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Laïcité (laïcité) : Un instrument de paix sociale très efficace

par Masha Loyak
17/03/2006

Avec la loi française contre les signes religieux ostensibles, le monde extérieur entrevoit un instrument clé de l’ingénierie sociale française inventée au cours de siècles de conflits internes : la laïcité. A l’heure où les conflits sociaux internes et internationaux se multiplient, le fait que ce débat français traverse enfin les frontières peut être une bonne nouvelle.

Partout où j’ai voyagé récemment, je reçois les mêmes interrogations sur la loi française sur les signes ostensibles de la religion. Les gens à l’étranger sont évidemment intéressés par l’idée, la plupart du temps ils sont critiques (certainement parce que leurs médias nationaux le sont) mais aussi curieux d’en savoir plus (évidemment parce qu’ils sentent qu’il y a quelque chose à comprendre). Ce court article est ma contribution à la clarification que les Français doivent à tous ceux qui s’interrogent sur cette “étrange initiative”.

Quelques précisions sur la loi française sur les signes religieux

Tout d’abord, la loi s’applique à tous les signes religieux (grandes croix chrétiennes, kipas juives, voiles musulmans, etc.), alors je me demande vraiment pourquoi les médias se concentrent autant sur la dénonciation d’un éventuel harcèlement de la seule population musulmane (les médias américains en particulier, assez étrangement comme ce sont eux qui ont mis le feu sur un choc de civilisation entre chrétiens et musulmans, un feu qui exige que l’Europe prenne des mesures d’exception pour maintenir une paix sociale dans sa population composée de nombreux musulmans).

Deuxièmement, la loi ne concerne pas l’apparence religieuse des personnes dans les rues de France ; elle ne concerne que leur apparition au sein des établissements publics tels que les écoles (enseignants et élèves), les administrations locales, régionales et nationales (domestiques uniquement),….

Troisièmement, cette loi est destinée à aider les agents de l’Etat à faire respecter le principe structurel français de la “laïcité”. Il a été créé pour répondre à une demande croissante, vieille de plusieurs années, des enseignants et des directeurs en particulier, qui manquaient d’outils tangibles dans leurs efforts pour faire respecter la laïcité dans leurs écoles. Le débat qui a eu lieu en France n’a donc jamais remis en cause les fondements de la loi (le fait que les élèves ne doivent pas exposer des signes évidents de religion est parfaitement accepté par la population multireligieuse française) ; il s’est demandé si une loi était vraiment nécessaire alors que la Constitution française était déjà claire sur le principe de la neutralité religieuse dans les institutions de la République.

La renaissance de la laïcité en France

Au cours des 30 à 40 dernières années, la laïcité a été presque complètement oubliée et mal comprise. A part de petits groupes de “républicains” français défendant les “valeurs et institutions de la République” (laïcité, démocratie, égalité, liberté…), la laïcité a de moins en moins d’écho chez les jeunes générations. Il s’était transformé en un de ces mots théoriques vides de sens qui ne représentent rien. Il y a deux raisons à cela :

. le niveau de cohérence sociale en France (et dans le monde occidental dans son ensemble) était suffisamment élevé et ne nécessitait aucune interrogation quant à son amélioration

. mais aussi, la classification de la laïcité parmi les “valeurs” a été meurtrière : bonheur, démocratie, liberté, paix… sont des valeurs auxquelles les sociétés doivent constamment s’efforcer de tendre. La laïcité fait partie des instruments destinés à conduire la société vers l’état idéal de paix sociale. Les gens ne rêvent pas de vivre dans des sociétés “laïques” ! Ils rêvent de vivre dans des sociétés pacifiques et attendent de leurs dirigeants politiques quils utilisent tous les instruments disponibles à cette fin, dont la laïcité.

Depuis le 11 septembre, les Européens et les Français en particulier, qui comptent entre 4 et 5 millions de musulmans dans leur population, ont pris conscience que le risque de conflits sociaux internes s’est considérablement accru. Cette prise de conscience conduit à l’adoption d’un nombre croissant de mesures, dont certaines reposent sur un renforcement de la police et de la surveillance des populations concernées, d’autres visent à éviter que ces groupes se transforment en communautés fermées. La loi sur les signes religieux appartient à la deuxième catégorie de mesures : au lieu d’isoler un groupe et de renforcer la police, accélérer leur intégration !

