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De l’UE à l’Euroland Osons l’avenir comme le firent les pères fondateurs de l’Europe

 

l’Europe
par Franck Biancheri
19/10/2001

 

Comme peut en témoigner l’incapacité du système communautaire à trouver des pistes viables pour l’avenir, et l’aspect très parcellaire, éclaté des contributions politiques des leaders européens, l’UE est bien en bout de course. Enfant bâtard de la Communauté européenne et de la Chute du Mur de Berlin, compromis bancal entre méthode communautaire et approche inter-gouvernementale, il est probable que cette forme de la construction européenne ne survivra pas longtemps, ou en tout cas passera très vite au second plan, suite à l’arrivée de la monnaie unique dans la poche des citoyens. Née d’une transition imprévue, elle durera le temps d’une transition.

Les deux nouvelles contraintes de la décennie à venir s’appellent monnaie unique et démocratie commune. C’est à l’aune de la capacité de les gérer que doit désormais se mesurer les mérites comparées des méthodes en présence ; et non plus sur des questions théoriques ou de principe. Et l’Euroland, qu’on le veuille ou pas, sera l’espace politique de cette ré-invention commune.

Les ” fondateurs ” pensent l’avenir sans être aveuglés par le passé et le présent

Que ceux que la nouveauté effraye se rassure. Ces formes actuelles de la construction communautaire qu’ils connaissent bien et qui les rassurent, furent en leur temps des ruptures radicales avec le passé et le présent.

Contrairement à ce que pensent ou disent les disciples de tous poils, les ” grands hommes “, les ” fondateurs “, les ” leaders “, sont caractérisés essentiellement par une capacité à ” penser les ruptures “, à ne pas s’enfermer dans des schémas pré-établis, à penser différemment de la pensée dominante, à voir l’avenir sans être aveuglé par le présent et encore moins le passé.

Et les fondateurs de la construction communautaire étaient de grands hommes. Jean Monnet, inspirateur et architecte en chef du projet, a dû se battre pour vaincre les résistances, le conformisme, l’habitude afin d’imposer les bases de l’architecture et de la méthode communautaire.

Nul doute qu’il serait atterré aujourd’hui (sans être surpris) de voir le peu d’imagination mobilisé pour penser l’avenir de la construction européenne ; le peu d’audace des dirigeants ; le conformisme effrayant des institutions communautaires censées “éclairer la voie” … qui tous se contentent de tourner autour des institutions et des méthodes dont nous avons hérités des années 50 en cherchant désespérément les clés du XXIe siècle européen.

Il a su mettre en commun les richesses de l’Europe d’alors dont la maîtrise divisait et opposait les Etats. Aujourd’hui, ces richesses ne sont plus le charbon et l’acier : ce sont les ressources humaines (la matière grise) et les nouvelles technologies. C’est dans cette voie qu’il faut suivre l’inspiration des Pères Fondateurs ; c’est dans leur puissance d’imagination, leur audace intellectuelle et leur ténacité politique qu’il faut chercher le message qu’ils nous ont légué. C’est là, la clé de l’avenir…pas dans les formes institutionnelles ou les traités datés.

J’en veux pour exemple la récente contribution de l’ancien Président français Valéry Giscard d’Estaing au journal Le Monde où il indique que Jean Monnet lui-même trouvait qu’il était utile de créer le Sommet européen dont Valéry Giscard d’Estaing fut l’initiateur. Preuve s’il en est que Jean Monnet lui-même n’était pas prisonnier du modèle qu’il avait inventé dans les années 50.

Mais les disciples (vrais ou faux) préfèrent toujours gérer l’héritage plutôt que d’entreprendre de réinventer le processus. Les fondateurs sont généralement préférés sous forme momifiée plutôt qu’en tant qu’esprit toujours vivant. Et pour la construction européenne aujourd’hui, c’est le cas.

Arrêtons de bricoler l’UE … et construisons l’Euroland où arrivent 300 millions de citoyens

Et le temps presse pour entamer la ré-invention du processus communautaire. Dans deux mois et demi, 300 millions de citoyens débarquent dans l’Euroland … et rien n’est prévu pour les y accueillir. Pour l’instant, le pays est quasi-vide, peuplé de banquiers centraux, d’Eurocrates, de chefs d’Etats et de gouvernements, d’experts, de dirigeants bancaires, … (soit une petite centaine de milliers de personnes) … et il n’est équipé que de guichets bancaires et de distributeurs de billets ! Pendant que tous les dirigeants et institutions sont obsédés par le rafistolage de l’UE, personne ne s’occupe de construire l’Euroland. Pourtant c’est bien là que vont les citoyens européens. Pas dans l’UE mais bien dans l’Euroland. Bien entendu l’UE et ses institutions ne vont pas disparaître du jour au lendemain ; mais elles ne sont déjà plus (sauf dans quelques secteurs bien précis : Commerce, Concurrence, Justice et Affaires intérieures, Protection des Consommateurs), les lieux d’invention de l’avenir.

