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Élections US : détonateur de la phase ultime de la crise économique et financière US (Extrait GEAB Juin 2016)

Ce mois-ci, notre équipe s’attache à analyser l’impact de la campagne présidentielle américaine sur les perceptions de la situation économique et financière du pays. Or, comme chacun sait, la réalité est affaire de perception.

Nos lecteurs ont sans doute remarqué que nous parlions moins fréquemment de l’économie des États-Unis dans nos pages. La raison en est simple : nous étions las de répéter à l’envi que les fondamentaux économiques étaient toujours aussi mauvais, contrairement à ce qu’on essayait de nous faire croire. Force nous était de constater que la maîtrise de la communication  sur l’état du pays – mélange de camouflage des mauvaises nouvelles, de méthode Coué sur un prétendu rebond et de bombardement de mauvaises nouvelles sur la zone euro puis les BRICS – suffisait à détourner la crise vers l’extérieur et à maintenir l’illusion d’une Amérique invincible.

Il nous restait donc à suivre la réorganisation du reste du monde, tout en restant vigilants aux facteurs susceptibles de fragiliser la belle cohérence du discours sur la reprise US. Nous étions certains d’une chose : cette opération de camouflage de réalité empêchait forcément les États-Unis de régler leurs problèmes qui resurgiraient forcément un jour : aucune véritable consolidation, aucune remise en question ne pouvait avoir lieu aux États-Unis depuis 2009, bien au contraire. La communication palliait tous les problèmes.

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Nous estimons que, à ce stade, la campagne présidentielle fournit les conditions de résurgence de la réalité propices au « hard-landing » anticipé par notre équipe en début d’année[1]. En effet, l’ensemble de la société américaine se divise actuellement entre deux groupes disparates mais organisés autour de deux objectifs opposés :

. maintenir le statu quo, continuer à contrôler la communication positive, les annonces de hausses d’intérêt comme preuve de la belle santé de l’économie américaine, dans le but de faire élire Hillary Clinton ;

. révéler, voire dramatiser, la situation économique, anticiper une énorme catastrophe en cours de développement, contribuer à affoler les opinions, dans le but d’imposer un changement radical de politique, changement désormais incarné par Donald Trump.

C’est à cette aune que notre équipe étudie donc les nouvelles qui sortent de la presse US, sachant que la réalité se situe sans doute entre ces deux extrêmes. Ce n’est pas parce que la réalité des très grandes difficultés économiques US n’était pas reconnue officiellement qu’elle n’était pas à l’œuvre. C’est le secteur financier, reflet de la psychologie collective plus que de la réalité, qui était protégé par ce travail de camouflage. Les marchés financiers américano-centrés risquent donc de souffrir. Mais nos lecteurs savent que nous faisons une belle différence entre le degré de dépendance à l’Amérique du monde en 2007 et celui d’aujourd’hui. Nous le répétons, le monde s’est bien organisé depuis dix ans et de nombreuses alternatives existent qui joueront le rôle de filet dans l’hypothèse d’un crash.

L’élection US comme révélateur de l’état du pays

Malgré la piètre qualité du débat US, la campagne présidentielle présente donc la caractéristique de permettre un « moment de vérité », une libération de la parole, lié à la fracturation de la société (y compris de l’establishment lui-même) en deux camps. Or dans le cas de la campagne ultra-polarisée actuelle, la fissure habituelle entre tenants du camp démocrate et tenants du camp républicain est devenue un véritable gouffre béant d’où sortent des images inattendues de l’état du pays.

C’est ainsi que subitement se remettent à fleurir  les articles alarmistes sur l’économie américaine. Outre le ressort politique que nous venons de voir, il y a aussi le fait que, d’elle-même, la communication s’essouffle. On prendra pour exemple les annonces de la Fed, où Yellen parvient de moins en moins à orienter les marchés[2] avec ses déclarations rassurantes-mais-pas-trop et ses hausses de taux proches-mais-lointaines et qui n’arrivent jamais (nous y reviendrons).

