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Commission européenne: un bilan désastreux dix ans après la grande crise de 1999, par Franck Biancheri

Tandis que le débat autour de la re-nomination de Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne fait rage, on a tendance à oublier que cette année marque le dixième anniversaire de la démission collective de la Commission Santer sur fond de scandales de mauvaise gestion et corruption.

Pour Newropeans, comme pour tous ceux qui s’intéressent à la fois au progrès de la démocratie et de la construction européenne, au-delà du cas Barroso, ce qui est vraiment important c’est d’analyser ce qui s’est passé au cours de la décennie qui a suivi cette crise historique de l’exécutif communautaire. Et c’est sur ce bilan, autant que sur la réaction de la Commission à la crise économique mondiale, que devraient être jugées les cinq années de la Commission Barroso.

Or en la matière, les résultats sont affligeants. Alors que nombreux étaient ceux, dans la Commission, comme dans les autres institutions communautaires et parmi les partenaires des différents projets et programmes européens, qui espéraient que la crise de 1999 allait donner le coup d’envoi d’une vaste rénovation de l’exécutif bruxellois, on ne peut que constater que dix ans plus tard la situation a en fait empiré sur tous les fronts.

On peut en effet identifier quatre grands défis que la crise de 1999 avaient mis en lumière et qui auraient dû être relevés par les Commissions successives de Romano Prodi et Manuel Barroso au cours des dix années passées, à savoir :

1 . l’absence de contrôle politique sur la haute bureaucratie de la Commission

2 . le développement au cours des années 1990 d’une tolérance à la corruption et à la fraude au sein même de l’institution

3. l’influence croissante d’opérateurs extérieurs sur la définition et la conduite de politiques et programmes de la Commission

4. la perte de contact avec la réalité de terrain (que ce soit celle des citoyens en général, ou celle de ses partenaires opérationnels comme les bénéficiaires des programmes européens).

Dix ans plus tard, le bilan est sans appel : non seulement aucun de ces défis n’a été relevé, mais en plus la situation s’est aggravée sur ces quatre points.

On peut rapidement illustrer ce constat :

1. En 1999, comme je l’avais écrit à l’époque, nous avons assisté à un phénomène aberrant dans un système se voulant démocratique, à savoir, la démission des « politiques » pour couvrir les « bureaucrates ». La Commission Santer avait en effet dû se suicider pour éviter le déclenchement d’enquêtes tous azimuts sur les agissements de nombreux directeurs généraux et autres hauts responsables administratifs de la Commission impliqués directement dans les malversations, fraudes et autres pratiques de mauvaises gestions. Les deux Commissions suivantes n’ont hélas jamais osé affronter la haute administration de la Commission et ont donc laissé perdurer le système qui était au coeur de la crise de 1999, à savoir une haute administration exempte de tout contrôle politique. En 1988, lors d’un entretien avec un groupe de jeunes experts qui tentait (en vain) de prévenir les dérives qui ont abouti à la crise de 1999, Mme Anita Gradin, alors Commissaire en charge du contrôle financier, avait indiqué laconiquement que face aux directeurs généraux elle était impuissante. Dix ans et deux commissions plus tard, rien n’a changé. Et le Parlement européen actuel va « s’exciter » sur la nomination des Commissaires, alors que c’est sur la haute administration de la Commission qu’il devrait exercer son pouvoir de contrôle (notamment en supprimant l’immunité judiciaire à vie dont bénéficient les fonctionnaires communautaires, comme comme le réclame Newropeans dans son programme).

2. Cette question des immunités judiciaires à vie est d’ailleurs l’une des composantes du deuxième défi qui n’a jamais été relevé depuis dix ans : la tolérance à la corruption et à la fraude au sein même de l’institution. La Commission reste une institution sans contrôle ou presque : les OLAF et autres UCLAF sont gérées par elles-mêmes et la Cour des Comptes est bien limitée dans ses moyens coercitifs ; le Parlement ne s’intéresse qu’aux marionnettes (les Commissaires, comme l’avait d’ailleurs confirmé en 2006 le Commissaire Verheugen) et le Conseil ne cherche qu’à soumettre et affaiblir la Commission (pas d’espoir de responsabilisation du côté des Etats qui ont contribué activement à la déliquescence générale). Nul besoin d’être un grand expert pour imaginer ce que peuvent donner des années sans contrôle dans une institution gérant des dizaines de milliards d’Euro et influençant directement des pans entiers de lois s’appliquant à 500 millions de personnes. En la matière, rien n’a changé en dix ans. D’ailleurs, aucun haut fonctionnaire n’a jamais été mis en cause en quoique ce soit lors de la crise de 1999, ni d’ailleurs pour aucune autre raison depuis cette date à l’aune de ce critère, la Commission serait ainsi une institution parfaite avec une criminalité interne égale à zéro. Dix ans plus tard, ce mensonge reste visiblement la norme.

