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Royaume-Uni 2019 : Et si le Brexit était un succès ?

COMMUNIQUE PUBLIC de notre bulletin mensuel GEAB (Mars 2018). Abonnez-vous ici !

Jusqu’à présent, médias et analystes ont été unanimes : le Brexit représente un avenir incertain et dangereux pour le Royaume-Uni et seulement pour le Royaume-Uni. Nos lecteurs savent que nous avons toujours été plus circonspects à ce sujet. Alors que la première phase de négociation s’est achevée (en fin d’année dernière) et que la seconde s’apprête à démarrer, il est temps d’admettre, d’une part, que cette sortie de l’UE ouvre aussi bien des opportunités au Royaume-Uni, et d’autre part, qu’elle induit de nouveaux risques réels pour l’Union européenne.
En effet dans cette seconde phase de négociation, qui portera sur la période de transition et sur la relation future entre les deux parties, le rapport de force pourrait s’inverser. Le gouvernement britannique, à qui l’on reproche depuis le début un manque de clarté et de réalisme, a, par la voix de Theresa May le 2 mars, éclairci un certain nombre de points et exposé un plan de sortie concret. La Commission, de son côté, se montre de moins en moins coopérative, et impose des exigences (impossibilité pour le Royaume-Uni de commencer à négocier des accords commerciaux pendant la période de transition, barrière douanière déplacée de la frontière irlandaise entre l’île d’Irlande et celle de Grande Bretagne) jugées par certains irréalistes. Si l’Union européenne reste trop longtemps aveugle aux progrès réalisés par le RU et qu’elle fait preuve d’un bas esprit revanchard (destiné à faire peur aux autres pays), elle pourrait provoquer un retour de bâton capable d’enclencher précisément ce qu’elle souhaite éviter : un effet domino.
Le Brexit est un échec majeur de la Commission européenne qui lui imposait, plutôt que de se venger du Royaume-Uni, d’enclencher sa propre réforme. Si au lieu de cela, en 2019, on se retrouve dans une situation où le Royaume-Uni libéré de la tutelle bruxelloise, s’est repositionné avec succès (image dynamique, moderne et tournée vers le reste du monde) alors que l’UE patauge toujours dans ses dysfonctionnements, lenteurs et blocages qui ont fini par faire fuir le Royaume-Uni, que croyez-vous qu’il arrivera ?

Theresa May resserre les rangs …
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Le Royaume Uni mise sur un retour au Commonwealth
Un commerce de biens sans entraves
Un abandon de cette réglementation et une émancipation de la tutelle bruxelloise reste encore largement probable, car bien qu’un partenariat commercial à la suite du Brexit coule de source, il est loin d’être garanti qu’il couvre les services financiers. Le discours du 2 mars de la cheffe de gouvernement britannique a définitivement clarifié un point qu’elle avait largement annoncé : la future relation euro-britannique sera encadrée par un accord de libre-échange. Ce qui apparaît très probable, pour ne pas dire acquis, est que cet accord garantira un commerce de marchandises exempt de barrières douanières et de quotas, étant donné que cet objectif est partagé par les deux parties à la négociation. Pour les Européens, ce point apparaît comme évident puisque la balance commerciale des biens est largement à l’avantage du continent. Pour les Britanniques, cela leur permettra de limiter le coût de leurs importations.

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Figure 1 – Balance commerciale du Royaume-Uni, biens (bleu) et services (jaune), en milliards de livres sterling, 2013-2017. Source : ONS.

Les services comme enjeu principal de la négociation
En revanche ce qu’il reste à négocier, ce sont les termes d’échanges relatifs au secteur des services. Là, le rapport de force s’inverse, le Royaume-Uni est excédentaire dans les échanges de services avec l’UE. La Commission, dont l’objectif reste que l’économie britannique se porte moins bien après la sortie du marché unique pour prouver aux 27 qu’il fait froid hors de l’UE, compte bien limiter l’accord sur ce point-là. Ceci est d’autant plus facile que la plupart des accords commerciaux ne couvrent que très peu ce secteur. Pour ce qui est des services financiers, aucun accord commercial n’a jamais réussi à les prendre en compte. Theresa May souhaite que le traité issu de ces négociations soit le premier. Les 27 s’y refusent et risquent fort de camper sur cette position, car ils ont conscience de l’importance du secteur pour l’économie britannique. Certes, cette importance est réelle, mais elle est parfois surestimée. En effet les business services, qui couvrent des domaines comme le conseil légal, le consulting ou le marketing, représente une valeur totale supérieure à celles des services financiers[1]. Et les business services seront sans doute plus facile à prendre en compte dans l’accord de libre-échange, la finance ne constitue donc pas le seul atout britannique et les pertes provoquées par un accès restreint au marché financier européen ne seront donc pas irrémédiables.