Comment la laïcité a-t-elle été inventée en France ?

La France est le résultat de l’intégration de traits culturels germaniques et romains, de traits religieux protestants et catholiques, d’invasions militaires répétées (rappelez-vous comment les Normands ont envahi la Normandie et… sont devenus si français que le roi les a chargés de protéger Paris de plus d’invasions normandes au Xe siècle ! et de vagues régulières de migrations). La France n’est pas une société à “culture ethnique unique” ; sa seule légitimité réside dans le fait que “la France est une machine à fabriquer française”.

Même si c’est bien souvent la méthode faisant autorité qui a été utilisée à cette fin, quelque chose de plus durable a toujours été impliqué dans ce processus. Des siècles d’intégration culturelle ont conduit les Français à distinguer les mesures porteuses de succès des mesures porteuses d’échec, et les ont aidés à définir de plus en plus précisément l’instrument le plus efficace pour promouvoir la cohérence sociale Cet instrument a pris le nom de ” laïcité ” et reposait sur un principe de séparation stricte entre les différents niveaux d’intégration sociale de la personne. En effet, l’individu est le résultat d’une combinaison de différents groupes sociaux : sa famille, sa région/village/ville, sa religion, son état, etc. ; l’individu libre n’a pas à choisir entre ces traits de son individualité qui doivent par tous les moyens éviter d’entrer en conflit sinon sa liberté est en danger ainsi que la paix sociale : le théâtre Corneille montre des cas de destruction individuelle résultant des divergences entre code familial d’honneur et raison étatique. La laïcité est une question de bonne organisation : ne pas installer d’urnes dans les églises, ne pas parler basque pour représenter le niveau national, ne pas porter de grandes croix dans les écoles publiques, etc. Tout comme vous ne dînez pas dans les toilettes ou ne dormez pas dans la cuisine ! De même, le prêtre ne se soucie pas de sa nationalité, ce qui n’a rien à voir avec le fait d’exposer à l’église – mais cela n’empêche personne d’être français, allemand ou britannique ! Pourquoi alors la nation devrait-elle se soucier de sa religion et pourquoi devrait-elle trouver pertinent de l’exposer à l’école ? Être chrétien, juif ou musulman devrait suffire, n’est-ce pas ?

Bien sûr, l’ennemi de la laïcité est l’extrémisme et c’est pourquoi les seules voix entendues au cours du débat sur la loi sur les signes ostensibles ont été celles des communautés les moins tolérantes qui ont fulminé contre “l’intolérance” de la loi alors que les croyants catholiques, juifs ou musulmans (heureusement 95%) ont pleinement compris la nécessité de faire respecter plus strictement ces règles laïques dont ils savent que c’était une garantie pour leur liberté religieuse.

La laïcité a un objectif : créer une cohérence sociale au sein des sociétés multiculturelles.

Toute société est faite de différences. Ces différences sont une source de vie, de richesse, de succès, d’élan, mais dans certaines circonstances, elles deviennent aussi des semences d’autodestruction. La gestion des différences est le rôle de tous les leaders (patriarches familiaux, directeurs d’école, présidents d’entreprise, présidents nationaux, ….) dans le but de créer des synergies et d’atteindre un état de paix sociale. Pour cela, 3 méthodes existent et 3 seulement :

1. La méthode qui fait autorité : C’est la méthode la plus primitive et la plus évidente basée sur l’idée que toutes les différences divergentes sont supprimées (emprisonnées, tuées, exilées, marginalisées…). Les dictateurs appliquent cette méthode à tous les aspects du groupe qu’ils dirigent. Les systèmes politiques basés sur cette méthode d’ingénierie sociale sont condamnés à l’autodestruction : dans leur poursuite d’une société homogène, dès qu’ils se débarrassent d’un sous-groupe hétérogène, un nouveau sous-groupe apparaît : les juifs, puis les cheveux noirs, puis les yeux noirs, puis les yeux bleus foncés, etc….. La seule société que les systèmes autoritaires peuvent gérer est celle des clones ; c’est probablement pourquoi le clonage et le nazisme étaient si souvent liés dans notre imagination !

