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Un mois après le Sommet de Johannesbourg

 

par V. P.
04/10/2002

 

En 1992, le “ Sommet de la terre ” à Rio, le premier du genre, avait défini des concepts, arrêté quelques principes et lancé trois Conventions : changement climatique, biodiversité, désertification. A l’époque, celle de la fin de l’Histoire et de la planète rassemblée, les Nations-Unies s’étaient taillées un beau succès sans trop de frais. Le plus dur était à venir.

De fait, dix ans plus tard, dans un monde nettement plus pessimiste et chaotique, le Sommet de Johannesbourg pouvait tourner mal : affrontement Nord-Sud sur fond de ressentiments en tous genres (le Sommet de Durban de 2001, en pire) ; protestations radicalisées et répression sécuritaire (le Sommet de Gênes la même année, en pire aussi) ; échec patent à appliquer les principes de Rio entraînant la décrédibilisation durable des Nations-Unies, et également du multilatéralisme, menacé par ailleurs (l’échec de Seattle en 1999, toujours en pire). Pourtant il n’y a eu ni blocage, ni crise majeure.

Un autre scénario, peut-être le plus sombre dans ses conséquences à terme, prévoyait un Sommet pour rien : avancées insignifiantes, auto-satisfaction des négociateurs et des dirigeants, dialogues de sourds entre les Etats, les ONGs et les entreprises : 100 Chefs d’Etat et de gouvernement, 45.000 participants et rien de changé sur la Terre et pour ses peuples. Ce n’était pas le plus improbable.

Un mois après le Sommet, peut-on dire que ce scénario écrit d’avance s’est réalisé ? Pas nécessairement. Contre ces attentes, Johannesbourg est parvenu à quelques résultats réels et on y a vu se créer une nouvelle atmosphère, peut-être même un changement de méthode. Mais le Sommet laisse aussi une énorme interrogation sans réponse aujourd’hui: que faire à partir de maintenant ?

Des résultats

A la veille du Sommet, l’état des positions avait bloqué les négociations. Les Européens, champions du développement durable, s’étaient donné pour mandat de parvenir à des objectifs chiffrés, assortis de dates, dans toute une série de domaines : l’accès à l’eau et l’assainissement, les énergies renouvelables, les stocks de poissons, la biodiversité, les pollutions chimiques, etc…De leur point de vue, ces objectifs sont bons pour l’environnement, pas trop compliqués à atteindre en Europe et très multilatéraux. Pour faire bonne mesure, il fallait y ajouter suffisamment de normes sociales, de démocratie et de droits de l’Homme (et des femmes).

Le problème était inverse pour les Etats-Unis : la protection de l’environnement mondial est pour eux une notion relative, qui ne doit en aucun manière remettre en cause le mode de vie américain ou entraîner la moindre contrainte multilatérale. Leur objectif était de limiter les résultats à de bonnes intentions et de laisser le champ aux initiatives volontaires.

Troisième côté du triangle, les pays en développement, qui n’aiment pas trop ce type de négociation : combiner croissance et environnement leur coûte plus cher, et les pays riches n’avaient rien à offrir de plus ; le multilatéral peut être utile, sauf bien sûr si les normes sont définies ailleurs, surtout en matière sociale et démocratique, et si les Américains ne sont pas d’accord ; ce sont tout de même eux qui contrôlent le mieux les deux institutions cruciales pour le développement (la Banque mondiale et le FMI).

Du coup, les Européens, incapables de justifier l’intérêt de leurs idées, ont été pris en ciseau. Comme on l’a vu, les Américains, suivis par leurs supplétifs, ne se sont d’ailleurs pas privés de dénoncer leur inconséquence (commerciale) et leur arrogance (environnementale)… Pour ne pas échouer, la négociation aurait alors dû se diriger tout droit vers un pacte de non-agression : pas d’engagements ; pas de règles multilatérales ; pas de nouveaux financements ni d’ouverture commerciale.

Pourtant, cette logique s’est brisée en fin de parcours à Johannesbourg, au moment où plusieurs pays en développement, en particulier des Africains, se sont ralliés à certaines des propositions européennes. La dynamique s’est alors inversée, en isolant les Américains et les plus intransigeants des pays en développement. Le résultat du Sommet reprend finalement une bonne partie des idées européennes, en matière d’environnement et de régulation internationale, et intègre les financements promis au Sommet de Monterrey (en mars) et les perspectives commerciales ouvertes à Doha (en novembre dernier).

On pourrait tirer plusieurs enseignements de ce retournement, en particulier sur la possibilité de créer des dynamiques en prenant les opinions publiques à témoin. A Johannesbourg, l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto (gaz à effet de serre) est ainsi devenue possible.

