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Le droit européen de la concurrence doit-il être contrecarré par une véritable politique industrielle européenne ? Un débat nécessaire

par Aurélien Condomines
22/06/2004

Le droit européen de la concurrence a récemment fait l’objet de critiques sérieuses sous des angles d’attaque différents et diamétralement opposés. Mais derrière cette critique pourrait se cacher la nécessité de repenser entièrement l’approche européenne de la politique économique et industrielle.

La Commission est critiquée pour un large éventail de raisons :

– ses décisions ne seraient pas fondées sur une théorie économique solide, ce qui entraverait la mise en œuvre de certains projets positifs pour l’économie,

– les mêmes personnes au sein de la Commission sont chargées d’instruire les affaires ainsi que de prendre la décision finale, ce qui peut donner lieu à des problèmes de partialité,

– le grand public semble trouver la Commission trop libérale.

Les premiers reproches graves adressés au droit européen de la concurrence, qui ont attiré l’attention d’un public plus large que les seuls experts, sont venus des États-Unis, à la suite de la décision de la Commission de bloquer la fusion GE/Honeywell en 2001. Depuis lors, l’annulation de plusieurs décisions de la Commission par le Tribunal de première instance des Communautés européennes a alimenté le débat. Sous la pression des médias, qui ont largement diffusé certains arguments avancés notamment par les lobbies de l’industrie, la Commission a commencé à réformer les règles qui régissent le contrôle des concentrations et les règles antitrust. La réforme du contrôle des concentrations n’est pas radicale : la Commission a amélioré le système existant et a engagé quelques économistes. La réforme des règles antitrust est plus substantielle. La Commission a abandonné sa compétence exclusive pour l’exemption des accords qui contribuent au “progrès économique”. Des pouvoirs plus étendus sont ainsi conférés aux autorités et aux tribunaux nationaux et la Commission a annoncé qu’elle se concentrerait désormais sur les ententes et les infractions dites “caractérisées” aux règles antitrust.

Les débats quelque peu polémiques dans la presse sur le fait que la Commission est trop zélée et trop stricte dans la mise en œuvre du contrôle des concentrations (affaires Tetra/Laval, Alcan/Pechiney, Schneider/Legrand) et des règles relatives aux aides d’État (affaire Alstom, par exemple), d’une part, et trop libérale dans le démantèlement des monopoles publics, d’autre part, sont étroitement liés au véritable enjeu l’absence de politique industrielle européenne claire. Mais les débats ne vont généralement pas aussi loin et les récentes réformes n’ont pas abordé cette question.

Mettons de côté les reproches qui se rapportent à certains cas spécifiques. Les entreprises qui se plaignent de la manière dont leur projet de fusion a été traité sont souvent les premières à se plaindre qu’un concurrent reçoit une aide d’État illégale, et vice versa. La mise en œuvre stricte des règles antitrust, qui conduit à interdire certaines fusions ou joint-ventures, l’interdiction des aides d’État susceptibles de fausser la concurrence au sein de l’Union européenne et le démantèlement des monopoles nationaux qui empêchent les échanges entre États membres sont fondés sur le traité de Rome, l’ensemble fondamental des règles qui gouvernent l’Union européenne. La Commission doit appliquer ces règles et ne dispose pas d’une grande marge de manœuvre à cet égard. D’autre part, la Commission n’a pas le pouvoir d’atténuer les effets des politiques antitrust : lorsqu’elle démantèle un monopole au niveau national, elle ne peut pas recréer des monopoles au niveau européen ; lorsqu’elle interdit les aides d’Etat, en particulier sous forme d’allégements fiscaux ou de mesures plus subtiles d’allégement fiscal, elle ne peut recréer des mesures similaires au niveau européen ; si elle peut interdire certaines concentrations ou entreprises communes, elle ne peut avoir le pouvoir politique de favoriser la concentration industrielle au niveau européen.

En résumé, si la Commission dispose de pouvoirs considérables dans le domaine de la lutte contre les ententes et les abus de position dominante, elle est un “nain” politique en matière de politique industrielle. Le pire, c’est qu’en fait, personne n’est responsable de cette politique au niveau européen. Les États membres tentent de mener leur propre politique nationale – dans la mesure du possible sur un marché mondial et avec des pouvoirs réduits par les règles européennes concernant les aides d’État et les critères de Maastricht. Le seul secteur industriel où il semble y avoir une sorte de début de coopération européenne est celui de la défense (et même là, la coopération est plutôt multilatérale qu’européenne).

Cette situation absurde est particulièrement flagrante en ce qui concerne la mission de la Commission en matière d’aides d’État. La Commission lutte avec ferveur contre presque toute forme d’interventionnisme étatique, conformément aux règles prévues par le traité de Rome et aux principes énoncés par la Cour de justice européenne. Cela est nécessaire parce que les aides d’État au niveau national peuvent fausser la concurrence au sein de l’Union européenne. Toutefois, en l’absence d’une véritable politique d’aide à l’industrie au niveau européen, l’interdiction systématique des aides d’État par la Commission conduit l’Union européenne à mener, dans la pratique, une politique de marché radicalement libre. Il ne s’agit pas d’un choix de la Commission, mais du résultat de la situation déséquilibrée des pouvoirs décrite ci-dessus. Il ne fait aucun doute que si la Commission avait le pouvoir de mener une politique interventionniste dans le secteur industriel, elle serait aussi interventionniste qu’une administration peut l’être. La situation actuelle est la conséquence logique d’une politique d’intégration européenne qui ne transfère des compétences importantes qu’en partie aux institutions européennes, tout en réservant d’autres composantes de ces compétences aux États membres, empêchant ainsi les gouvernements des États membres et les institutions européennes de mener une politique économique globale cohérente.

Cela dit, le débat devrait maintenant se concentrer sur la question de savoir s’il n’est pas temps d’accorder aux institutions européennes (ou à tout autre organisme ou forme de coopération internationale) le pouvoir de mener une véritable politique industrielle à l’échelle européenne – sans oublier, bien entendu, l’importance d’un débat simultané sur la manière dont ces pouvoirs pourraient être contrôlés démocratiquement.

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