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“L’Europe ou la mort” : L’impact de l’élargissement à l’Est de l’UE sur l’avenir de l’Europe

par Kilian Strauss
30/01/2004

“L’élargissement et la constitution sont les deux faces d’une même médaille” (G. Schröder)

L’année 2004 s’annonce comme l’année de l’Europe par excellence. Elle verra l’élargissement de l’UE (en mai), les élections au Parlement européen (en juin), une nouvelle Commission (en septembre) et éventuellement une Constitution européenne (en décembre ?). Pourtant, au lieu de s’inquiéter des changements à venir, on parle de crise, à la suite de l’échec du sommet européen de Bruxelles des 12 et 13 décembre 2003, qui n’a pas permis de parvenir à un accord sur une Constitution européenne. Pour certains, Bruxelles constituait un avertissement clair de ce à quoi ressemblerait une UE-25 non réformée – querelles, paralysie et indécision. Les opposants à l’élargissement rejetteraient sans aucun doute la responsabilité de l’échec du Sommet sur les portes des dix nouveaux pays membres, et en particulier sur la Pologne. Cette critique est-elle justifiée ?

Il ne fait guère de doute que les nouveaux membres auront un impact important sur le fonctionnement de l’UE, raison pour laquelle il a été décidé, lors du sommet de Laeken en 2001, de créer une Convention sur l’avenir de l’Europe, dont la tâche consistait, entre autres, à simplifier les traités communautaires existants et à simplifier les mécanismes communautaires. L’un des objectifs implicites de la Convention était d’éliminer les restes du controversé traité de Nice de 2000 et de préparer une nouvelle Conférence intergouvernementale (CIG) d’ici la fin 2003 afin de mieux préparer l’Union à l’élargissement à l’Est.

Le projet de Constitution présenté par la Convention lors du sommet de Thessalonique du 18 juin 2003 contenait un certain nombre de propositions qui incluaient un mécanisme de vote simplifié et plus équilibré au Conseil des ministres. Cela aurait facilité l’adoption de décisions au niveau de l’UE et aurait pu contribuer à rendre le fonctionnement de l’Union plus transparent. Pourtant, l’adoption du nouveau mécanisme de vote aurait signifié abandonner les dispositions complexes adoptées à Nice, qui mettaient la France au même niveau que l’Allemagne et donnaient à l’Espagne et à la Pologne un poids presque égal. Pourtant, le Sommet n’y est pas parvenu. L’Espagne et la Pologne étaient visiblement réticentes à renoncer à leur influence nouvellement acquise. Pourtant, ce serait une erreur de blâmer la Pologne et l’Espagne seules pour l’échec de Bruxelles.

L’échec du sommet était autant le résultat de l’entêtement polonais et espagnol, de la faiblesse interne du gouvernement polonais et de son manque de capacité de négociation au niveau européen, de la mauvaise gestion du sommet par le Premier ministre Berlusconi que du résultat préféré du gouvernement français, l’intention de punir la Pologne après une série de différends politiques entre Varsovie et Paris, notamment sur l’Irak et la Constitution, sachant presque certain que la Pologne serait tenue responsable de cet échec du sommet.

Les résultats de Bruxelles ont également montré que la “vieille Europe” n’est pas prête à s’adapter aux nouvelles réalités d’une Union élargie. Les bénéficiaires nets actuels de l’argent liquide de l’UE, en particulier, veulent éviter de perdre la manne de Bruxelles. Cette attitude et la pression politique intérieure ont permis de remettre les ego nationaux en jeu. Alors que la Convention était un exercice quasi exemplaire de coopération européenne, les intérêts nationaux représentés à la CIG ont fait l’objet de nombreuses avancées au cours des quinze derniers mois et allaient à l’encontre du principe de la construction européenne en cédant la souveraineté à Bruxelles.

Pourtant, l’attachement quelque peu atavique aux notions de souveraineté nationale observé à Bruxelles ne devrait pas disparaître de sitôt, étant donné que de nombreux nouveaux membres sont encore plus attachés à leur souveraineté nationale (qui n’a été acquise que récemment). Cela pourrait signifier que le rêve des fédéralistes européens d’une Union (politique) plus étroite semble aujourd’hui plus difficile que jamais à réaliser dans une Union qui ne cesse de croître. Simultanément, bien que l’UE ait clairement besoin d’une réforme de ses structures et de son budget, de nombreux nouveaux membres préféreront ne pas procéder à des changements majeurs pour l’instant. Cela est dû autant à leur désir de bénéficier des largesses existantes de l’UE qu’à la nécessité de continuer à se conformer à l’acquis communautaire actuel.

