Le 8 juin, les Britanniques ont élu un nouveau Parlement dont la majorité échappe à la Première Ministre Theresa May et son parti conservateur. … L’autre résultat in fine positif de cette élection pour Theresa May, c’est qu’elle lui permet de justifier un changement de ligne de négociation, passant d’un projet de hard-Brexit à celui d’un soft-Brexit, désormais adapté à l’objectif vital pour le RU d’éviter d’être marginalisé par rapport à un continent qui n’a pas suivi leur voie.
Figure 1 : Diagramme d’Euler montrant les relations entre divers accords et organisations multinationaux européens. – Source Wikipedia
… Pour ne pas perdre la face, ce n’est pas la décision du Brexit qui doit apparaître comme étant remise en cause par ces élections, mais son processus, les modalités, la «tonalité». Le Brexit doit être maintenu car il sert les deux côtés de la Manche en créant les conditions du changement que les dix dernières années de crise ont prouvé indispensable. Mais il doit servir à :
. permettre la réforme du RU
. permettre la réforme du continent
. permettre la réforme de la relation du RU au continent
Forts des résultats électoraux qui ont portés les partisans du soft-Brexit, différents scénarios se mettent officiellement en place maintenant1 :
- Une sortie du marché unique de l’UE mais pas de l’Union douanière européenne dans laquelle on retrouve la Turquie, Monaco, Andorre, San Marino2, selon Günther Oettinger, commissaire européen, qui voit dans le maintien du RU dans l’Union douanière l’avantage de ne pas être obligé de renégocier tous les accords commerciaux3. Les négociations actuelles du gouvernement de Theresa May et de l’opposition portent d’ailleurs sur cette question4. Une telle solution, nous l’avons déjà vu, conviendrait également au DUP, mais en revanche, en l’absence de négociations sur des sujets comme l’immigration, serait rejeté par les partis de gauche. Par ailleurs, l’aile « dure » récupérée de l’UKIP risque de s’y opposer…
- le scénario du « no deal », n’est pas à exclure, compte tenu de la longueur des négociations, qui n’ont toujours pas commencé. Si aucun accord n’a pu être obtenu à la date buttoir (en mars 2019), à défaut de sortir le RU reste dans l’UE5.
- Un nouveau référendum6 (combinable avec la solution précédente) – les paris sont ouverts : Betting against Brexit
- Une sortie formelle de l’UE mais pas de l’AELE, aux côtés de l’Islande, du Liechtenstein, de la Norvège et de la Suisse, avec accès maintenu à l’Espace Economique Européen (EEE : les mêmes moins la Suisse)7 – et, comme nous l’avons vu il y a quelques numéros, maintien du fameux « passeport financier » si cher à la City. Ce scenario avait été évoqué par Michel Barnier, après un plan A évoquant un accord intérimaire à un taux zéro, du moins comme option intermédiaire qui serait plus profitable à Bruxelles.8
Ce dernier scénario nous intéresse tout particulièrement. Il servirait en effet des axes de transformation particulièrement pertinents pour tout le monde :
- Côté britannique : arrimage au continent maintenu mais Brexit consommé (face gardée) ; passeport financier sauvé ; participation active aux négociations sur « la prochaine Europe », à savoir les principes de coopération au sein d’un Espace Economique Européen qu’il faudra inévitablement repenser9.
- Côté continent : accession au niveau optimal de redéfinition de l’intégration européenne, permettant de sortir « par le haut » du cadre trop contraignant UE ; intégration des 3-4 pays qui manquent au bon fonctionnement des politiques et stratégies européennes (pour ne citer qu’un exemple, la marginalité de l’Islande et surtout de la Norvège constitue un problème de taille dans la mise en place d’une Europe de la Défense) ; mise en place d’une grande négociation ouverte sur la prochaine étape d’intégration continentale où l’UE n’imposera pas sa méthode aux autres mais repensera sa méthode avec les autres (méthode de négociation qui permettra de remporter l’adhésion des populations concernées) ; victoire retentissante des logiques d’intégration contre les logiques de division ; intégration de pays sur des bases saines et volontaires.
- Côté Islande, Norvège, Lichtenstein (et probablement Suisse) : possibilité de régulariser leur statut et leur participation à la gouvernance européenne sans passer en force vis-à-vis de leurs populations, en étant notamment acteurs du processus de redéfinition ; fin de la situation actuelle pour ces pays de fait inscrits dans le système de gouvernance et de législation européen sans avoir leur mot à dire.
- Côté citoyens : On voit aux avantages listés ci-dessus combien les citoyens deviennent centraux dans cet axe de mise à niveau de l’intégration européenne qui n’est convaincant que par l’acceptabilité qu’il induit pour les peuples ; sur cette base, les citoyens n’auront pas beaucoup d’effort à faire pour que leur soit promise une élection trans-européenne leur permettant de faire le choix des grandes orientations politico-sociétales à donner au système institutionnel commun ainsi renforcé…pourquoi pas dès 2019 (date de la prochaine élection européenne).
Nous évoquions l’idée que ce genre de scenario pourrait s’imposer « si tout le monde est intelligent ». En réalité, nous pensons que cet axe de transformation va s’imposer « systémiquement », à savoir parce qu’il sert tous les intérêts (citoyens, financiers, politiques, technocrates, militaires, économiques…). D’ici peu, la date du 16 juin 2016 pourra être célébrée comme celle de la victoire des forces du changement. Ironie du destin des peuples…
Extrait du GEAB N°116, Juin 2017
1 What is soft-Brexit ? – The Independent, 12/06/2017