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La divergence transatlantique sur l’évaluation des menaces ou la question de la « valeur-ajoutée » de l’Alliance

Extrait GEAB N°4
15/04/2006

 

La question de la « valeur-ajoutée » de l’Alliance est désormais d’ailleurs au cœur des réflexions qui au cours de l’année 2006 vont conduire au « grand débat » (ou « grand déballage ») du sommet de Riga. Une alliance militaire ne vaut que pour sa capacité à protéger des menaces militaires anticipées par chacun de ses membres. Si l’évaluation des menaces par chacun des membres, ou par certains groupes de membres, commence à diverger, alors, le destin de cette alliance militaire est en péril. Quand l’évaluation a réellement divergé, l’alliance devient caduque, même si formellement elle peut continuer à exister afin d’éviter les signes évidents de rupture (ce dont les diplomates ont horreur).

Et en terme de menaces, les deux côtés de l’Atlantique n’ont désormais plus des évaluations convergentes. La crise iranienne en est un exemple flagrant puisque les Européens, y compris Londres, excluent formellement une action militaire alors que Washington tente systématiquement de ramener cette option au centre du débat. Mais, on peut également le constater en matière de terrorisme qui pour les Européens ne doit pas devenir une « obsession » au détriment des libertés publiques par exemple. Enfin, les risques naturels (réchauffement planétaire, pollution, épidémies par exemple) ou les déséquilibres sociaux planétaires (pauvreté, famine, …) constituent de plus en plus pour les Européens les menaces qui les inquiètent car sources de catastrophes, de conflits, de terrorisme ou de migrations incontrôlables. Alors que les Etats-Unis restent focalisés sur les menaces militaires classiques ou nouvelles (terrorisme, « états voyous »).

Derrière ces querelles d’experts se cachent en fait deux visions du monde très différentes qui déterminent notamment les moyens nécessaires pour se prévenir contre ces menaces. Pour l’UE, ces moyens sont en grande partie à construire, voire à inventer, et requièrent la participation active des autres continents, des autres acteurs mondiaux majeurs comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, … Ils comportent bien entendu un volet militaire (et d’ailleurs les Européens sont en train de réorganiser leur industrie d’armement [1] pour rationaliser ce volet de leur future sécurité) mais il n’est que partiel puisque pour les Européens les risques sont en grande partie d’un ordre non militaire et exigent des approches juridiques, commerciales, politiques, scientifiques, humanitaires, … . Côté américain, on envisage surtout et d’abord les moyens militaires au détriment d’autres approches (comme la catastrophe de Katrina l’a tristement illustré), notamment parce que les Etats-Unis disposent d’une immense machine de guerre qui a besoin de justifier son existence et son coût.

En la matière, le moyen de défense programme la menace. Même si certains nouveaux Etats membres de l’UE et de l’OTAN continuent à voir dans la Russie une menace directe et concrète sur la sécurité de l’UE, l’immense majorité des Européens perçoit dans Moscou un partenaire imprévisible, à surveiller et à encadrer fermement mais en aucun cas un danger léthal. L’Europe est revenue en la matière à la situation historique « habituelle » d’avant la Révolution d’Octobre.

En ce qui concerne le monde arabe et musulman, les Européens ne partagent pas du tout les fantasmes américains sur leur volonté d’envahir l’Europe. Que des extrémistes en rêvent, sans aucun doute. Mais pour les Européens, la question est d’empêcher que leurs délires touchent la masse des populations de ces pays. Et pour ce faire, à leurs yeux, c’est exactement l’inverse de ce que fait l’Amérique en Irak qui est nécessaire. Donc double divergence : sur le fond et sur la forme. A l’image des débats sans issus dans lesquels l’OTAN est désormais engagée.

En Novembre 2006, les Européens vont ainsi probablement céder à la volonté de Washington d’étendre l’OTAN hors du théâtre européen en intégrant des pays du reste de la planète, dans une sorte d’ « Alliance des Démocraties », mais cette extension géographique se fera au prix d’une dilution de l’aspect militaire opérationnel de l’Alliance qui imposera en parallèle une accélération de la défense européenne commune et une diversification croissante des fournisseurs d’armements de l’Alliance.

 

[1] Les récentes « grandes manœuvres » dans l’armement européen montre que les Européens ont sérieusement entrepris de construire une véritable industrie d’armement européenne. Autour d’un noyau franco-allemand, avec une forte participation notamment italienne et espagnole, on voit actuellement émerger les « champions européens » EADS, Thalès, .. . Parallèlement le départ de BAE d’Airbus et son recentrage sur le marché américain, parallèlement au lancement des porte-avions franco-britanniques, illustrent la « révolution » en cours au Royaume-Uni entre les « Atlantistes » et les « Européistes » dans ce domaine. On assiste à l’exode américain des opérateurs privés « Atlantistes » et à l’ancrage européen des choix nationaux d’avenir.

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