Cette évolution constituera une déception particulière pour les membres fondateurs de l’Union qui rêvent d’une “Union toujours plus étroite” et qui réalisent progressivement que l’Europe dans son ensemble ne se rapprochera probablement plus et que l'”élargissement” l’emportera très probablement à terme sur “l’approfondissement”. Cela signifie que la notion traditionnelle d’intégration de l’UE atteindra bientôt ses limites. Une UE élargie sera inévitablement moins homogène et plus fragmentée, avec des alliances sporadiques et temporaires. Cela pourrait remettre en cause des notions telles qu’une politique étrangère commune. Pourtant, l’intégration européenne ne s’arrêtera pas nécessairement là, car une Europe forte est le seul moyen pour de nombreux petits membres de l’UE (en particulier d’Europe centrale) de faire entendre leur voix au niveau international, ce qui pourrait les convaincre de devenir plus européens et de sacrifier davantage leur souveraineté nationale pour le bien européen.

La seule chose que l’on puisse dire avec une certaine certitude au sujet de l’élargissement de l’UE est que, quelles que soient les lignes de fracture qui se dessinent, il est peu probable qu’elles se situent entre la “vieille” et la “nouvelle” Europe. Il s’agit plutôt d’un débat “grand contre petit”, ouvert à Nice et qui est susceptible de dominer les relations intracommunautaires dans les années à venir. Cette nouvelle tension entre grands et petits membres est particulièrement difficile à désamorcer étant donné que leurs positions sur des questions clés sont diamétralement opposées et ne permettent pas un compromis facile sans concessions majeures.

Dans ce contexte, la menace d’une Europe centrale ou d’une Union franco-allemande, comme l’a dit le président Chirac, ne serait pas très utile pour faire avancer l’Europe. Bien qu’une Europe à vitesses différentes puisse éventuellement émerger de l’Union actuelle, avec un certain nombre de nouveaux membres s’orientant vers une coopération plus étroite avec les membres fondateurs initiaux de l’UE, la base juridique (et politique) d’une ” Europe dure ” n’est pas claire à l’heure actuelle et pourrait durablement empoisonner l’atmosphère politique au sein de l’UE si elle se poursuit. Les récents bulldozers français et allemands sur le pacte de stabilité n’ont certainement pas contribué à convaincre le reste de l’UE que le système actuel est équilibré et que les intentions des grands membres sont essentiellement motivées par des considérations européennes.

Enfin, la question des dépenses futures de l’UE devrait être au centre des préoccupations de tous avant les discussions sur le cycle budgétaire 2007-2013 et offrirait une chance unique de mettre un terme à la plus grande absurdité économique du monde développé (The Economist), la politique agricole commune (PAC), dont la France est actuellement le premier bénéficiaire net. Pourtant, les espoirs d’une réforme majeure du budget semblent minces, compte tenu de la résistance française traditionnelle à la réforme de la PAC et du fait que l’Espagne est le premier bénéficiaire des fonds structurels (aides régionales), qui sera bientôt supplantée par la Pologne. Étant donné que le budget de l’UE doit être adopté à l’unanimité, il y a sans aucun doute une période de débats acrimonieux à venir, dont la récente lettre des contributeurs nets de l’UE n’était qu’un point de départ. Si l’on ne comprend pas que des concessions individuelles contribueront au bien commun de l’Europe, l’Union pourrait en effet traverser une période très difficile. Les Etats membres de l’UE devraient reconnaître que l’Union offre un avantage net pour tous, pour lequel il vaut la peine de sacrifier une partie de la souveraineté nationale. Étant donné qu’il est encore possible de parvenir à un accord sous la présidence irlandaise au cours du premier semestre 2004, une option pourrait consister à convenir d’une Constitution qui prolongerait le mécanisme de vote de Nice de quelques années au-delà de sa fin prévue en 2009, permettant ainsi aux États membres de voir comment le vote se déroulera dans une UE élargie. Il est clair que l’élargissement ne facilitera pas le fonctionnement de l’Union, mais il rendra sans aucun doute notre continent plus sûr et plus prospère à long terme.

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