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Economie du XXIème siècle: Trop de court terme tue le long terme

par Henri de Courtivron
23/06/2003

 

Notre économie est actuellement particulièrement morose et rares sont ceux qui entrevoient des perspectives d’amélioration dans un futur proche. Une des raisons de cette situation est peut-être à rechercher du côté d’une erreur de dosage dans la multitude de paramètres à prendre en compte pour réussir la recette d’une croissance économique durable, construite sur des entreprises dynamiques. Il semble en effet que la notion de court terme soit aujourd’hui très largement surpondérée au détriment de la vision à long terme.

Tout, tout de suite

Notre mode de vie privilégie la recherche de la satisfaction la plus immédiate possible : « je veux tout, tout de suite ». De même qu’un enfant exige que ses désirs soient satisfaits sur le champ, l’élite économique et managériale de notre pays veut exercer le pouvoir le plus rapidement possible, sans attendre que l’expérience apprenne, avec le temps, à gérer dans la durée. Combien de parachutages de dirigeants sans expérience mais prétendument omniscients ont abouti à des naufrages d’entreprises, aux coûts sociaux exorbitants ? Le risque pour le parachuté mercenaire est faible : en cas de succès, une rémunération généreuse, en cas d’échec, des indemnités absurdement élevées et une ré-intégration dans un corps d’origine en guise de bouée de sauvetage.

Cette exigence de satisfaction immédiate se manifeste également de façon particulièrement insidieuse dans le rôle joué par l’actionnaire. La structure de l’actionnariat s’est fondamentalement modifiée au cours du dernier quart de siècle, sous le triple effet de la généralisation des instruments collectifs d’investissements (OPCVM), du développement des fonds de pension, essentiellement anglo-saxons, et de la mondialisation qui internationalise les participations en capital.

L’actionnariat type se caractérisait traditionnellement par la stabilité de l’investisseur, qui recherchait une rentabilité régulière et privilégiait les placements de « bon père de famille ». A ses côtés, une petite minorité de spéculateurs assurait la liquidité du marché.

Les nouvelles donnes sont aujourd’hui différentes : une majorité d’investisseurs, qui gèrent pour compte de tiers, sont tenus à une rentabilité la plus élevée et la plus rapide possible. Ces nouveaux investisseurs, collectivement majoritaires dans les entreprises cotées, peuvent dicter leur loi et imposer des contraintes de profitabilité sous peine de changer les dirigeants qui ne parviendraient pas à satisfaire leurs exigences de rentabilité à court terme.

La dictature du ROE

C’est là qu’intervient le redoutable instrument de mesure qu’est le ROE (Return On Equity ou rentabilité des fonds propres). L’actionnaire exige un ROE très élevé, souvent de l’ordre de 20%, sans aucune référence ni au taux de l’inflation, ni au taux de croissance de l’économie, et tout le monde feint de croire qu’il est possible à une entreprise de créer de la valeur de façon pérenne à un taux huit fois supérieur au taux d’inflation ou dix fois au taux de croissance.

A partir de là, le scénario catastrophe se met en place. D’un côté, l’actionnaire exige un ROE maximum et empoche le résultat sous forme de dividendes d’abord, puis de plus value boursière au bout de deux ou trois ans, sachant parfaitement que la société ne pourra pas tenir ce rythme de rentabilité sur la durée. Cet actionnaire-là n’est donc solidaire de la société dans laquelle il a investi que le temps, court, de générer un profit maximum, quitte à mettre en danger la survie-même de l’entreprise. Le coureur de marathon qui démarre la course au rythme d’un cent mètres est certain de ne pas terminer son parcours. De l’autre côté, le dirigeant de l’entreprise, harcelé par la dictature du ROE, doit privilégier la rentabilité à court terme pour sauver son poste : il s’attaquera par conséquent à toutes les poches d’économies possibles (en particulier par des réductions d’effectifs), se concentrera sur les activités les plus rentables, même si elles ne sont pas récurrentes, se débarrassera des moins profitables, même si elles servent à fidéliser les clients et cherchera le maximum de plus-values en vendant des actifs, même s’ils sont stratégiques. Il réussira ainsi à satisfaire ses actionnaires pendant deux ou trois ans en leur servant le ROE exigé. A l’échéance, l’actionnaire revend, le dirigeant, après avoir touché de substantiels bonus, empoche sa prime de départ pour aller tenter l’aventure ailleurs et l’entreprise, exsangue, est rachetée à vil prix par un investisseur éclairé.

Le dirigeant parachuté, pour occulter son manque d’expérience à son arrivée et retomber sur ses pieds à son départ, a besoin de la solidarité de ses pairs : d’où les renvois d’ascenseur entre membres des mêmes confréries, les conseils d’administrations trop incestueux pour s’opposer aux exigences exorbitantes de la dictature du ROE, les plans de développement pollués par des promesses de ROE mirobolants qui cachent la pauvreté de la vision stratégique, les recrutements à prix d’or de mercenaires qui font miroiter la recette miracle pour atteindre les ROE promis.

Des actionnaires trop volatils

L’abus de court terme a ainsi clairement contribué à faire jouer à l’actionnaire, devenu l’intervenant le plus volatil dans la vie de l’entreprise, un rôle démesuré par rapport aux autres acteurs que sont les salariés, les dirigeants et les clients. Comment peut-on confier à l’actionnaire le pouvoir de décider de l’avenir d’une entreprise alors qu’il a la possibilité de se retirer du jeu par un simple clic de souris ? Le prix à payer pour cette politique à courte vue est la priorité donnée à la tactique au détriment de la stratégie, la disparition progressive de la culture d’entreprise, le développement du mercenariat et la réticence à investir sur l’avenir par la recherche, en un mot, la mort lente et programmée de l’entreprise.

Diminuons la dose de considérations exclusivement court terme et favorisons les ambitions et les stratégies à long terme, et nous reverrons des groupes industriels dirigés par des industriels expérimentés, des gestionnaires compétents qui organiseront une rentabilité peut-être plus faible mais plus durable, des salariés plus motivés qui adhéreront à de vrais projets d’entreprise et des actionnaires moins gourmands qui ne souffleront plus dans des bulles qui finissent toujours par éclater.

Les Etats-Unis nous ont montré les conséquences néfastes d’un usage abusif du court terme et les récents scandales financiers sont là pour nous le rappeler. Forte de ces leçons, la « vieille » Europe a aujourd’hui une formidable occasion d’abandonner son suivisme habituel pour inventer une nouvelle approche de la gestion et retrouver un juste équilibre entre les considérations à court terme et les objectifs à long terme. Espérons que l’Europe saura mettre à profit sa clairvoyance et son poids économique pour ouvrir la voie dans la conduite du changement.

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