Et dans l’Euroland, tout est à faire. Il y a bien une monnaie unique, mais il n’y a pas d’exécutif commun, pas de législatif commun, pas de police ou de justice commune, pas de politique étrangère ou de défense commune, pas de citoyenneté commune, pas de partis, de syndicats ou d’associations communs, pas de médias communs, pas de classe politique commune … et en plus avec la récession économique qui commence …il n’y aura pas de croissance commune … il y aura peut-être simplement du chômage commun !

Par ailleurs, ce ” vide démocratique ” qui caractérise l’Euroland va générer des effets secondaires pervers au niveau des systèmes démocratiques nationaux. A travers les élections nationales (seul exutoire démocratique disponible pour les citoyens de l’Euroland), nous allons assister à des évolutions brutales qui modifieront les votes de près d’un tiers des citoyens de l’Euroland … car ils intègreront leurs préoccupations européennes dans leur vote national.

Messieurs les candidats en 2002, n’écoutez pas vos conseillers politiques ou vos instituts de sondage attitrés s’ils vous prédisent des élections semblables aux précédentes (ils ne savent pas anticiper les ruptures). Mais si vos programmes ne répondent pas précisément aux questions ” où va-t-on ? et comment ? ” concernant l’après-Euro, attendez vous à voir l’abstention fleurir dans vos propres rangs, notamment chez les jeunes et les relais d’opinion de la société civile. Et ce quelque soient les bénéficiaires de ce choix.

Alors, entre un Euroland vide, une UE à la dérive et des systèmes nationaux qui vont être perturbés gravement par l’irruption de thématiques européennes en leur sein, peut-on encore douter sérieusement qu’il y a urgence et qu’il faut construire une nouvelle architecture politique et institutionnelle commune adaptée à l’Euroland et aux 300 millions d’Eurolandais.

Leur entrée dans l’Euroland introduit une rupture fondamentale du modèle communautaire type CE ou UE. Il déplace le centre de gravité du système du technocratique vers le politique ; des experts vers les citoyens ; du petit nombre vers les grands nombres.

Les 300 millions de nouveaux acteurs seront intéressés par un nouveau chantier global, leur assurant qu’ils co-inventent leur avenir commun. Alors que, très franchement, s’interroger sur le fait de savoir s’il faut modifier la Commission, ou le Conseil, ou le Parlement ? S’il faut intégrer le Comité Economique et social ou le Comité des régions dans une Convention qui préparera une CIG en 2004 pour savoir comment on fera après … ! Tout le monde s’en moque à part les intéressés appartenant à ces institutions. L’Euroland exigera des processus décisionnels simples car les 300 millions d’Eurolandais n’auront pas la patience et l’abnégation des experts pour saisir les subtilités de procédures byzantines.

Tout cela se résume à un problème de plomberie … Et à la capacité à repenser toutes les composantes du processus communautaire

Pour faire très simple : La CE et l’UE ont été bâtis comme des systèmes de plomberie capables de canaliser quelques dizaines de milliers de litres (experts) chaque jour. L’Euroland impose un système de plomberie institutionnelle capable de canaliser plusieurs centaines de millions de litres (citoyens) chaque jour. Les quantités et la nature des matières transportées changent radicalement. Posez la question à votre plombier …vous allez voir sa réponse : ” Il faut changer toute votre installation. Si vous essayer de bricoler, tout va exploser “. Hélas, il y a peu de plombiers dans le circuit communautaire.

Il faut donc bien ré-inventer toute l’architecture commune. Et penser que s’il faut bien un exécutif commun, ce ne sera ni la Commission, ni le Conseil mais une institution nouvelle ; que s’il faut bien un législatif commun, ce ne sera pas le Parlement européen tel qu’on le connaît ; que s’il faudra bien installer ces institutions quelque part, ce ne sera certainement pas dans les villes qui accueillent aujourd’hui les institutions.

Pour ne prendre que ce dernier élément : comment peut-on penser sérieusement qu’une localisation géographique fondée sur la nécessité de rapprocher d’anciens ennemis (comme c’était le cas en 1950/60) et s’appuyant donc sur les zones neutres “au sol historique très meuble” (Bruxelles-Luxembourg-Strasbourg) puisse survivre dans un avenir où la nécessité est d’ancrer une entité politique de centaines de millions de citoyens dans les “roches dures de l’Histoire”, de rapprocher les institutions des peuples et de montrer que la construction européenne n’est pas un phénomène centralisateur ?

Il s’agit de re-fonder l’Europe et donc de remettre sur le métier toutes ses composantes sans exception. Sinon, on aboutira à un hybride non-viable comme d’une certaine manière l’a été l’UE.

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