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Différenciation inéluctable entre Euroland / Union Européenne Note N°1 d’Anticipation post-Referendum

 

par Franck Biancheri
02/06/2005

 

Europe 2020, qui depuis 2003 estimait probable une crise européenne liée à l’échec du processus de ratification de la Constitution, a donc eu l’occasion de travailler longuement sur les alternatives possibles suite à un tel échec. Discussions internes, entretiens avec des responsables politiques et administratifs européens et débats avec la société civile européenne ont nourri cette réflexion, qui a également intégré ces derniers mois les débats publics qui se sont développés autour des processus de ratification.

Cette première note d’anticipation de la série « Alternatives possibles après l’échec du processus de ratification » portera sur l’inéluctabilité désormais d’une différenciation entre la zone Euro (Euroland) et l’Union européenne en matière de « plan B » à court et moyen terme, sous peine de voir l’intégralité du processus communautaire entrer dans une crise de légitimité démocratique et de cohérence opérationnelle qui pourrait lui être fatale.

L’introduction de l’Euro a introduit une dynamique propre aux pays de la zone Euro qui a notamment très fortement accéléré la prise de conscience de l’importance des questions européennes par les citoyens des pays concernés. Cette évolution n’a pas eu lieu, ou bien beaucoup plus faiblement, dans les pays de l’UE hors de cette zone. Par ailleurs, cette prise de conscience s’est faite sous une forme essentiellement négative sauf pour deux catégories bien précises de la population : les seniors (qui y voient un aboutissement de l’effort européen de paix entrepris il y a 50 ans) et les classes aisées qui ont trouvé dans l’Euro un outil simplifiant leurs activités déjà trans-européennes (professionnelles ou de loisirs). C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont conduit Europe 2020, en Octobre 2004, à indiquer dans son document de conseil stratégique au Ministère français des Affaires étrangères qu’il fallait éviter à tout prix de mettre en place une communication du « Oui à la constitution » fondée sur une vision uniquement positive de l’UE, sous peine qu’elle soit inopérante en particulier sur les 25/45 ans.

Une différenciation très forte des attentes des citoyens entre la zone Euro et les reste de l’UE

Cette partie de la population de la zone Euro, dont les referenda français et néerlandais démontrent qu’on peut même l’étendre aux classes d’âge « 18-50 ans », constitue d’autre part un groupe bien spécifique au sein de la même classe d’âge dans l’UE. En effet la plupart des pays de la zone Euro est entrée dans l’UE il y a au moins une génération, voire deux pour les six pays fondateurs ; cette population constitue donc les deux premières générations « nées dans l’Europe ». Hors la zone Euro, la plupart des Etats-membres de l’UE est entrée récemment dans le processus de construction européenne ou n’a jamais vraiment accepté d’en être pleinement membres (Royaume-Uni et Danemark). De facto leurs opinions publiques ont une maturation totalement différente quand au projet européen. Cette note n’a pas vocation à entrer dans le détail des différences entre les deux groupes mentionnés. Il suffit de savoir que les exigences des uns (zone Euro) portent désormais sur leur capacité en tant que citoyen à contrôler le processus communautaire qui conditionne désormais leur vie de manière forte, tout en se sentant « naturellement » européen. Alors, que celles des autres (hors zone Euro) sont diversifiés, allant d’une volonté de rester à une certaine distance du processus d’intégration européenne incarné par la zone Euro, à un désir de rejoindre cette intégration sans pour autant avoir la capacité de le faire à court ou moyen terme, ni une vision précise de ce que cela représente politiquement.

Toujours est-il, en termes politiques, que nous avons désormais d’un côté, une population plutôt homogène, « naturellement » européenne et porteuse de revendications démocratiques vis-à-vis du projet européen ; alors que de l’autre côté nous avons des populations très hétérogènes quant à leurs attentes comme à leur connaissance/expérience du projet européen.

A cette différenciation politique s’ajoute bien entendu une différenciation économique et sociale. Les contraintes qu’entraîne l’Euro dans les sphères économique et sociale sont désormais évidentes pour la plupart des habitants de l’Euroland. Outre une demande de plus grand contrôle démocratique du processus européen, ces populations attendent avec une impatience croissante la mise en place de volets économiques, fiscaux, sociaux ad hoc permettant aux différents acteurs de compenser les effets pervers induits par la seule gouvernance monétaire de la zone à l’heure actuelle. Bien évidemment, les populations des pays hors de la zone Euro ne sont pas soumis à de telles contraintes et n’ont pas de telles attentes. Et, paramètre à prendre en compte à l’avenir, l’élargissement ayant fortement accru le nombre de pays hors zone Euro (13 au lieu de 3 avant 2004), les populations de la zone Euro comprennent de plus en plus mal que les mécanismes et les institutions de l’UE participent de manière centrale à la gestion de l’Euroland.

L’échec de la Constitution était en partie déjà inscrit dans ce processus de différenciation résultant du double processus quasi-simultané d’intégration accrue de la zone Euro et d’extension de l’UE pré-Euro. Pour éviter une nouvelle série de déboires qui pourrait s’avérer très préjudiciable à tout le projet communautaire (ce que n’est pas l’échec de cette Constitution si les enseignements en sont rapidement tirés), Europe 2020 recommande donc au Conseil européen de mettre en place un processus double.

