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L’Union européenne face au défi de sa démocratisation – Le défi politique central de l’UE des deux prochaines décennies

par Franck Biancheri
23/11/2004

 

Une immense « dépression » politique est en train de se créer dans l’électorat européen

Une immense dépression démocratique est en train de se créer au cœur même de la vie politique du continent européen. Les 200 millions d’électeurs qui ont choisi de ne pas aller voter en Juin 2004 en sont l’incarnation. L’Euro a bousculé les certitudes de plus de 350 millions d’Européens. L’Europe est entrée dans leur poche ; et ensuite, très vite dans leur tête, comme une évidence que désormais les décisions échappaient à la sphère nationale. L’Euro est le fil conducteur qui conduit des dizaines de millions d’Européens à découvrir que leur emploi, leur système social, leur système de santé, la croissance économique de leur pays dépendent désormais essentiellement de décisions européennes communes ; et non plus de tel ou tel parti politique national. On passe ainsi de 1999 à 2004 d’un abstentionnisme de « désintérêt » pour la construction européenne perçue comme lointaine et sans conséquences pour la vie quotidienne à une proportion importante désormais d’ « abstentionnisme de rejet », non pas de la construction européenne, mais de l’ « offre politique « présentée lors du scrutin pour le Parlement européen. Habités simultanément par des craintes et des aspirations face à l’UE, les Européens attendent désormais des visions et des projets à l’échelle du continent. Pourtant les classes politiques nationales, comme le système institutionnel communautaire, continuent d’ignorer cette évolution. Et de ce fait, l’abstentionnisme bat de nouveaux records. Les votes-sanctions deviennent la norme dans ces élections nationales au Parlement européen. Les populismes et extrémismes bénéficient mécaniquement de cette situation : l’abstentionnisme leur permet d’obtenir des résultats importants en terme d’élus même s’ils ne représentent que des fractions faibles de l’ensemble du corps électoral ; le décalage entre l’offre politique nationale des partis démocratiques classiques et la nature européenne de l’élection leur offre une opportunité unique d’attirer l’attention des électeurs.

La démocratisation de l’UE est le défi central de la nouvelle étape de la construction européenne : la gouvernance démocratique du continent

Ce décalage entre « offre et demande » politique illustre le fait que l’UE ne parvient pas à gérer sa transition historique, son passage de la phase de construction de l’unité européenne (1951-2004), à la phase de gestion, de gouvernance de l’Union européenne. Pourtant ce changement de phase est la preuve même du succès de l’œuvre des pères-fondateurs. La mission assignée au projet communautaire dans les années 50 est brillamment remplie. Les deux défis concrets ont été relevé : le continent est pratiquement unifié et chaque Etat européen est désormais démocratique. Cette réussite s’accompagne donc de l’émergence d’un nouveau défi central : comment gouverner une Union de près de 500 millions de citoyens de près de 30 nationalités, langues et cultures différentes ? C’est là le problème central qui se pose à l’Union européenne des vingt prochaines années. Le règlement de toutes les autres questions dépendront de la capacité de l’UE à résoudre cette question de sa démocratisation. Bien entendu le défi est immense et sans précédent historique. Ni l’invention de la démocratie américaine, réalisée avec quelques millions d’Américains très homogènes culturellement, ni les tentatives de démocratisation de grands ensembles humains comme l’Inde ou la Chine ne peuvent sérieusement aider les Européens à conduire la démocratie à une nouvelle frontière en terme de taille et de diversité.

Les Européens face aux nouvelles frontières de la démocratie du XXI° siècle : taille et diversité

Comme à de nombreuses autres époques de son histoire, les décennies à venir mettent les Européens au défi d’inventer cette gouvernance démocratique à l’échelle d’un continent. Si nous y parvenons, non seulement aurons-nous su franchir avec succès cette deuxième étape de la construction européenne et rendre le meilleur hommage qui soit aux générations des fondateurs, continuer le chemin qu’ils ont initié, mais nous aurons aussi apporté au reste du monde, et à de nombreux continents qui s’aventurent dans la même direction que l’Europe, un message essentiel, à savoir la preuve concrète qu’intégration continentale et démocratie sont compatibles. Cet apprentissage collectif ne sera pas inutile non plus pour faire face aux défis de la globalisation qui posent en termes encore plus vaste la question de la gestion de la taille et de la diversité.

Si l’UE et ses élites ne prennent pas rapidement conscience de la nature et de l’ampleur de ce défi, alors, la « dépression démocratique » que nous ressentons dès aujourd’hui risque d’emporter l’UE, la démocratie, ou bien les deux, dans une de ces catastrophes collectives dont l’Histoire européenne est ponctuée.

 

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