politiques, la réunion des ministres de l’Intérieur à Rome les 30 et 31 mars a fait l’objet d’une série d’articles dans Le Monde du 30 mai 2002. Quasiment unanimement, ses auteurs se prononcent en faveur d’une harmonisation de la politique européenne d’immigration. Certains estiment même qu’aucune mesure nationale ne produirait un quelconque effet sans une telle harmonisation. Aucun argument n’est avancé pour justifier ce constat sur la nécessité d’une harmonisation de la politique d’immigration. Et pourtant, il y en a.

Une harmonisation pourrait éviter que les mesures restrictives d’un Etat membre ne fassent que détourner les afflux des demandeurs d’asile vers le territoire d’Etats membres voisins ; car on voit mal alors l’avantage pour l’Europe. Ou encore, elle pourrait éviter une surenchère négative des Etats membres tentant de devenir l’Etat membre le moins attirant pour les demandeurs d’asile, ce que pourrait mettre ces Etats membres en conflit avec le droit international, notamment la Convention de Genève ou la Convention européenne pour la Sauvegarde des droits de l’homme. Alors, en effet, l’harmonisation pourrait être souhaitable.

Mais elle n’est pas contraignante. L’harmonisation d’une politique européenne d’immigration est un choix politique et non une nécessité absolue. Si le Royaume-Uni est aujourd’hui la première destination des immigrés, c’est le résultat de sa politique d’accueil : un accès légal au marché du travail après un délai de six mois de séjour et l’inexistence d’une obligation d’être muni des documents d’identité. Il appartient donc aux politiques britanniques de tirer les conséquences qu’ils estiment pertinentes de cette réalité et d’en faire l’objet d’un débat public lors de la prochaine campagne électorale – comme ceci a été le cas en Allemagne en 1993 quand ce pays a modifié sa Constitution pour endiguer l’afflux des demandeurs d’asile.

Certes, l’Europe pourrait se doter d’une politique commune, une politique qui fixerait des règles communes pour l’octroi du statut de réfugié, les conditions d’accueil (comme notamment l’accès légal au marché du travail) et, le point certainement le plus épineux, les critères de répartition des demandeurs d’asile sur le territoire européen. Ce dernier volet d’une éventuelle politique commune ne manque jamais d’être cause d’âpres débats. Mais il doit faire partie d’une politique intégrale d’immigration. Pourquoi ? Pour faire la démonstration d’un problème complexe, rien ne vaut un exemple concret. Le voici:

Des passeurs chinois réussissent à faire venir un nombre important de Chinois en Europe. Le chiffre mensuel n’arrête pas d’augmenter. La police n’arrive pas à trouver un remède efficace.

La politique d’immigration est harmonisée. Partout dans les Etats membres, les demandeurs d’asile profitent d’un identique système d’octroi du statut de réfugié, du même accès au travail, des mêmes prestations sociales, etc. Vers quel Etat membre se dirigera la vaste majorité des arrivants chinois ? Vers la France, Etat membre avec la plus grande population chinoise en Europe, les nouveaux arrivants cherchant le soutien d’un réseau de leurs compatriotes. Le même phénomène se produirait dans le cas d’une immigration en provenance du Pakistan, avec comme destination l’Angleterre, ou de l’Ouest de la Turquie, avec comme destination l’Allemagne.

La France dans une Europe de politique d’immigration harmonisée n’aurait plus la souveraineté de prendre des mesures afin de contrôler cet afflux en se rendant une destination moins attractive pour les demandeurs d’asile. Toute action possible, comme l’abaissement des prestations sociales ou le barrage de l’accès au marché du travail devrait être prise à Bruxelles. En conséquence, ce serait aussi la tâche de Bruxelles de faire en sorte qu’une vague d’immigration ne constitue pas un fardeau trop lourd pour un Etat membre. Bruxelles serait donc obligé de mettre en place un système de répartition des demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire européen.

Qui dit « système de répartition », dit « création de centre d’accueil » , dit « limitations des libertés publiques », dit « débat juridique et politique », souvent avec des connotations xénophobes, dit alors « débat démocratique complexe et difficile ». Ce débat doit être structuré quelque part, dans quelques institutions. L’UE ne possède pas les institutions requises pour un tel -débat impliquant toute l’opinion publique européenne. Par conséquent, l’exigence d’une harmonisation de la politique d’immigration équivaut à une exigence de soustraire ce débat politique hautement sensible à la participation citoyenne, d’accroître le déficit démocratique dans l’UE et de confier les compétences les plus sensibles qui soient (faut-il rappeler la présence de Jean-Marie Le Pen et de son programme d’immigration zéro, voire de retour des immigrés, au second tour de la présidentielle pour faire comprendre ce point ?) à une technocratie européenne sans véritable contrôle politique ni transparence démocratique.

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