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L’EU face à deux élargissements: l’élargissement démocratique et l’élargissement géographique

par Franck Biancheri
11/06/2001

 

Contrairement à ce que le discours dominant laisse entendre, l’UE ne fait pas face à un élargissement d’une part ; et à un approfondissement de l’autre. Elle fait face à deux élargissements : l’un géographique et omniprésent dans le discours européen institutionnel depuis une décennie ; l’autre démocratique et totalement absent du discours européen institutionnel.

Alors soyons compréhensible, laissons tomber les mots comme ” approfondissement “, aussi clair qu’un ” trou noir “, et aidons à clarifier un débat européen déjà suffisamment compliqué : l’un des deux défis de l’UE pour la décennie à venir est bien un autre élargissement : celui qui consiste à élargir le cercle des décideurs européens d’une petite élite technocratique (10.000 personnes au maximum) aux 350 millions de citoyens de l’UE. D’une manière brutale, c’est que les Irlandais viennent de rappeler.

Ah bien entendu ! Cet élargissement-là est moins populaire au sein de du système communautaire que l’élargissement géographique. Pourquoi ?

Tout simplement parce qu’il impose de revoir toutes les petites répartitions de pouvoir, compétences, influences et privilèges au sein de la machine UE ; alors que l’autre élargissement, ne remet rien en cause de la sorte. Tout au plus peut-il paralyser la construction européenne …mais pour un système bureaucratique, la paralysie n’est pas source d’angoisse …elle est un mode de vie quotidien ! Alors que la remise en cause de situations acquises …voilà le danger !

Toujours est-il que, pour tous ceux que la continuation du processus d’intégration européenne préoccupe (et ils sont nombreux …même dans le système administratif communautaire), cet élargissement démocratique apparaît clairement comme le premier élargissement à réussir… sans lequel l’autre élargissement, le géographique, n’aura pas lieu ou bien se fera au prix de la construction européenne elle-même.

Le référendum irlandais sur le Traité de Nice, par son taux d’abstention et sa majorité de ” Non “, vient d’illustrer à échelle réelle cette contrainte incontournable : il n’y aura pas d’élargissement géographique s’il n’y a pas d’abord un élargissement démocratique …et ce quoiqu’en disent les dirigeants européens ici ou là.

En la matière, l’opinion de la Commission européenne a autant d’importance que celle d’un think-tank européen (leur légitimité et représentativité politique actuelles étant très proches) et il est utile que les pays-candidats s’en rendent compte ; quant aux dirigeants élus, avec l’arrivée de l’Euro dans 6 mois, et les élections nationales dans la foulée, leurs convictions suivront la voie/voix des électeurs. …et ça ne sera certainement pas celle de l’élargissement géographique d’abord.

En conséquence, il est essentiel de se rendre compte, surtout pour ceux (et j’en suis) qui pensent que l’élargissement à l’Est est essentiel, qu’il y a un séquençage incontournable des deux élargissements : démocratique d’abord ; géographique ensuite. Et comme nombre d’Européens de l’Est le soulignent, ils n’ont pas, eux non plus, envie de rentrer dans une UE à valeur démocratique négative.

Tant que cet élargissement démocratique (qui sera progressif, sectoriel d’abord comme par exemple, l’élection en ligne du premier Conseil Etudiant Européen) ne sera pas en cours, les peuples continueront à bloquer les décisions du système bureaucratique communautaire … car ce qu’ont fait les irlandais, ça n’est rien d’autre.

Ce ne sont pas les Danois de 1992 qui refusaient la monnaie unique. Les Irlandais se sont partagés instinctivement les rôles : entre une majorité pro-européenne, mais fatiguée qu’on lui fasse signer des chèques en blanc, qui est restée chez elle …et des anti-Européens qui ont senti qu’ainsi ils pouvaient devenir majoritaires.

Aujourd’hui, pour qui connaît un minimum les Européens, il est évident qu’un scénario identique se déroulerait dans chaque Etat-membre s’il était consulté sur le Traité de Nice.

Au-delà de Nice, il est en tout cas certain que les leaders politiques de l’Euroland qui ne comprendront pas ce besoin de démocratisation rapide de l’UE paieront chèrement dès 2002 le prix de leur myopie politique, par des défaites électorales. En effet, alors qu’ils se réjouissent aujourd’hui de pouvoir se passer du peuple pour ratifier les traités européens, ils regretteront amèrement en 2002 que leurs Etats ne pratiquent pas le système du référendum sur ces traités …car c’est lors de l’élection nationale que les états d’âme des Eurocitoyens s’exprimeront.

Quant aux institutions communautaires, leur nature ultra-bureaucratique et éloignée des citoyens les rend peu à mêmes de comprendre rapidement ce que ces évolutions veulent dire concrètement et surtout qu’elles ne peuvent pas être stoppées. Leur seul choix rationnel serait de les accompagner pour s’y associer et y retrouver une légitimité perdue (ou jamais encore obtenue) ; mais on peut être pessimiste sur leur capacité, au-delà du discours à réellement s’en rendre compte avant qu’il ne soit trop tard.

Pour conclure, contrairement à ce le système institutionnel communautaire dit en chœur aujourd’hui : la priorité historique de l’UE n’est pas actuellement l’élargissement géographique à l’Est ; c’est d’abord l’élargissement démocratique du système décisionnel de UE vers ses citoyens.

Les Irlandais viennent de le rappeler brutalement ; dès 2002 chaque candidat aux postes de chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats de l’Euroland sera obligé d’en convenir …ou de perdre à coup sûr les élection.

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