Au-delà de ce qui reste malgré tout un compromis d’experts, Johannesbourg confirme en même temps le tournant engagé depuis 2-3 ans : la doctrine des années 90 – libéralisation-privatisation-ajustement structurel-dérégulation et effacement de l’Etat – est battue en brèche, en tout cas sur le papier. Un nouveau consensus se forme progressivement, moins idéologique, fondé sur quelques principes nouveaux : l’appropriation par chaque pays de ses propres politiques ; la rénovation du rôle de l’Etat, démocratique mais suffisamment fort pour faire respecter les règles ; la reconnaissance d’intérêts communs entre pays riches et pays pauvres.

L’heure est donc au renforcement des capacités institutionnelles, à l’élaboration de règles, à la mise en place de partenariats, à une sorte de multilatéralisme en filigrane, fait de règles, dobjectifs, de politiques et de moyens. Les Européens s’y retrouvent. Le FMI et la Banque Mondiale sentent le vent tourner. Les Américains sont partagés. L’administration Bush endosse à nouveau l’habit du mauvais joueur.

Une nouvelle atmosphère

Parallèlement, la relation entre gouvernements et société civile gagne en maturité. La société civile, s’il faut utiliser encore cette expression, accepte de moins en moins d’être considérée comme un vaste fourre-tout, défini primitivement par tout ce qui n’est pas l’Etat, assimilé tout aussi primitivement à ce qui est contre l’Etat et contre la mondialisation. Une partie des ONGs refuse de plus en plus clairement l’amalgame avec les moins transparentes et légitimes d’entre elles. Elles expriment ainsi une vraie responsabilité au-delà de la pure protestation de forme.

De leur côté, les entreprises s’impliquent progressivement et ont commencé à participer à des processus qu’elles estimaient jusqu’à présent de leur intérêt de contourner. Face cachée de la société civile, elles voient un avantage à s’impliquer…

Les Etats enfin, en tout cas les plus avancés, rationalisent leur relation avec les ONGs (ni incontestables ni infréquentables) et avec les entreprises (ni modèles absolus ni grands satans de la mondialisation).

De l’avis des participants à Johannesbourg, ce passage de la contestation et de la méfiance à la coopération s’est reflété un peu partout, dans l’atmosphère générale, dans les méthodes de travail, dans les initiatives mises en place.

Les esprits les plus critiques y verront l’institutionnalisation des ONGs, la privatisation du développement durable et l’hypocrisie des Etats. Mais ils doivent reconnaître qu’il est devenu stérile de proclamer de manière indéterminée qu’il existe une “ société civile ” unie (comme d’ailleurs une “ communauté internationale ” unie), que se déclarer anti-mondialisation est une posture creuse et que d’ailleurs la mondialisation ne signifie rien si on ne l’applique pas à des domaines particuliers.

Ce sont des révisions douloureuses pour ceux qui espéraient un parlement mondial de la société civile abolissant par décret les inégalités de la planète. Reconnaître la complexité du monde et s’engager dans la résolution de ses problèmes est moins confortable mais plus ambitieux.

La société civile n’est pas la démocratie. Elle est d’autant plus précieuse qu’elle en est consciente.

Une énorme interrogation

Il reste que le Sommet de Johannesbourg n’aura produit rien de plus que des satisfactions intellectuelles s’il n’est pas suivi d’effets mesurables. Or l’expérience ne sera pas renouvelée de sitôt car il y a une fatigue générale des grand-messes mondiales.

L’enjeu essentiel de Johannesbourg est donc devant nous :

. Comment mettre les dirigeants politiques face à aux engagements qu’ils ont pris ? . Comment suivre la mise en œuvre de ces engagements ? . Comment poursuivre les partenariats gouvernements – ONGs – entreprises privées ? . Comment préserver la mobilisation publique sur les questions essentielles qui ont été débattues ?

Le débat a déjà commencé, aux Nations-Unies, au sein des institutions de Bretton-Woods, au G7, dans la profusion de micro et mini-institutions qui se sont accumulées depuis 50 ans. Il n’est pas évident que le système institutionnel existant soit à la hauteur. En fait, on le sait : il n’y arrivera pas s’il ne change pas. Tout est donc encore à inventer.

Pour les années qui viennent, plusieurs questions-clé devront trouver des réponses. A titre d’exemple :

- Comment assurer la participation de tous les pays à la gestion des questions mondiales ?

Cette première question soulève à son tour trois problèmes : l’efficacité de l’élaboration et de la prise de décision à 190 pays ; l’équilibre entre le nombre (l’immense majorité des pays est pauvre) et les moyens (détenus par une minorité) ; la légitimité des gouvernements qui représentent les peuples.

- Faut-il une contrepartie démocratique, complémentaire de celle des gouvernements, face aux ONGs et aux entreprises, qui elles sont souvent déjà structurées au niveau mondial ?

- Comment définir les questions d’intérêt global ?

- Quelle doit être la part des règles, des objectifs et des politiques définies au niveau mondial ?

Les Européens, s’ils retrouvent leur capacité d’innovation institutionnelle, ont leur mot à dire sur toutes ces questions. Ils peuvent parler à tous. Ils devront trouver les moyens de convaincre les Américains de s’y engager…

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