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UE: L’impasse constitutionnelle et la crise de l’appareil analytique de/sur l’UE

Extrait de GEAB N°1
15/01/2006

 

Le projet de Traité constitutionnel se retrouve à nouveau au centre des discussions communautaires en ce début d’année 2006. Est-ce le signe d’un « rebond » du processus de ratification ou bien l’indicateur d’une impasse profonde dans laquelle se trouvent les institutions et les dirigeants européens ? Quel cours va suivre l’UE en la matière d’ici le Sommet de Juin 2006 prévu à l’origine pour marquer la fin du « temps de réflexion » institué en Juin 2005 ?

La réponse à ces questions dépend désormais essentiellement de l’analyse de trois facteurs dont le premier sera analysé dans ce numéro 1 du GlobalEurope Anticipation Bulletin (GEAB) :

1. l’aptitude de chaque Etat-Membre à se déterminer sur une stratégie concernant l’avenir du projet de Constitution

2. la capacité de convergence sur le sujet entre les différents acteurs institutionnels de l’UE (institutions communautaires et Etats-Membres)

3. la possibilité de trouver des solutions politiquement réalisables intégrant les conséquences objectives des « Non » français et néerlandais.

L’échec du processus de ratification constitutionnelle entamé en 2004 a en effet prouvé que d’autres éléments qui précédemment pouvaient être considérés comme des facteurs-clés ne sont plus pertinents. C’est ainsi le cas des déclarations d’intention des leaders politiques, ou même des gouvernements, des déclarations ou publications des institutions communautaires ou des productions d’ « organes autorisés », qu’ils soient situés à Bruxelles ou dans les capitales nationales. Elles étaient toutes convergentes avant les referenda français et néerlandais, y compris dans leurs analyses d’un éventuel « Non » (quand elles existaient au début 2005) qui concluaient à une marginalisation des pays « non-istes » dans le cadre d’une continuation rapide et massive du processus de ratification par les autres Etats-Membres. On sait ce qu’il est advenu en réalité ; et l’UE de ce début 2006 est justement toujours enlisée dans les conséquences imprévues (et pourtant pas « imprévisibles » comme l’a prouvé Europe 2020) des referenda de Mai-Juin 2005.

On peut donc considérer que l’une des premières conséquences des « Non » français et néerlandais, est l’ouverture d’une crise de légitimité de tout l’appareil analytique de/sur l’Union européenne. Ce dernier s’est en effet trouvé pris en défaut complet sur un sujet central. D’un projet qui semblait aisément prévisible, l’UE devient soudainement un processus qui met en échec la quasi-totalité des ressources spécialisées dans l’analyse de son évolution.

Cette situation génère un double paradoxe :

. d’une part, elle déclenche un intérêt, et une nécessité accrue, d’anticipation sur des évènements à venir qui apparaissent plus incertains ou inconnaissables du fait de la crise ouverte par les referenda

. d’autre part, l’appareil d’analyse et de prospective utilisé depuis des décennies pour prévoir les évolutions de l’UE apparaît comme très largement discrédité pour désormais fournir des informations fiables.

L’avenir du projet constitutionnel européen… … Les Etats membres face aux difficultés concernant l’avenir du projet de Constitution

Les refus français et néerlandais ont clairement brisé la « marche en avant » constitutionnelle planifiée par les institutions communautaires et les gouvernements. L’arrêt imprévu du processus de ratification dans toute l’UE en est la preuve. Cet arrêt illustre l’immense problème que les votes français et néerlandais ont fait naître dans chaque autre Etat-membre : les classes politiques nationales sont désormais effrayées par le processus de ratification lui-même.

La raison en est simple : il semble jouer un rôle de catalyseur du rejet dont elles sont victimes de la part de leurs opinions publiques respectives. Non pas que les votes français et néerlandais n’aient traduit une problématique nationale comme se sont empressés de l’affirmer les vaincus, bien au contraire. Et c’est là ce qui effraie le plus les classes politiques nationales. C’est bien la dimension européenne de l’enjeu et du débat autour de la Constitution qui paralyse les politiques aujourd’hui et pour les mois à venir. Car c’est cet intérêt pour la question (la très forte participation aux referenda français et néerlandais s’oppose aisément aux très faibles scores obtenus un an plus tôt pour les élections européennes) qui les inquiète. Si nombre d’analystes l’ont interprété comme la preuve d’une « nationalisation » du débat sur la Constitution, tous ceux, politiques compris, qui ont participé aux débats de terrain lors des deux referenda ont pu constater le contraire. C’était bien d’Europe qu’il s’agissait. Et c’est bien par rapport à l’Europe que la pertinence et la légitimité des politiques nationaux étaient mises en cause. Les « instinctifs » que sont les politiques paraissent avoir donc bien « senti » ce que la plupart des analystes ont ignoré : à savoir que si leur crise de légitimité dépasse largement la question européenne, cette même question européenne, via le débat sur la Constitution, catalyse voire amplifie le rejet dont ils sont victimes et le transforme en résultats électoraux négatifs, bien visibles. Pour un leader politique, sauf immense conviction personnelle, ce risque est pratiquement inacceptable car politiquement « mortel ».

