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Immigration, Civilisations, Intégration européenne…, une seule question compte: Voulons-nous ou non que les enfants d’immigrés deviennent de vrais européens?

par Franck Biancheri
12/10/2001

Depuis la deuxième Guerre Mondiale, les uns après les autres, presque tous les pays de l’UE ont découvert l’immigration, alors que depuis des décennies ou des siècles, ils étaient plutôt des pays d’émigration.

La France est le seul pays européen confronté à l’immigration depuis près de deux siècles Le Royaume Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, les pays Scandinaves, l’Italie, l’Espagne… tous ces pays ont exporté de la ressource humaine tout au long des XVIII° et XIX° siècles et jusqu’au début du XX°. Pendant ce temps, personne ou presque ne venait s’installer chez eux.

Seule la France, au cours du XIX° siècle et de la première moitié du XX°, a été confrontée à la question de l’immigration. Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais, puis Algériens, Marocains, Turcs, Africains noirs, Vietnamiens,… cela fait 200 ans que des étrangers s’installent en France.

Décennie après décennie, la France a par conséquent développé un certain modèle d’intégration de ces larges groupes d’immigrés (les deux tiers de la population française actuelle revendiquent au moins un grand parent d’origine étrangère) fondé sur l’état laïc (la religion ne doit pas interférer avec le cadre républicain) et sur une assimilation culturelle complète (maîtrise de la langue française notamment). Chacun peut garder et cultiver sa propre identité, mais cette tâche ne relève pas de la responsabilité de l’état, et ces identités ne doivent pas créer de difficultés par rapport au tissu social général. En un mot, les enfants doivent devenir français dès lors qu’une famille décide de rester dans le pays.

Les autres états membres de l’UE ont découvert l’immigration il y a quelques décennies au maximum Au cours des dernières décennies, la quasi-totalité des états membres de l’UE a développé un modèle différent du modèle français, suivant lequel il est demandé aux immigrés de travailler sans créer de problèmes dans le pays d’accueil, en échange de quoi ils peuvent garder leurs traditions culturelles, langue incluse, et les transmettre à leurs enfants. De ce principe on peut facilement déduire qu’”in fine” ces immigrés sont considérés comme devant rentrer dans leur pays d’origine à un certain moment et qu’il est donc préférable que les enfants ne perdent pas leur identité d’origine. Le problème étant… que l’hypothèse est erronée : la plupart des immigrés n’ont pas l’intention de rentrer chez eux ; et la demande croissante de l’UE en matière de ressource humaine rend ce retour d’autant plus improbable.

Ainsi depuis quelques années, dans le sillage notamment des questions posées par la crise du 11 septembre, un nombre croissant de pays de l’UE s’est mis à reconsidérer son approche des questions d’immigration, notamment sur l’aspect intégration ou non.

Les temps sont mûrs pour se débarrasser d’un “politiquement correct” de courte-vue et identifier les méthodes les plus efficaces pour limiter le risque de conflits sociaux à moyen ou long terme

Le modèle français a été largement critiqué, en particulier par les états membres du nord de l’UE, comme un modèle intolérant hérité d’une époque révolue. Au cours des années 80 et 90, le moindre incident était relevé et montré du doigt comme preuve de l’échec du modèle d’intégration à la française. Alors que toutes les occasions étaient saisies pour souligner la caractère « politiquement correct » du modèle de la co-habitation et ses paisibles succès.

Une fois encore, comme pour tant d’autres questions politiques ou sociales, l’absence d’anticipation, le laisser-aller aux “bons sentiments” et le manque de distance dans le temps aboutissent à des analyses, une compréhension et des politiques de mauvaise qualité.

S’il y avait une critique justifiée à faire au sujet du modèle français ces dernières décennies, elle ne portait pas sur la non-pertinence de ses principes, mais plutôt sur la faiblesse de l’Etat et de ses décideurs et opérateurs à appliquer ces principes : laisser se développer des tendances racistes au sein des entreprises par exemple, ou encore ne rien dire lorsque des discothèques interdisent l’accès aux jeunes issus de l’immigration, ou pire abandonner graduellement les banlieues aux mains de la seule police et de quelques enseignants trop jeunes, sous-payés et pas assez formés. Ce n’est pas en jouant son rôle que l’Etat a tant affaibli le processus d’intégration, c’est en n’osant plus, pendant près de deux décennies, s’opposer aux pressions inverses que les acteurs politiques ont rendu possibles des échecs.

Cela dit, dans l’ensemble, outre ces limites, le processus d’intégration a plutôt bien marché et a permis de “produire” de nouveaux français, de nouveaux citoyens dont la France peut être fière, comme l’a si bien incarné l’équipe de France de football lors des deux Coupes, du Monde et d’Europe.

A l’inverse, les approches “politiquement correctes” suivies par la plupart des autres états membres mènent de façon chaque jour plus évidente à une impasse. Elles ont permis à des pans entiers de populations de rester (ou de devenir, pour ceux qui sont nés ici) des étrangers dans leur pays de résidence. L’Allemagne a compris l’absurdité de ce type de direction en supprimant le statut de “Gast-Arbeiter” dans le seul but de permettre à ses immigrés de devenir allemand.

Cependant, nos états laissent intouchées les prérogatives de certains états étrangers ne partageant pas les principes de base des pays européens (démocratie, liberté, tolérance) qui entendent influencer les minorités immigrées dans un sens le plus souvent incompatible avec la vision européenne. Ces pays (dont certains, comme l’Arabie Saoudite , ne sont parfois même pas des pays source d’immigration) utilisent les réseaux d’immigrés pour promouvoir des messages qui rendent encore plus complexe le processus d’intégration, soutenant par exemple une vision intégriste de l’Islam dans les mosquées européennes.

L’avenir (interne et externe) de l’Europe dépend largement des nréponses qu’elle donnera à la question de l’immigration Dans les prochaines décennies, l’immigration va augmenter (les européens ne font plus bébés : l’Italie par exemple sera confrontée d’ici 2020 à un déclin de 45% de sa population jeune par rapport à aujourd’hui, avec des moyennes européennes avoisinant les 30%) et avec elle les problèmes de culture, de religion et de langues. Chacun de nos pays individuellement et l’UE dans son ensemble doivent répondre à une question très simple : Voulons-nous que les enfants d’immigrés soient européens (et donc français, allemands, néerlandais, italiens,… selon le pays de résidence) ? Ou voulons-nous qu’ils restent des étrangers et in fine, quoi qu’en disent les « politiquement corrects », des citoyens de seconde zone ? A partir de cette question et à partir des réponses que l’on peut honnêtement y faire, il n’est pas si difficile de construire une politique commune d’immigration.

En tant que petit-fils d’Italiens immigrés en France, je peux simplement dire qu’à mon avis la seule réponse porteuse d’avenir positif et constructif pour l’Europe est « oui, nous voulons que les enfants d’immigrés deviennent européens ». L’autre option mène à l’impasse, à la peur, au ressentiment, aux distances entre les cultures et les religions.

Bien sûr, cette route n’est pas facile et elle requiert que des changements s’opèrent dans les mentalités de nombreux pays européens quant à leur identité. Une politique commune d’immigration pose en fait la question si nos identités culturelles sont faites de sang commun ou de valeurs communes.

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