3. La question de l’influence des lobbies ou de l’intrusion constante des opérateurs extérieurs impliqués dans la gestion des programmes européens n’est même plus un sujet d’interrogation. Les procédures cosmétiques en matière de transparence des lobbies ne font même pas illusion (et cela concerne aussi le Parlement européen d’ailleurs) : ils déclarent ce qu’ils veulent, comme ils veulent … un vrai programme de transparence et de contrôle !

4. Last but not least, si la Commission avait une image publique bien dégradée au moment de la crise de 1999, aujourd’hui c’est bien pire puisqu’elle n’a plus d’image du tout. Elle a littéralement disparu de la perception politique des Européens. Le Conseil l’a totalement éclipsée et elle a tout fait pour conforter cette tendance. La nomination de présidents falots a permis à la technostructure bruxelloise de réaliser son fantasme secret : rester dans l’ombre pour éviter les problèmes que la mise en lumière apporte (comme ce fut presque le cas en 1999). Pour ce qui est de ses partenaires opérationnels, en particulier la myriade de bénéficiaires de programmes européens (universités, associations, PME, collectivités locales, ..), la Commission a réalisé l’exploit de décimer leurs effectifs (comme la baisse de fréquentation d’Erasmus l’illustre) et de faire fuir un grand nombre d’entre eux, notamment les plus dynamiques. L’un des instruments de cette brillante « réussite » a justement été le détournement par la haute administration communautaire de l’ « effet post crise 1999 ». loin de renforcer les contrôles sur elle-même, la Commission s’est empressée de multiplier les contraintes bureaucratiques portant sur les petits bénéficiaires de fonds européens : inflation de paperasseries, omnipotence d’un contrôle financier sous-équipé, procédures interminables, …. . Autant de décisions qui ont littéralement détruit une bonne partie du terreau fertile de société civile trans-européenne qui commençait à émerger à la fin des années 1990, qui ont fait fuir vers d’autres sources de financement les opérateurs les plus dynamiques et qui ont au contraire laissé le champ libre aux opérateurs dotés de bonnes infrastructures administratives (et pas forcément de bons projets, voire de projets tout court). Mais cela importe peu à la Commission. Comme me confiait l’un de mes collègues lorsque je travaillais à Luxembourg à la Cour des Comptes européennes, « pour Bruxelles, l’important n’est pas le projet, sa qualité ou son utilité, mais c’est de savoir si le dossier financier a été bien ficelé ». Avec une telle ambition historique, personne ne doit s’étonner que les bénéficiaires de programmes communautaires aient progressivement constitué l’un des groupes les plus critiques sur la Commission et son fonctionnement … alors qu’ils auraient en toute logique dû être l’un de ses fidèles soutiens. Cela résume d’ailleurs l’état de la légitimité politique actuelle de la Commission : nulle !

Dix ans après la grande crise de la Commission, on ne peut donc hélas que constater que non seulement aucune des causes profondes qui avaient conduit à la démission collective de l’exécutif communautaire n’a été traitée, mais que la situation s’est en fait dégradée contribuant à un isolement croissant de la Commission, déconnectée de toute réalité socio-politique (même un contrôle est un lien avec la réalité) et repliée sur le pouvoir et les privilèges de sa haute administration.

Si la prochaine Commission devait avoir un programme politiquement responsable, il consisterait à relever ces quatre défis. Avec Manuel Barroso on sait déjà qu’elle n’en fera rien. Mais il ne faut se faire aucune illusion à ce stade. Puisque les Etats membres sont responsables du choix et ont la myopie historique de considérer qu’ils ont intérêt à avoir un président et une Commission faible, aucun autre candidat ne fera réellement la différence, puisqu’on a constaté depuis dix ans que la Commission ne peut pas se rénover toute seule.

La seule solution, pour tous ceux, dont je suis, qui savent qu’une Union européenne démocratique a besoin d’ un exécutif européen dynamique légitime pour faire face aux défis communs posés notamment par la crise économique et sociale, la crise climatique, la crise de gouvernance mondiale, … c’est donc de travailler au niveau européen comme au niveau national, dans et hors les institutions européennes, pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de préparer pour 2014 un changement radical du mode de structure et de désignation de l’exécutif communautaire, des modalités de contrôle de son fonctionnement comme de sa haute hiérarchie, et de la définition des priorités quinquennales de l’UE.

Vaste programme me direz-vous ; mais a-t-on vraiment le choix sauf à sacrifier ou l’Europe ou la démocratie, ou plus probablement les deux à la fois ?

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