Avec l’élection qui approche, il devient impossible de cacher les problèmes qui étaient auparavant enfouis sous les bonnes nouvelles ou sous les nouvelles de l’étranger – car l’élection force le pays à parler de lui-même et à regarder ses propres problèmes. Étrangement, c’est précisément à cette période que les statistiques mensuelles sur l’emploi commencent à plonger[3], avec en mai le pire mois pour les créations d’emplois depuis 2010 (et mars et avril revus en forte baisse), provoquant une petite panique[4] juste avant une réunion de la Fed qui prévoyait d’augmenter son taux directeur[5] et qui trouve là une bonne excuse pour ne rien faire.

La planète finance commence elle aussi à s’inquiéter ouvertement… Plus de 10.000 milliards de dollars d’obligations souveraines affichent désormais des taux négatifs, soit près du PIB de la zone euro. Or la motivation d’un investisseur qui achète une obligation à taux négatif n’est pas de perdre de l’argent : il espère que les taux baisseront encore pour pouvoir faire une plus-value en revendant son obligation plus cher (puisqu’elle deviendrait plus intéressante dans un environnement à taux plus faibles). Cette spirale, ou plutôt la crainte qu’elle ne s’enraye quand les taux remonteront, crée de grandes angoisses à Bill Gross par exemple, qui avertit du danger de l’explosion ni plus ni moins d’une « supernova »[6].

George Soros parie quant à lui sur la chute imminente des marchés, en vendant ses actions pour miser sur l’or[7]. Goldman Sachs voit elle aussi une forte chute des marchés dans les douze mois qui viennent[8], soit autour de l’élection américaine. Selon la banque, les marchés seraient sur le point d’entrer en mode « désespoir » [9], dans une configuration qui rappelle fortement celle de 2007…

D’ailleurs, les articles mainstream se multiplient pour alerter sur les ressemblances des excès actuels avec ceux de 2007 : les marchés des obligations n’ont jamais été aussi valorisés et n’ont jamais si peu rapporté[10] ; les marchés financiers sont en lévitation[11] et ce encore plus qu’en 2000 et 2007 ; le choc redouté du Brexit rend le cours de la livre sterling aussi volatil[12] qu’en 2008 ; on reparle de subprimes aux États-Unis, cette fois dans le secteur automobile en difficulté, où les crédits de mauvaise qualité représentent 20 % du total et voient leur taux de défaut augmenter dangereusement[13]

Les alertes sur l’état de l’économie pleuvent actuellement, peut-être dans l’espoir d’éviter de renouveler la tragédie de 2008 – qui n’avait, elle, été anticipé par presque personne – en amenant les acteurs économiques mondiaux à venir à la rescousse d’un cataclysme qui concernerait tout le monde, comme à l’époque. Mais cette fois, les États-Unis sont face à des acteurs beaucoup plus indépendants, résolument moins inquiets du destin américain et largement concentrés sur leurs propres problèmes : la Chine pose tranquillement mais sûrement les jalons d’un monde nouveau (nous y reviendrons) ;  la Russie va son chemin sans plus se soucier de plaire à l’Occident pour exister ; les producteurs de pétrole américains semblent avoir capitulé face à la guerre des prix menée par l’OPEP[14] alors que les faillites se multiplient, etc.

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Figure 1 – Production de pétrole des États-Unis (en bleu) et de l’OPEP (en blanc), 2015-2016. Source : Bloomberg.

Bref, le « hard landing » de l’économie américaine, dans un remake hollywoodien de 2008, ne semble pas loin. Il faut dire que, outre la finance, les perspectives de l’économie réelle sont elles aussi très sombres aux États-Unis[15], entre l’endettement (public et privé) qui redevient inquiétant[16] (les ménages sont aussi endettés qu’en 2008, à nouveau), le taux d’emploi qui, après trois mois encourageants, reprend sa baisse (moins de 63 % de participation au marché du travail contre 67 % en 2000), les bons de nourriture toujours au plus haut avec 45 millions de personnes concernées[17], le secteur pétrolier qui n’en peut plus de souffrir des faibles prix du pétrole alors que ceux-ci ne parviennent même pas à aider l’économie américaine[18], le déclassement des ménages qui continue, etc.

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Figure 2 – Richesse nette moyenne des ménages US, 1983-2013. Source : Pew Research Center.

