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Universités: hors l’Europe, point de salut !

par Franck Biancheri
05/12/2003

 

Un titre provocateur, pourrait-on croire au vu de l’actualité récente ? Si certains ont voulu accréditer l’idée que les étudiants étaient contre l’ouverture européenne, ils n’ont convaincu ni l’opinion ni ceux qu’ils étaient censés représenter. Bien au contraire, l’incapacité d’Erasmus à satisfaire la demande des étudiants illustre bien l’ampleur de leurs attentes en faveur d’une Europe concrète. A la veille d’une probable Constitution, du plus grand élargissement de l’Union et d’élections européennes, un constat s’impose : l’Europe manque d’élites européennes ; et l’Union manque de citoyens européens. Pour ces deux défis politiques, les universités et grandes écoles doivent être des points clefs.

Le temps où quelques constructeurs éclairés, appuyés sur quelques milliers de fonctionnaires, faisaient l’Europe est révolu ; l’Union a désormais besoin de centaines de milliers de cadres pour gérer les activités transeuropéennes de ses entreprises, de ses institutions, de ses associations, de ses ONG, de ses médias ou de ses centres de recherche. Problème : elle n’en forme pratiquement aucun. Savoir travailler en plusieurs langues, gérer des équipes de plusieurs nationalités, connaître le contexte culturel des différentes composantes de l’Union… tout cela n’est aujourd’hui enseigné qu’à une toute petite minorité d’étudiants. Quelques milliers par an. Et souvent de manière très archaïque. Un peu d’échanges, un peu de cours de langue, un peu de stages à l’étranger. Très bien ! Les Japonais, les Américains, les Brésiliens… font de même ; mais eux, demain, n’auront pas à gérer une entité politique de 500 millions de citoyens venant de près de 30 nationalités différentes, ni à survivre dans un marché unique et pourtant si diversifié. Alors il est plus que temps de passer à l’étape suivante pour la formation de nos ressources humaines.

D’autant que l’attractivité pour les meilleurs continue à être de l’autre côté de l’Atlantique grâce aux immenses moyens des grandes universités américaines (le patrimoine d’Harvard est égal au budget français de l’enseignement supérieur). Aucun de nos « pôles d’excellence » nationaux ne peut leur faire sérieusement concurrence. Il est donc essentiel de faire vite et de construire des groupements universitaires européens à la mesure de cette nouvelle Europe et des concurrences qu’elle affronte. Il faut que chacun de ces groupements associe étroitement quelques établissements intéressés des pays membres, non seulement pour échanger massivement leurs étudiants, mais aussi pour articuler leur cursus, créer des « pools communs » de professeurs et de chercheurs, pour générer les moyens financiers et le cadre capable d’attirer les prix Nobel dans leurs équipes.

C’est à ces conditions que nos grandes écoles et universités apparaîtront aux yeux des étudiants du monde entier comme les autres lieux où la modernité s’apprend en s’inventant. C’est dans l’innovation universitaire que tout réside : la motivation des étudiants, la qualité des enseignants et des institutions et l’accroissement des contributions publiques, des entreprises et des particuliers. Il est urgent de doter l’Union européenne d’une avant-garde d’une quinzaine de groupements universitaires à la hauteur de notre nouveau continent, équivalents à ce qu’Ariane ou Airbus ont réussi dans leurs secteurs. Cela coûtera cher, mais beaucoup moins cher à l’Europe que de ne pas se doter des cadres dont elle a besoin pour prospérer.

Pour ce qui est des citoyens européens, le constat est tout aussi inquiétant. Nous avons besoin de la compétence, de l’intelligence de tous nos concitoyens pour créer ce que personne n’a encore réussi à faire dans l’histoire : une démocratie de 500 millions de citoyens, 30 nationalités et 29 langues différentes. Pour cela, il faut surtout constituer petit à petit un corps social européen. Et cela ne s’impose pas d’en haut. C’est pourquoi l’expérience de l’Europe doit être accessible à tous ; en particulier, la rencontre avec les autres Européens, sans laquelle l’Europe reste une coquille intellectuelle vide de sens pour la plupart.

Cette démocratisation de l’accès à l’Europe doit notamment se faire massivement à l’université, au moment où les jeunes entrent dans l’âge des voyages, de la découverte. Peu importe le motif. Qu’elle soit culturelle, sportive, politique, c’est la rencontre européenne qui prime. Au-dessous d’un objectif de plusieurs centaines de milliers d’étudiants par an (n’oublions pas qu’ils seront près de 15 millions dans l’Union élargie) expérimentant concrètement l’Europe, l’impact sera illusoire. Pour réussir un tel objectif, un seul moyen : s’appuyer massivement et directement sur l’immense tissu des associations étudiantes. Quelques centaines d’euros finançant une petite rencontre européenne étudiante sont plus rentables, en termes d’expérience de l’Europe, que plusieurs milliers d’euros affectés à un échange solitaire qui in fine restera comme une expérience touristique.

Pour construire notre Europe, il nous faut à la fois avoir l’audace de l’excellence qui alimente notre fierté et une véritable ambition démocratique qui soutienne les initiatives d’une majorité de citoyens. Loin des conservatismes qui sont indignes de la jeunesse, encourageons le désir de découverte des étudiants européens. Et donnons leur la chance de construire leur citoyenneté européenne, loin des institutions, des pactes de stabilité et autres procédures bruxelloises, par l’expérience concrète de la rencontre.

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