Le retour au Commonwealth
Certes, la qualité de la relation UK-UE est un vrai objectif du RU. Mais ce qui est au moins aussi important que cela, c’est le repositionnement du pays sur une nouvelle base, un espace politico-commercial vaste et connecté d’une part, et où les Britanniques sont vraiment les maîtres, d’autre part. Bien sûr, c’est sur leur ancien empire qu’ils œuvrent à se repositionner : le Commonwealth.

Plusieurs événements sont organisés cette année dans le but de préparer un renforcement des liens commerciaux entre Londres et les autres membres de cette organisation intergouvernementale. Le Department of International Trade sera l’hôte du sommet du Commonwealth en avril 2018 et l’engagement britannique pour un commerce libre et global est à la tête de l’agenda de la rencontre. Theresa May l’a rappelé le 13 mars 2017 (jour du Commonwealth) : « Alors que nous visons la création d’une Grande Bretagne réellement globale, les profonds partenariats que nous partageons dans un Commonwealth du XXIe siècle peuvent nous aider à renforcer la prospérité et la sécurité de nos citoyens, et de ceux de nos nombreux amis et alliés à travers le monde »[2].

Plus ciblé et peut être plus concret encore, la région nord-est de l’Angleterre organise elle aussi une rencontre entre 300 représentants d’entreprises et des experts des relations avec le Commonwealth. L’événement marque le lancement de la première Merseyside & Cheshire Commonwealth Association dont l’objectif est de créer un large réseau de particuliers et d’organisations engagées dans la promotion des liens commerciaux et culturels entre le nord-est de l’Angleterre et les 52 États membres de l’organisation intergouvernementale[3].

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Figure 2 – Part de la zone euro et du Commonwealth dans l’économie mondiale, 1970-2016. Source : Asia Briefing.

 L’atout de la langue et du système légal
Dans ce type de relations, le Royaume-Uni dispose d’avantages sur le plan international qui lui sont propres. Sa langue et son système légal en sont les principaux, le rayonnement de ses universités, sa capacité d’innovation et de recherche scientifique et technologique sont des éléments de soft power qui peuvent également être mis au service du commerce international. Open Europe, dans un rapport sur les priorités commerciales au-delà de l’UE, considère que les pays les plus intéressants pour le Royaume-Uni sont le Canada, l’Inde et Israël. Les deux premiers font toujours partie du Commonwealth, le Canada partage la même langue officielle et les deux autres la pratiquent largement. Tous trois disposent du même système légal[4]. Ces facteurs se sont toujours montrés décisifs dans les échanges commerciaux internationaux, qui reposent avant tout sur la compréhension entre clients et fournisseurs et sur la capacité à appliquer le contrat qui les lie.

Un potentiel commercial inexploité
Dans cette même étude, Open Europe évalue les potentialités inexploitées sur certains marchés émergents ou développés. Parmi ceux offrant les meilleures opportunités, on trouve trois pays du Commonwealth : le Canada, l’Inde et le Nigeria.
Le Canada apparaît aujourd’hui et selon cette étude, comme offrant les plus importantes opportunités pour le Royaume-Uni, avec une possibilité d’augmenter les échanges commerciaux à hauteur de 7 milliards de livres. Pour exploiter au maximum ce potentiel après le Brexit, le think-tank recommande de prendre pour base l’accord récemment négocié avec l’Union européenne, le CETA. Justin Trudeau s’est d’ailleurs montré plutôt favorable à cela lors de la visite de Theresa May à Ottawa en septembre dernier[5]. Ensuite il conviendrait de l’adapter aux particularités britanniques, en étendant les dispositions de l’accord aux services et particulièrement aux services financiers. En échange, le Royaume-Uni peut offrir aux citoyens Canadiens un accès plus fluide à la Grande Bretagne pour venir y vivre ou y travailler. Pour l’instant ces derniers ne disposent d’aucun avantage particulier.
D’ici 2030, et toujours selon Open Europe, c’est l’Inde qui présenterait les meilleures opportunités, du fait de la croissance plus importante que celle des pays développés que le pays et sa région connaîtra pendant les années à venir. Cette relation sera beaucoup plus compliquée à approfondir pour le Royaume-Uni, l’Inde restant l’un des pays les plus protectionnistes du monde[6]. Sans compter que les Anglais n’ont pas laissé de bons souvenirs là-bas…[7] Le Nigeria offre également d’intéressantes opportunités commerciales, à hauteur de près de 3 milliards de livres selon Open Europe. Mais là aussi d’importantes difficultés persistent, dû à l’instabilité du pays. Un accord de libre-échange semble donc difficilement envisageable à moyen terme mais le soutien britannique aux efforts de développement du pays pourrait porter ses fruits, il pourrait également être précisé pour cibler des infrastructures clés.