Zone Euro : Vers une Communauté Politique Européenne (CPE)

Pour la zone Euro, il est essentiel et urgent de construire les pôles de gouvernance économique et politique qui fassent le pendant de la Banque centrale. Afin de répondre à l’attente démocratique, ces pôles ne pourront pas être de simples organes exécutifs et devront comprendre également une composante législative. Afin de répondre aux exigences de croissance et de compétitivité de la zone Euro, les décisions en la matière doivent être prises d’ici le début 2006. Elles permettront notamment de couper court à tout sentiment de « crise durable » du projet communautaire. Pour être crédibles et entraîner l’adhésion des opinions publiques (1), ces institutions nouvelles de l’Euroland devront être localisées hors du triangle institutionnel de l’UE (Bruxelles-Strasbourg-Luxembourg), comme ce fut le cas avec le choix de Franfort comme siège de la BCE. On comprend donc que cette relance du projet européen via la zone Euro n’est pas une simple option, mais une nécessité pour tout le projet européen ; et qu’elle ne pourra pas réussir via des bricolages institutionnels (comme ceux entre Ecofin et l’Eurogroup ces derniers mois) mais bien par un plan d’action complet et innovant. Une forme possible pourrait être la rédaction d’un traité créant une « Communauté Politique Européenne » (CPE), élaboré par les seuls Etats membres de la zone Euro, soumis à ratification référendaire le même jour à travers les douze pays concernés, et consacrant cette dimension économique, sociale et démocratique que visiblement la majorité de la population de cette zone attend.

Pour l’UE : Le lancement de partis politiques trans-européens

Pour l’UE, il n’y a pas vraiment d’alternative ou de plan B innovant qui puisse venir des institutions. En fait, l’UE en tant que telle n’a comme seule solution que le bricolage du traité de Nice avec des composants pris sur le projet de Constitution (Présidence, Ministre des affaires étrangères, poids de vote). L’hétérogénéité de la zone, tant au niveau économique et social qu’en terme d’attentes politiques des populations, interdit toute nouvelle initiative de l’ensemble de l’UE (et hors zone Euro les disparités entre Etats sont telles que rien n’est possible ensemble), étant donné l’échec du projet de Constitution. Les deux seules voies d’avenir reposent sur l’évolution socio-économique d’une part qui va voir un nombre croissant de pays être prêts à rejoindre la zone Euro (sous sa nouvelle forme de CPE) d’ici 2010/2014, conduisant progressivement à une convergence des deux zones ; et d’autre part au lancement de mouvements politiques trans-européens ciblés sur les élections européennes de 2009 et 2014 (2), accélérant la convergence des opinions publiques et la démocratisation de l’UE (principal défi politique de la zone comme le montre la crise actuelle initiée dans deux pays fondateurs « à référendum »).

Les conclusions peuvent paraître audacieuses et ambitieuses, mais selon Europe 2020, cette crise structurelle est réellement de dimension historique et exige des Européens autant d’audace et d’imagination qu’en avait fait preuve la génération des Fondateurs après la Seconde Guerre Mondiale.

Europe 2020 tient à cette occasion à rappeler que neuf mois seulement séparèrent l’échec de la CED en 1954 de la conférence de Messine qui définit les bases de la Communauté Economique Européenne, lancée deux ans plus tard.

Ce dont ont besoin les dirigeants européens actuels pour réussir un tel exploit, c’est de définir ensemble un projet ambitieux capable de rassembler cette large majorité de la population qui s’est retrouvée divisée par la Constitution faute de vision d’avenir et de volonté de démocratisation (le camp du « Oui » et la moitié des « Non » sont de facto en attente de « plus d’Europe »). Pour Europe 2020, ce n’est que dans la zone Euro que se trouvent réunies dans les années à venir les conditions d’un tel sursaut politique qui exige que les dirigeants répondent à la demande centrale de démocratisation exprimée par les citoyens.


Notes :

(1) Nous rappelons qu’au cours des referenda français et néerlandais, il est apparu clairement que la Commission européenne est devenue l’institution par excellence que rejettent violemment les opinions publiques ; tandis que le Parlement européen est perçu comme quantité politique négligeable (la comparaison des participations à un an d’écart seulement entre les dernières élections européennes et les referenda est éloquente). On peut le regretter, mais Bruxelles et Strasbourg sont devenus aujourd’hui des concepts négatifs pour mobiliser les citoyens autour du projet européen. Europe 2020 consacrera d’ailleurs une prochaine note à cette question.

(2) Europe 2020 entend d’ailleurs désormais apporter son plein soutien intellectuel et opérationnel à toutes les initiatives qui iront dans la direction de création de partis politiques trans-européens. Mais uniquement s’ils sont des partis trans-européens dès l’origine, car les analyses d’Europe 2020 l’ont conduit à conclure qu’il est impossible de créer de tels partis à partir de rassemblements de partis nationaux comme ceux qui peuplent le Parlement européen depuis des décennies.

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