2. La méthode tolérante : C’est l’autre extrême et une méthode en diminution rapide dans le monde entier. Elle repose sur l’idée que le groupe majoritaire doit faire l’effort de “tolérer” (le mot est explicite sur les limites de la méthode !) tous les autres comme ils sont. La condition préalable à une certaine efficacité de cette méthode est qu’il existe un sous-groupe dominant dont les règles sont LA règle et qui est donc susceptible de harceler les sous-groupes minoritaires. La tolérance est vraiment une méthode efficace pour respecter les droits de l’homme dans une société fortement contrôlée par un groupe (par exemple les WASPS aux États-Unis). Cependant le sentiment de générosité qui fonde cette méthode résulte d’une très forte confiance en soi sociale. Par conséquent, ce type de société est très fragile : dès qu’un certain stress social diminue la confiance en soi du groupe principal, le risque devient élevé qu’il se tourne vers des méthodes faisant autorité. Et comme il est un fait que la mise en œuvre de cette ligne de politiques sociales a pour effet de renforcer les minorités et donc d’affaiblir le groupe principal, la méthode de la tolérance n’est pas durable. Un autre défaut lié à cette méthode est qu’elle ne permet pas l’enrichissement mutuel : chaque groupe social vit immuablement à côté des autres ; c’est un système “soyez gentil avec le ghetto” ! “Le “politiquement correct” est l’idéologie la plus célèbre liée à cette méthode depuis quelques années !

3. La laïcité : Elle s’adresse aux sociétés multiculturelles. En effet, la laïcité ne favorise pas un groupe par rapport aux autres, elle favorise des règles communes pour tous. Elle s’appuie sur le concept de “contrat social” du XVIIIe siècle qui signifie qu’être français ne signifie pas être catholique blanc, mais que chaque membre de la société accepte de signer pour un certain nombre de valeurs et d’instruments : contribution positive à une société par une éducation commune rendue possible par l’utilisation d’une langue commune, etc. La République “laïque” à la française considère l’individu – et non le groupe – comme la seule unité de base pertinente de la société afin d’assurer l’égalité entre ses citoyens. Ainsi, les concepts mêmes de “groupe dominant” et de “minorités” sont absurdes et incompatibles dans une société multiculturelle fondée sur la laïcité. Pour cette raison, ce système est le seul durable et capable de stabiliser une société (dans un “état”). La diversité culturelle fait partie intégrante des caractéristiques des sociétés laïques, mais l’environnement prévu pour ces différences leur permet de communiquer, d’échanger, d’interagir, de s’enrichir mutuellement, contrairement aux sociétés cloisonnées de type “patchwork” typiques de l’ancienne méthode (tolérance).

La laïcité au XXIe siècle

Parce que la principale caractéristique prévisible du XXIe siècle dans le monde est le multiculturalisme, la laïcité a un avenir au-delà des frontières françaises. En effet, jusqu’au milieu du XXe siècle, la France et les Etats-Unis étaient probablement les seules grandes sociétés nationales démocratiques et unies, fortement multiculturelles. A partir des années 1950, le système d’intégration américain “melting-pot” est mort et les Etats-Unis sont devenus une société “patchwork” de plus en plus illégitimement gouvernée par un groupe dominant (les Wasps) se donnant bonne conscience à cause de son attitude “tolérante” envers les “minorités”. Simultanément, de nombreux pays démocratiques monoculturels (la plupart des pays européens), à la suite des flux migratoires, ont commencé à se transformer en sociétés multiculturelles ; la façon dont ils ont géré cette complexification de leurs sociétés a tout naturellement suivi le modèle d’un groupe dominant “tolérant” la présence des différentes minorités. Ces pays se rendent maintenant compte qu’ils ont atteint une limite dans cette façon de traiter les immigrés ; la laïcité apporterait certainement de nouvelles idées à ces sociétés pour éviter que le racisme remplace la tolérance et que l’extrême droite remplace les tendances politiques démocratiques.

Un problème cependant : le mot “laïcité” véhicule une image dépassée, post-révolutionnaire, anticléricale et très française du fait de son parcours à travers les siècles français d’usage et d’abus. Mais les principes et les règles selon lesquels la laïcité a construit son efficacité valent le débat au sein de toute société multiculturelle désireuse de maintenir la liberté et l’égalité au cœur de ses préoccupations. Après tout, pourquoi ne pas inventer un nouveau nom pour la laïcité ?

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