Nous pourrions évidemment continuer le portrait d’une société où le chômage, la pauvreté, les faillites, les problèmes sociaux se font de plus en plus prégnants. Tout cela n’a rien de nouveau. Ce qui l’est, c’est que tous ces éléments ressortent d’un coup dans les médias à cause de tous les intérêts contraires qui luttent avant l’élection de novembre. C’est cette période de grand déballage qui risque de mettre le feu aux poudres et provoquer le « hard-landing » que nous anticipions en janvier.

D’une certaine manière, l’emballement de mauvaises nouvelles et les révélations collectives sur le fait qu’aucun problème n’a été réglé depuis 10 ans, doivent pousser de nombreux opérateurs à un profond sentiment de découragement et la tentation de refiler la patate chaude à Trump doit augmenter dans les rangs de la politique mainstream…

Indépendante, la Fed ?

Officiellement cependant, l’establishment est toujours collectivement derrière Clinton, même s’il ne sait plus trop quelle position adopter pour lui faciliter la tâche. Ainsi de la Fed, qui se demande si elle doit remonter ses taux d’intérêt pour donner un gage d’amélioration de l’économie, quitte à asphyxier les marchés financiers, ou au contraire si elle doit maintenir les taux jusqu’à l’élection pour donner de l’air au pays, quitte à pointer du doigt la fragilité de la « reprise »[19] (soit dit en passant, on se rappellera que la présidente de la Fed, Janet Yellen, est ouvertement démocrate[20]…).

En réalité, pèsent dans la balance bien d’autres considérations. Les États-Unis ont besoin d’un dollar fort pour attirer les capitaux étrangers et ainsi masquer la faiblesse de leur propre économie : cela demande à la Fed de monter ses taux d’intérêt pour rendre le pays plus attractif pour les investissements étrangers.

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Figure 3– Emplois générés par les investissements directs étrangers (FDI) aux États-Unis. Source : International Trade Administration.

Mais un dollar élevé met à mal la compétitivité du pays à l’international et fait donc souffrir les exportateurs ; de plus, il contribue à maintenir le prix du pétrole à un faible niveau, ce qui fait souffrir l’industrie pétrolière américaine.

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Figure 4 – Pourcentage des bénéfices des compagnies pétrolières US dédié au remboursement des seuls intérêts de leur dette, 2015 et 1er trimestre 2016. Source : SRSrocco Report.

On voit que l’équation n’est pas simple – en fait, c’est une impasse, et une fois encore ce sont les talents de communication qui vont devoir servir pour réussir à jouer l’équilibriste au-dessus du précipice. Pendant combien de temps encore ? Et même si ce petit jeu se poursuit sans accroc, pourra-t-il vraiment empêcher Trump d’accéder à la Maison Blanche ?

Prise entre deux feux, Yellen respectera sans doute son annonce d’augmentation des taux d’ici la fin de l’année (probablement au moment le plus opportun pour montrer que tout va bien avant l’élection, c’est-à-dire en septembre ou en octobre), afin de ne pas perdre toute crédibilité, mais ce sera une augmentation insignifiante, car l’économie US ne pourrait supporter plus, comme nous l’avons déjà maintes fois analysé.

2017 : fin de la piste damée

On voit donc à quel point l’échéance électorale de novembre 2016 instaure un horizon indépassable actuellement. Même le reste du monde y est suspendu et relativement incapable de faire autre chose que se préparer au pire à partir de cette date, tout en faisant comme si de rien n’était d’ici là. Alors que l’Europe retrouve des couleurs[21] (d’une certaine manière grâce à la période d’accalmie permise par le recentrage des organes de presse US sur leur propre pays) et commence à résoudre ses problèmes économiques (mais pas ses problèmes politiques, malheureusement), que le Moyen-Orient sort peu à peu du marasme notamment grâce à de nouvelles interactions entre les grands acteurs régionaux[22], que la Chine et l’Asie prennent progressivement leur place dans le leadership mondial[23], tous ces pays restent néanmoins suspendus au choix des électeurs américains car, on l’a vu, l’incertitude est grande.

