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Les Nations Unies et New York

 

par Belisarius
02/03/2004

 

Signe des temps, le bâtiment des Nations Unies à New York, héritage de l’après-guerre, doit être profondément rénové. Il ne s’agit pas (seulement) d’en retirer les micros de Blair, Bush et des autres. Près de 60 ans après sa conception, si la silhouette reste élégante, l’intérieur est vétuste et totalement inadapté au fonctionnement d’une administration moderne. Il faudra donc tout revoir. Il faudra également construire en face un nouvel immeuble pour installer pendant cinq à dix ans les milliers de fonctionnaires internationaux du Secrétariat.

Nul ne nie le besoin, nul n’a contesté le projet ou son coût : 1,2 milliards de dollars. Et chacun s’est tourné vers les Etats-Unis. Certains avaient en mémoire l’Amérique éclairée de l’après-guerre : à l’époque, Rockefeller avait offert le terrain, le gouvernement avait accordé un prêt à taux nul sur la quasi-totalité de la somme, une équipe internationale d’architectes, dont le Français Le Corbusier, s’était mise au travail sur l’East River. D’autres, plus réalistes, faisaient valoir que tous les Etats-hôtes mettent la main à la poche. C’est leur intérêt bien compris. La Suisse, l’Allemagne, la France ou l’Italie en savent quelque chose. Pour New York, les retombées directes de l’implantation onusienne à Manhattan sont évaluées à 3 milliards de dollars par an.

C’était sans doute surestimer les capacités de l’administration Bush, qui vient de faire connaître son « offre » : d’accord pour concéder 1,2 milliards de dollars… à condition que les Nations Unies les remboursent intégralement sur 30 ans, à un taux de 5,4%. Etant donné les taux sur le marché (moins de 5 %), le montage financier reviendrait à transférer au budget américain 800 millions de dollars ! Les Américains rappellent d’ailleurs qu’ils en ont bien besoin, à 500 milliards de déficit… Cynisme dans les arguments, arrogance dans la manoeuvre, absence totale de vision. Evidemment inacceptable, dira-t-on. Pas si simple, à en croire les premières réactions.

Le Secrétariat des Nations Unies se tortille : comment refuser une offre des Américains, au risque de prendre la responsabilité de repousser, voire d’annuler le projet ? L’adjointe de Kofi Annan en charge du budget, qui est bien entendu américaine, a d’ailleurs salué l’annonce, en ne mentionnant que timidement le niveau du taux appliqué. Les pays en développement, qui ne payeront de toute manière qu’un modeste écot, ne voient pas l’intérêt d’entrer dans une confrontation qui n’est pas la leur. Les Japonais et les Canadiens attendent de voir. Il reste donc les Européens.

Là, configuration classique au sein de l’Union européenne : les Etats membres déplorent tous le calcul américain mais se divisent dans la réponse. Schématiquement, l’Allemagne, la France et la Belgique demandent une réponse ferme, assortie d’alternatives. Pourquoi, par exemple, ne pas transférer en Europe les agences actuellement à New York (PNUD, UNICEF, etc…) ? Bonn a encore beaucoup d’espace à revendre. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui savent pourtant compter, s’effarouchent et appellent à la modération et au dialogue. Peut-être baissera-t-on un peu le taux, en échange d’un montant moins élevé ? Si l’on pouvait attendre un peu, passer les élections présidentielles de novembre et se déterminer en fonction du résultat… C’est oublier que le Congrès peut se prononcer à tout moment, et qu’il sera encore là après les élections. C’est aussi faire le jeu d’une administration qui avait sans doute anticipé cette pusillanimité. C’est surtout passer à coté de l’Histoire.

La métaphore paraît en effet trop belle : la nécessité de réformer les Nations Unies tout en en préservant les principes ; l’évolution des Etats-Unis dans un monde qui a changé profondément depuis la IIème guerre mondiale ; la place qui revient aux Européens dans le grand rééquilibrage et qu’ils n’osent pas prendre. Et pourtant cette affaire est tout ce qui a de plus authentique. En fait, une position européenne est attendue dans les prochaines semaines.

Alors ? Que les Européens prennent le taureau par les cornes ! Il ne s’agit pas seulement de quelques agences : si les Nations Unies ne sont visiblement plus les bienvenues aux Etats-Unis, il serait logique que le quartier général tout entier en revienne en Europe. D’ailleurs, les Américains devraient admettre qu’en matière de construction politique, ils ont passé la main, et que l’innovation est bel et bien du côté de l’Union européenne. Le reste du monde le comprend bien, ce monde qui est géographiquement plus proche de l’Europe qu’il ne l’est de la lointaine New York. Alors, Genève ? Il ne reste plus qu’à en diffuser l’idée…

Qui y perdrait ? La ville de New York (mais qu’elle se manifeste donc!) et les diplomates. Mais ceux-ci sauront assurément se sacrifier pour l’avenir de la coopération multilatérale, qui est tout de même la planche de salut de la profession!

 

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