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Anticiper les conséquences politiques de l’internet, par Mihai Nadin

Cet article a été publié par LEAP pour le MAP (Magazine d’anticipation politique) en mars 2012. Il a été écrit par Mihai Nadin,  de l’Institut de Recherche sur les Systèmes Anticipatifs .

Des foules descendent dans les rues. Certains poids lourds de l’économie numérique ont chauffé leurs muscles. La presse a couvert l’événement. Même l’Organisation des Nations Unies a pointé son attention sur la question. Frank LaRue, Rapporteur Spécial, a présenté un rapport sur la “promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression.” Récemment, l’ACTA (Accord commercial anti-contrefaçon) a été stoppé dans son élan parce que l’Allemagne, alertée par des manifestations publiques, a changé d’avis, alors qu’elle avait déjà approuvé le document contesté (ainsi que 22 autres pays membres de l’UE).

En filigrane, il s’agit de la façon dont les intérêts économiques dans l’exploitation des technologies innovantes entrent en collision avec des visées politiques. Il n’est pas surprenant de voir les Etats-Unis à la tête du mouvement pour protéger les intérêts privés. Des politiciens incompétents, achetés avec l’argent des riches lobbies, diffusent des slogans du passé : les droits de la propriété intellectuelle doivent être protégés ! En réalité, c’est la dernière priorité dans l’esprit du gouvernement américain. La motivation du seul profit soutient l’effort pour contrôler l’Internet. Et les tribunaux américains prononcent des amendes, et même des peines de prison, envers des personnes qui, dans l’esprit d’un monde universellement en réseau, soutiennent les échanges pair à pair (peer-to-peer).

Les politiciens et les avocats ne comprennent pas que vendre un disque ou un CD est fondamentalement différent des interactions numériques qui produisent de la valeur d’une manière nouvelle. Ils ne comprennent pas non plus que les interactions numériques affectent les nombreuses opportunités associées au monde en réseau. La diffusion virale d’une chanson offerte en téléchargement gratuit en fait le meilleur argument pour assister au concert de l’artiste. Les artistes comprennent ce nouveau développement, et en connaissent ses avantages réels.

En Europe, parfois sous la pression des Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont instauré des règles de renforcement du droit d’auteur. Aucun effort n’a été fait pour comprendre que copier à l’ère numérique est tout à fait différent de la copie de l’âge du capitalisme industriel. Regardons les choses en face : la contrefaçon de baskets ou de sacs à main de luxe est différente de “recopier” ce qui est sur le Web. En outre, aucun effort n’a été fait pour comprendre que les droits – et les droits politiques en premier lieu – ne peuvent pas être à jamais supprimés afin de faire plaisir à ceux qui veulent contrôler l’économie basée sur Internet pour leur propre bénéfice. Copier et diffuser des images critiques pour la sécurité nationale est un geste politique. Mais ceux qui sont opposés à cette forme de communication poursuivent leurs auteurs pour des crimes économiques. Aussi imparfait que soit Wikileaks, c’est une affaire d’action politique, pas une autre vente aux enchères façon eBay.

La situation à laquelle je me réfère rend la nécessité de l’anticipation politique de la liberté associée à l’Internet plus urgente que jamais. Par exemple : la législation HADOPI (Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et de la Protection des droits sur Internet) de la France applique un modèle “trois manquements, vous êtes déconnectés”. Une personne peut avoir des droits politiques -comme l’accès à l’Internet- retirés pour des faits mal interprétés, ou mal compris comme étant des violations à des lois du commerce. Les réglementations européennes limitent la diffusion de messages sur l’Internet. En Suisse, la solution File Sharing Monitor de LogiStep permettait le traçage de l’adresse IP, jusqu’à récemment. Ce sont des pratiques de surveillance des internautes que l’Occident associe habituellement avec la Chine, et non pas avec les pays démocratiques. Les fournisseurs de services Internet se débarrassent des sites Web des défenseurs des droits de l’homme, des dissidents, et des dénonciateurs parce que les attaques par déni de service distribué sur les serveurs rendent l’opération de fourniture de services trop coûteuse.

Tout cela est un jeu du chat et de la souris entre les peuples et ceux qui veulent leur nier des libertés caractéristiques d’un monde où “l’information veut être libre” (comme le dit le slogan, qui remonte au début de l’utilisation d’Internet). Ainsi, la fermeture de Wikipedia pour une journée en signe de protestation face à une tentative de législation pour contrôler l’Internet a été spectaculaire, mais malhonnête. La hiérarchie du système Wikipedia permet tacitement à ceux qui ont de l’argent d’embaucher des écrivains pour produire des entrées à leur sujet sous un jour favorable. Et Wikipedia permet à ses volontaires (sont-ils vraiment volontaires?) de censurer, d’une manière fasciste, la “sagesse des foules”. Google, qui ces jours-ci adopte de nouvelles politiques, reliera les différents comptes, peu importe si l’utilisateur le souhaite ou non. Les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les médias en ligne et les entreprises analysent les informations sur les utilisateurs d’Internet pour leur propre profit économique. Pourtant, personne n’a diffusé de déclaration politique à propos de ces analyses qui dépouillent effectivement les individus de leur propriété (et de leur vie privée) pour le bénéfice de la démocratie commerciale de la consommation.

La Quadrature du Net a correctement souligné que la classe politique et la nouvelle politique du Net représentent des points de vue irréconciliables des droits des individus. Au lieu de mesurer combien de minutes se sont écoulées avant que la presse ait annoncé la mort de Whitney Houston, (certains Tweets l’ont fait en premier), nous ferions mieux de nous concentrer sur l’anticipation de la nouvelle forme de politique mise en avant par les internautes. Les natifs d’Internet (c’est-à-dire la première génération à grandir en ayant toujours utilisé le Net) s’en fichent que les messages Twitter soient plus rapides que la presse. Ils s’empareront du pouvoir politique en raison de leur compétence, une compétence qui fait si douloureusement défaut aujourd’hui des tentatives pour réglementer de manière pragmatique une condition humaine qui diffère de celle du passé.

D’après les données du trafic mondial – actuellement près de 600 exaoctets – et sur les modes d’utilisation de ces données (combien pour l’ecommerce, combien pour l’e-learning, combien pour l’e-divertissement, combien pour la communication privé, combien pour la pornographie, etc), nous pouvons prédire un certain nombre de caractéristiques :

.l’augmentation du nombre de réseaux à dominante propriétaire (tel que iTunes) qui conservent fermement un enregistrement du profil des utilisateurs (monopole de l’entreprise)

.l’augmentation des réseaux dédiés (par exemple, à des fins de cybersécurité, pour le diagnostic médical distribué)

.l’augmentation du nombre de réseaux sociaux dédiés qui rentreront utilement en concurrence avec les modèles “tout-en-un” (tels que Facebook et Twitter)

.un environnement plus concurrentiel dans les réseaux basés sur les moteurs de recherche (Google cessera d’être la superpuissance).

Alors que les gouvernements continueront à essayer de réglementer l’Internet, ils resteront toujours à la traîne. Avec la génération des natifs d’Internet, la politique va certainement s’étendre à l’Internet, non plus comme un moyen de propagande et un instrument de financement, mais plutôt en intéressant dans la prise de décision politique un électorat compétent. Cette prise de décision se fera avec moins de recul et de manière plus opportuniste, cela va sans dire.

À propos Marie Hélène

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