Or, dans la logique des « QE tournants » dont nous avons déjà parlé, la politique accommodante de la BCE et de la BoJ sert entre autre le choix des États-Unis de promouvoir un dollar fort et commence à crisper les régions concernées[24]… Nombre de voix s’élèvent en effet pour arrêter ce genre de politique monétaire car elles sentent bien que ce n’est pas toujours dans l’intérêt de la région concernée. De même, les sanctions européennes contre la Russie vont complètement à l’encontre de l’intérêt européen, et ne sont là que pour servir l’Oncle Sam – de plus en plus de dirigeants le comprennent[25], jusqu’à un Juncker déclarant que « nous ne pouvons pas laisser nos relations avec la Russie être dictées par Washington[26] » et osant un voyage à Moscou ce mois-ci[27] !

On voit ainsi se mettre en place un découplage entre les États-Unis d’une part, et le reste de la planète d’autre part, découplage économique autant que politique. Ainsi, en cas de « hard-landing » de l’économie US, s’il y aura évidemment une onde de choc mondiale, elle sera bien moins déstabilisatrice qu’en 2008.

D’ici là, c’est une situation atypique où le monde américano-centré continue de fonctionner en façade, tandis qu’en coulisse le monde entier s’active pour gérer la transition. Il faut donc considérer que toutes les évolutions économiques récentes sont temporaires et que 2017 n’aura juste rien à voir. Tentative de la Fed d’augmentation des taux d’intérêt, dollar fort, prix du pétrole sous les 50$ le baril, hausse des bourses, sanctions contre la Russie, assouplissement quantitatif européen, etc… : tout cela ne devrait pas passer l’année. Sans compter que le G20 de Hangzou va constituer une vaste base de réorganisation mondiale à partir de septembre.

Dans les six mois qui viennent, si notre équipe a un conseil à donner, c’est donc : wait and see…


[1]     GEAB n° 101 de janvier 2016.

[2]     Source : Business Insider, 29/03/2016.

[3]     Source : US News, 03/06/2016.

[4]     Source : CNBC, 03/06/2016.

[5]     Source : New York Times, 07/06/2016.

[6]     « Negative yields will lead to ‘supernova’-like market implosion ». Source : Market Watch, 10/06/2016.

[7]     Source : Fox News, 09/06/2016.

[8]     Source : ZeroHedge, 17/05/2016.

[9]     « Prepare for a major drawdown ». Source : ZeroHedge, 08/06/2016.

[10]   Source : Bloomberg, 13/06/2016.

[11]   Source : MarketWatch, 11/12/2015.

[12]   Source : Telegraph, 06/06/2016.

[13]   Source : Seeking Alpha, 06/06/2016.

[14]   Source : Bloomberg, 04/05/2016.

[15]   Lire par exemple cet article très instructif : « The Next Big Crash Of The U.S. Economy Is Coming, Here’s Why » (source : SRSrocco Report, 26/05/2016). Ou encore : « 5 factors that could turn America into another collapsed empire » (source : MarketWatch, 06/06/2016).

[16]   Source : Wall Street Journal, 25/05/2016.

[17]   Source : USDA.

[18]   Source : New York Times, 21/01/2016.

[19]   Lire à ce sujet : « Could an ‘accident’ by Janet Yellen derail Clinton? » (source : Politico, 01/12/2015).

[20]   Source : Wikipédia.

[21]   Source : Wall Street Journal, 29/04/2016.

[22]   Comme nous l’avons vu dans le dernier numéro.

[23]   En particulier la Chine avec l’organisation d’un G20 très ambitieux cette année, avec de nouvelles pistes prometteuses de développement et de coopérations mondiales (source : China Daily, 26/05/2016)… Autre indice de l’activisme de la Chine sur le plan international : sa banque d’investissement (AIIB) devrait regrouper cent pays d’ici fin 2016 (!) (source : Straits Times, 01/06/2016).

[24]   Sources : Telegraph (10/03/2016) ; Financial Times (20/04/2016) ; Bloomberg (14/04/2016), etc.

[25]   Source : Sputnik, 12/05/2016

[26]   Source : BBC, 09/10/2015

[27]   Source : CNBC, 30/05/2016

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