Il suffit d’ailleurs d’analyser ce qui se passe dans les Etats membres ayant ratifié le projet de Constitution par voie parlementaire pour le constater. La plupart d’entre eux l’ont ratifié avec des majorités parlementaires frôlant l’unanimité (souvent plus de 90% de « Oui »). Pourtant, la plupart d’entre eux se sont immédiatement satisfaits de la décision de mettre la ratification « en attente », sans réel calendrier de reprise.

De trois choses l’une : soit les gouvernements de ces Etats-Membres sont si confiants dans la poursuite du processus de ratification qu’ils n’ont aucun problème à prendre un peu plus de temps que prévu ; soit ils sont convaincus que leurs Parlements respectifs choisiront d’ « oublier » leur vote s’il s’avère que le projet de Constitution reste éternellement « en attente » ; soit ils considèrent que la situation est tellement compliquée qu’ils n’ont à ce jour aucune idée pour surmonter l’obstacle. Dans tous les cas, pour pouvoir se satisfaire d’une telle « attente » après un vote quasi-unanime de son Parlement, un gouvernement doit être assuré qu’il n’existe aucun risque de pression populaire ou de crise politique interne suite à ce choix.

Qu’aucun parti représenté au Parlement national dans aucun Etat membre ne choisisse de faire de la poursuite du processus de ratification du projet de Constitution européenne un enjeu politique majeur, alors que son propre Parlement l’a massivement adopté, prouve que ces mêmes partis politiques estiment soit que leurs électeurs ne s’intéressent pas au sujet (ce qu’a priori la forte participation aux referenda français et néerlandais a invalidé) ; soit qu’ils sont très loin de suivre leur classe politique parlementaire dans son approbation à 90% ou plus de ce même Traité constitutionnel.

Ces deux possibilités conduisent au même résultat : la poursuite de la ratification du projet de Constitution européenne constitue désormais un acte politique extrêmement périlleux pour l’ensemble des classes politiques au pouvoir dans les Etats-membres, qui peut détruire leur restant de légitimité démocratique. En effet, dans ce contexte, soyons conscients qu’on ne peut expliquer un vote parlementaire à plus de 90% que si la population est elle aussi très majoritairement en faveur d’une décision, ou si les opposants sont peu ou pas du tout représentés au sein du Parlement concerné. Les exemples français et néerlandais, et les résultats récents d’élections nationales dans l’UE, laissent penser que c’est la seconde explication qui est la bonne.

Et cela a une conséquence directe dans chaque Etat membre qui a ratifié le projet de Constitution européenne par voie parlementaire : les échecs du projet en France et aux Pays-Bas ont simultanément renforcé les opposants et affaibli les partisans de la Constitution. Ils ont aussi indirectement, mais très fortement, affaibli les partis dits de gouvernement et leur représentation parlementaire, tout en dynamisant les forces politiques extra-parlementaires. Dans les Etats membres où aucune ratification n’avait encore eu lieu, le choix du passage par la voie parlementaire, même s’il était “traditionnel” avant Juin 2005, fut immédiatement critiqué pour être un choix de méfiance par rapport aux citoyens. Un argument porteur dans le contexte d’affaiblissement des partis nationaux de gouvernement dans l’UE qu’auront à cœur d’éviter les gouvernements en place.

Enfin, il reste le cas des deux Etat membres par qui le “scandale” est arrivé : la France et les Pays-Bas. L’analyse de terrain, comme la discussion avec les classes politiques, ne laisse en la matière planer aucun doute : le projet de Constitution tel que signé par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UE en 2004 ne peut plus être ratifié ni par voie parlementaire ni par référendum, ni demain ni après-demain. Aucun leader politique français ou néerlandais ne pourra dans les années à venir prendre un tel risque politique sans être automatiquement battu aux élections suivantes.

En conclusion, l’analyse de ce premier facteur déterminant pour l’avenir du processus constitutionnel européen illustre l’ampleur des difficultés auxquelles chaque Etat-membre va être confronté pour parvenir à définir une stratégie nationale sur la question du processus constitutionnel européen.

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