Faire du Royaume-Uni un hub du commerce international
La demande mondiale grandissante dans le secteur des services…
Reprendre les rênes du TISA…
Capter la croissance mondiale à venir…
Devenir un hub du commerce international…

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Conclusion

Dans ces conditions, on constate que le Royaume-Uni dispose de toutes les cartes pour faire du Brexit une réussite. A présent que le gouvernement et le parti conservateur sont plus unis derrière leur leader et qu’ils entrent dans une phase de négociation plus confortable que la précédente, ils vont pouvoir se concentrer sur le fait d’obtenir le meilleur accord possible auprès des Européens. Ils vont également pouvoir commencer à développer à nouveau leurs partenariats avec leurs « Old friends and New allies » dans le but de devenir un intermédiaire entre les deux mondes. Certes les difficultés, et même les défis, sont réels mais parfois se mettre soi-même au pied du mur est le meilleur moyen d’opérer le plus efficacement et le plus rapidement possible de nécessaires réformes structurelles pour se mettre dans le sens de marche d’un monde nouveau, moins occidentalo-centré, et qui anticipe l’émergence des nouveaux marchés.

De l’autre côté de la Manche les risques sont réels pour les Européens qui ne doivent surtout pas tomber dans le piège du blocage de la négociation et de la punition des Britanniques pour avoir osé sortir de l’Union. D’une part, ils ont eux aussi beaucoup à perdre dans une relation commerciale de mauvaise qualité avec leur partenaire d’outre-Manche, et d’autre part, renvoyer une image trop dure dans le cadre des négociations pourrait se retourner contre la Commission. Déjà fortement impopulaire auprès des citoyens européens, une négociation en forme d’expédition punitive a déjà contribué à jeter dans les bras de Theresa May un establishment britannique qui ne lui était pourtant pas acquis, mais a toutes les chances de déplaire fortement aux citoyens du continent de plus en plus allergiques à cette Commission autoritaire et illégitime. 2019 pourrait ainsi se transformer en point de bascule pour l’Union européenne et le Royaume-Uni si la première s’avérait incapable de modernisation/transformation tandis que le second arriverait à prouver que, hors de la tutelle de Bruxelles, on peut reconstituer un empire commercial moderne et ultra-connecté en 2 ans…

Et si le Brexit était un succès ? S’il prouvait que l’UE n’était plus un cadre adapté aux enjeux, aux opportunités et aux ambitions d’un pays au XXIe siècle ?… Plutôt que de punir le Royaume-Uni, ne serait-il pas temps regarder objectivement le travail de repositionnement réalisé par ce pays, et de mettre en place la stratégie qui permettra au continent de bénéficier de cette dynamique : en s’y connectant et en en tirant des leçons pour rénover son modèle[8] ? Si la Commission n’y parvient pas, les États membres suivront tous peu à peu l’exemple du Royaume-Uni, sans éclats et sans referendum, simplement « de fait ». L’effet domino a déjà commencé. Et « de fait », le Royaume-Uni avance alors qu’il est toujours dans l’UE. Ce que fait actuellement ce pays, tous les États membres de l’UE peuvent en fait le faire… et c’est ce qu’ils font comme d’ailleurs le montre le reste de ce numéro du GEAB 123.

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[1]    « UK faces struggle to redesign trade relationships, in charts ». Source : Financial Times, 03/02/2017
[2]    Source : Independent, 13/03/2017
[3]    Source : LBN Daily, 07/03/2018
[4]    Source : Open Europe, 25/04/2017
[5]    Source : Independent, 18/09/2017
[6]    Source : Doing Business 2018
[7]    La colonisation britannique de l’Inde a été d’une violence inouïe, de nombreuses sources en témoignent. Par exemple : Colonial Justice in British India: White Violence and the Rule of Law, Cambridge Studies in Indian History and Society. Source : Amazon
[8]    C’est déjà ce que nous disions en septembre 2016, cf GEAB n° 107

 

À propos Marie Hélène

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